Par Benjamin Jacob, avocat associé. PDGB
Hésitations persistantes sur le statut des places de marché en ligne
Plus de dix ans après son adoption, le champ d’application du régime de responsabilité des prestataires techniques du Web, et surtout des hébergeurs, fait toujours débat. S’agissant de la qualification juridique des places de marché en ligne, la Cour de justice a récemment donné les lignes directrices censées permettre aux juridictions des États membres de leur accorder, ou non, le statut d’hébergeur.
Il y a déjà plus de dix ans, le législateur européen a instauré un régime de responsabilité spécifique pour les prestataires techniques du Web, afin notamment de mettre un terme aux divergences observées entre les législations et jurisprudences des États membres en matière de responsabilité des prestataires techniques sur internet (directive 2000/31 sur le commerce électronique, considérant 40). Parmi ces prestataires dits «?intermédiaires?» figurent les hébergeurs qui, aux termes de l’article 14 de la directive 2000/31, ne peuvent être tenus responsables des informations qu’ils stockent, sous réserve qu’ils n’aient pas effectivement connaissance du caractère illicite de l’information ou, qu’ils aient agi promptement pour retirer ou empêcher l’accès au contenu dont ils ont eu connaissance du caractère illicite. Cette règle fonde ainsi le régime de responsabilité des prestataires d’hébergement, transposé en droit interne par l’article 6.1.2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN). Force est de constater que plus de dix ans plus tard, l’effort du législateur communautaire n’a pas intégralement porté ses fruits, ce qu’illustrent parfaitement les plus récentes décisions rendues en matière de responsabilité des exploitants de places de marché en ligne, à l’instar du site eBay.
Les derniers éclaircissements apportés par la Cour de justice…
Saisie de diverses questions préjudicielles par la High Court of Justice britannique, la Cour de justice de l’Union européenne devait notamment se prononcer sur le point de savoir si le service fourni par l’exploitant d’une place de marché relève ou non du régime de responsabilité dérogatoire de l’hébergeur, tel que défini par l’article 14 de la directive 2000/31. Pour répondre à cette question, la Cour commence par affirmer que le service en cause constitue bien un «?service?» au sens de la directive 2000/31, et constitue même un «?service de la société de l’information?». La Cour précise alors que pour bénéficier du régime dérogatoire de responsabilité prévu par la directive 2000/31, la circonstance que le service comprenne le stockage d’informations transmises par ses clients n’est pas suffisante. La Cour ajoute qu’il est essentiel que le prestataire soit un «?prestataire intermédiaire?», et rappelle que tel n’est pas le cas lorsque le prestataire, au lieu de se limiter à une fourniture neutre du service au moyen d’un traitement purement technique et automatique des données fournies par ses clients, joue un rôle actif de nature à lui donner une connaissance ou un contrôle de ces données. La Cour considère alors que le simple fait que le prestataire assurant le stockage d’information fixe les modalités de son service, soit rémunéré et donne des renseignements d’ordre général à ses clients, ne saurait avoir pour effet de le priver du régime dérogatoire prévu par la directive. En revanche, il n’en va pas de même si l’exploitant du service a prêté une assistance consistant notamment à optimiser la présentation des offres en ligne, ou à les promouvoir. Dans ce dernier cas, la Cour considère que l’exploitant joue un rôle actif lui conférant une connaissance ou un contrôle des données relatives auxdites offres, de sorte qu’il ne peut plus se prévaloir du régime dérogatoire de l’article 14 de la directive 2000/31. Bien entendu, à l’issue de cette analyse, la Cour n’a pas statué sur le régime de responsabilité applicable au service eBay, mais a invité la juridiction de renvoi à examiner si ce service avait ou non joué un rôle actif dans les ventes en cause.
… face aux dernières contradictions des juges du fond
Retour en France, quelques mois suivant cette décision de la Cour de justice. Suite à un jugement du tribunal de grande instance de Fontainebleau, la cour d’appel de Paris a été amenée à statuer sur le régime de responsabilité applicable au service eBay, et plus précisément à indiquer si ce service pouvait ou non se prévaloir du régime de responsabilité dérogatoire prévu par l’article 6.1.2 de la LCEN. Reprenant l’analyse développée par la Cour de justice dans sa décision du 12?juillet 2011, la cour d’appel s’est alors interrogée sur le point de savoir si le site eBay jouait ou non un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données fournies par ses clients. La cour a alors relevé que le site eBay n’occupe pas une position neutre entre le client vendeur et les acheteurs potentiels, mais au contraire, joue un rôle actif dans l’assistance, le suivi et la promotion des ventes. Au demeurant, la cour a relevé que l’hébergement des annonces ne constitue que le support de l’activité principale du site, à savoir l’intermédiation. Ainsi, la cour d’appel a considéré que le site ne tire pas profit uniquement du stockage de données, mais également de la «?valeur attractive?» des marchandises mises aux enchères. Aussi, la cour a considéré que le site ne se contente pas simplement d’héberger les données, mais les exploite également. De ce fait, la cour d’appel de Paris a retenu que le service eBay ne peut prétendre au statut d’hébergeur tel que défini par la LCEN, ni a fortiori bénéficier du régime dérogatoire de responsabilité dont il profite.
Reste que plus récemment et en suivant également le raisonnement de la Cour de justice, le tribunal de grande instance de Paris a abouti à une conclusion radicalement inverse. Ainsi, le tribunal a tout d’abord indiqué que les opérations techniques de présentation et d’organisation mettant en valeur les annonces n’induisent pas une sélection et un contrôle sur les contenus, pour ensuite préciser que la circonstance que l’exploitant du site perçoit une commission sur la vente finalement réalisée n’exclut pas la qualification d’hébergeur. Enfin, le tribunal a considéré que les outils d’alerte, d’évaluation des vendeurs, de paiement en ligne, ou encore de promotion automatique des annonces, ne sont pas de nature à impliquer un rôle actif de nature à conférer à l’exploitant du service une connaissance ou un contrôle des données qu’il stocke. Le tribunal retient donc qu’à défaut de rôle actif, le site doit être qualifié d’hébergeur au sens de l’article 6.1.2 de la LCEN.
À l’évidence, plus de dix ans après son élaboration, le régime de responsabilité des intermédiaires techniques instauré par la directive 2000/31, assorti des précisions apportées par les décisions de la Cour de justice, reste diversement appliqué par les tribunaux, au seul niveau national. Gageons que la Cour de cassation viendra (encore) nous apporter quelques précisions sur les modalités d’application de l’article 6.1.2 de la LCEN.
Il y a déjà plus de dix ans, le législateur européen a instauré un régime de responsabilité spécifique pour les prestataires techniques du Web, afin notