Par Nathalie Beslay, avocat associé, et Joséphine Flament, avocat. Beslay+Avocats
La conduite juridique d’un projet de télémédecine
La mise en œuvre d’un service de télémédecine s’inscrit dans un référentiel légal et réglementaire hétérogène et repose sur des acteurs différenciés. Dans un double objectif de conformité légale et de développement durable, cet environnement complexe doit conduire les porteurs de projets à adopter une véritable approche méthodologique de conduite juridique de projet.
Au plan juridique, la mise en œuvre d’un programme de télémédecine implique des acteurs très divers (patients, professionnels de santé, établissements de santé, tiers technologiques, fabricants de dispositifs médicaux, intégrateur de système d’information, éditeur de solutions, hébergeur agréé de données de santé) mais aussi les payeurs. Au plan juridique, les porteurs de ces projets doivent faire face à des contraintes légales et réglementaires plurielles, des sources de responsabilité diverses et complexes, des enjeux de protection des données à caractère personnel mais aussi de valorisation des investissements et de l’innovation. L’ensemble des sujets doit être nécessairement articulé autour d’une véritable conduite juridique du projet intégrée à la conception et au pilotage du projet.
Au stade de la conception, on parle alors de «?compliance by design?» (conformité légale et réglementaire) et de «?privacy by design?» (protection des données à caractère personnel), autrement dit l’intégration dès la conception du projet, quel qu’il soit, des paramètres légaux applicables, afin de définir et mettre en œuvre un système d’information et plus généralement un projet conforme.
Cette approche peut être synthétisée en trois axes principaux.
La qualification légale du programme
Il s’agit concrètement de déterminer, au regard des fonctionnalités, des acteurs et des services envisagés, dans quelles qualifications légales le projet s’inscrit.
La qualification légale permettra au porteur du projet de définir un ensemble de «?spécifications légales?» applicables à un projet, dans l’objectif de mesurer les impacts fonctionnels, opérationnels, organisationnels et financiers des contraintes légales ainsi identifiées et de les arbitrer et/ou les intégrer. Dans le cadre d’un projet de télémédecine, les qualifications légales à évaluer, pour les intégrer ou les exclure, sont le cas échéant (i) les différents actes de télémédecine (1) voire du téléconseil (2), (ii) l’éducation thérapeutique (3), (iii) les dispositifs médicaux (4), (iv) la mise en œuvre d’un protocole de coopération (5), (V) l’hospitalisation à domicile (6), (vi) le recours à un logiciel d’aide à la prescription (7).
Bien entendu, devront être prises attentivement en compte également les contraintes légales applicables à certaines activités régulées (laboratoires pharmaceutiques) ainsi que l’ensemble des règles déontologiques applicables aux professionnels de santé impliqués (médecins, pharmaciens…).
Cette étape de qualification légale permettra de bâtir la conception fonctionnelle du projet (architecture technique et fonctionnelle, cahier des charges, prestations techniques) et d’anticiper l’ensemble des impacts sur la gestion de la relation avec les patients et les professionnels de santé, et de définir une politique et des moyens de sécurité conformes.
Le parcours réglementaire
La mise en œuvre d’un programme de télémédecine implique un parcours réglementaire composé de plusieurs étapes à articuler et coordonner sur la base d’un rétroplanning :
- conventionnement auprès de l’ARS ou des ARS compétentes,
- le cas échéant, autorisation auprès de l’ARS ou des ARS compétentes pour un programme d’éducation thérapeutique et/ou un protocole de coopération,
- formalités préalables auprès de la CNIL (demande d’autorisation)
- recours à un hébergeur agréé de données de santé au sens des dispositions de l’article L 1111-8 CSP,
- le cas échéant, procédure de certification/marquage CE du dispositif médical,
- soumission des contrats à l’Ordre des médecins.
L’identification du parcours réglementaire est nécessaire tant d’un point de vue logistique et opérationnel (constitution des dossiers, homogénéité et cohérence…), que d’un point de vue calendaire dans le cadre de la mise en œuvre du projet (anticipation des délais différents d’une autorité à l’autre, suivi des dossiers avec les personnes en charge de leur instruction…).
Dans la mesure où les délais sont différenciés, il est indispensable d’anticiper les échanges éventuels avec les autorités compétentes, d'assurer un suivi attentif des dossiers déposés.
L’architecture contractuelle
La mise en place d’un programme de télémédecine repose (1) sur des contrats obligatoires (convention avec l’ARS, convention de télémédecine entre les médecins et l’organisme, contrat avec l’hébergeur agréé de données de santé), (2) sur des contrats nécessaires (consortium, assistance à la maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, SSII, Web agency, sous-traitants, fabricants de dispositifs médicaux, opérateur de télécommunications, soutiens financiers, évaluateurs…).
Cet environnement contractuel complexe (prestations de diverses natures, articulation des rôles/missions, tiers technologique au cœur de la fourniture d’actes médicaux…) implique de nombreux faits générateurs de responsabilité qui requièrent (1) la mise en place d’une architecture contractuelle cohérente par rapport au projet, (2) couvrant toutes les opérations et les prestations, (3) articulant de manière organisée et hiérarchisée les différentes responsabilités.
À ce titre, il convient de (i) définir les liens contractuels à mettre en place dans le cadre du projet (partenaires, industriels de santé, payeurs prestataires de conseil et technologiques, professionnels de santé, patients), (ii) prévoir une matrice de responsabilités afin de rendre opposable à tous, la même articulation des sources de responsabilités, (iii) réaliser un tableau de bord de suivi des contrats, (iv) et évidemment une cartographie de l’assurabilité des risques et leur couverture.
Sur ce dernier point, évidemment le statut des médecins délivrant les actes de télémédecine sera déterminant du cadrage des sources de responsabilité et de la souscription des assurances subséquentes – salariés, indépendants, exerçant en établissements de soins…
En conclusion, la mise en œuvre d’un programme de télémédecine repose sur une ingénierie juridique relativement complexe, et il est recommandé de s’organiser afin de mettre en œuvre des bonnes pratiques de conformité légale. Dans le cadre des projets déployés, la complexité juridique et réglementaire est relevée comme un facteur de frein au développement de l’innovation et de l’industrialisation en la matière.
(1) Loi n° 2009-879 du 21?juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (dite loi « HPST ») et décret n°2010-1229 du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine
(2) Vade-mecum Télémédecine Ordre national des médecins - septembre?2014
(3) Articles L. 1161-1 et suivant CSP
(4) Article L. 5211-1 CSP
(5) Article L 4011-2 et suivants CSP
(6) Articles R 6121-3 et suivants CSP
(7) Article L. 161-38 CSS
Au plan juridique, la mise en œuvre d’un programme de télémédecine implique des acteurs très divers (patients, professionnels de santé, établissements de santé, tiers technologiques, fabricants de dispositifs médicaux, intégrateur de système d’information, éditeur de solutions, hébergeur agréé de données de santé) mais aussi les payeurs. Au plan juridique, les porteurs de ces projets doivent faire face à des contraintes légales et réglementaires plurielles, des sources de responsabilité diverses et complexes, des enjeux de protection des données à caractère personnel mais aussi de valorisation des investissements et de l’innovation. L’ensemble des sujets doit être nécessairement articulé autour d’une véritable conduite juridique du projet intégrée à la conception et au pilotage du projet.
Au stade de la conception, on parle alors de «?compliance by design?» (conformité légale et réglementaire) et de «?privacy by design?» (protection des données à caractère personnel), autrement dit l’intégration dès la conception du projet, quel qu’il soit, des paramètres légaux applicables, afin de définir et mettre en œuvre un système d’information et plus généralement un projet conforme.
Cette approche peut être synthétisée en trois axes principaux.
La qualification légale du programme
Il s’agit concrètement de déterminer, au regard des fonctionnalités, des acteurs et des services envisagés, dans quelles qualifications légales le projet s’inscrit.
La qualification légale permettra au porteur du projet de définir un ensemble de «?spécifications légales?» applicables à un projet, dans l’objectif de mesurer les impacts fonctionnels, opérationnels, organisationnels et financiers des contraintes légales ainsi identifiées et de les arbitrer et/ou les intégrer. Dans le cadre d’un projet de télémédecine, les qualifications légales à évaluer, pour les intégrer ou les exclure, sont le cas échéant (i) les différents actes de télémédecine (1) voire du téléconseil (2), (ii) l’éducation thérapeutique (3), (iii) les dispositifs médicaux (4), (iv) la mise en œuvre d’un protocole de coopération (5), (V) l’hospitalisation à domicile (6), (vi) le recours à un logiciel d’aide à la prescription (7).
Bien entendu, devront être prises attentivement en compte également les contraintes légales applicables à certaines activités régulées (laboratoires pharmaceutiques) ainsi que l’ensemble des règles déontologiques applicables aux professionnels de santé impliqués (médecins, pharmaciens…).
Cette étape de qualification légale permettra de bâtir la conception fonctionnelle du projet (architecture technique et fonctionnelle, cahier des charges, prestations techniques) et d’anticiper l’ensemble des impacts sur la gestion de la relation avec les patients et les professionnels de santé, et de définir une politique et des moyens de sécurité conformes.
Le parcours réglementaire
La mise en œuvre d’un programme de télémédecine implique un parcours réglementaire composé de plusieurs étapes à articuler et coordonner sur la base d’un rétroplanning :
- conventionnement auprès de l’ARS ou des ARS compétentes,
- le cas échéant, autorisation auprès de l’ARS ou des ARS compétentes pour un programme d’éducation thérapeutique et/ou un protocole de coopération,
- formalités préalables auprès de la CNIL (demande d’autorisation)
- recours à un hébergeur agréé de données de santé au sens des dispositions de l’article L 1111-8 CSP,
- le cas échéant, procédure de certification/marquage CE du dispositif médical,
- soumission des contrats à l’Ordre des médecins.
L’identification du parcours réglementaire est nécessaire tant d’un point de vue logistique et opérationnel (constitution des dossiers, homogénéité et cohérence…), que d’un point de vue calendaire dans le cadre de la mise en œuvre du projet (anticipation des délais différents d’une autorité à l’autre, suivi des dossiers avec les personnes en charge de leur instruction…).
Dans la mesure où les délais sont différenciés, il est indispensable d’anticiper les échanges éventuels avec les autorités compétentes, d'assurer un suivi attentif des dossiers déposés.
L’architecture contractuelle
La mise en place d’un programme de télémédecine repose (1) sur des contrats obligatoires (convention avec l’ARS, convention de télémédecine entre les médecins et l’organisme, contrat avec l’hébergeur agréé de données de santé), (2) sur des contrats nécessaires (consortium, assistance à la maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, SSII, Web agency, sous-traitants, fabricants de dispositifs médicaux, opérateur de télécommunications, soutiens financiers, évaluateurs…).
Cet environnement contractuel complexe (prestations de diverses natures, articulation des rôles/missions, tiers technologique au cœur de la fourniture d’actes médicaux…) implique de nombreux faits générateurs de responsabilité qui requièrent (1) la mise en place d’une architecture contractuelle cohérente par rapport au projet, (2) couvrant toutes les opérations et les prestations, (3) articulant de manière organisée et hiérarchisée les différentes responsabilités.
À ce titre, il convient de (i) définir les liens contractuels à mettre en place dans le cadre du projet (partenaires, industriels de santé, payeurs prestataires de conseil et technologiques, professionnels de santé, patients), (ii) prévoir une matrice de responsabilités afin de rendre opposable à tous, la même articulation des sources de responsabilités, (iii) réaliser un tableau de bord de suivi des contrats, (iv) et évidemment une cartographie de l’assurabilité des risques et leur couverture.
Sur ce dernier point, évidemment le statut des médecins délivrant les actes de télémédecine sera déterminant du cadrage des sources de responsabilité et de la souscription des assurances subséquentes – salariés, indépendants, exerçant en établissements de soins…
En conclusion, la mise en œuvre d’un programme de télémédecine repose sur une ingénierie juridique relativement complexe, et il est recommandé de s’organiser afin de mettre en œuvre des bonnes pratiques de conformité légale. Dans le cadre des projets déployés, la complexité juridique et réglementaire est relevée comme un facteur de frein au développement de l’innovation et de l’industrialisation en la matière.
(1) Loi n° 2009-879 du 21?juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (dite loi « HPST ») et décret n°2010-1229 du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine
(2) Vade-mecum Télémédecine Ordre national des médecins - septembre?2014
(3) Articles L. 1161-1 et suivant CSP
(4) Article L. 5211-1 CSP
(5) Article L 4011-2 et suivants CSP
(6) Articles R 6121-3 et suivants CSP
(7) Article L. 161-38 CSS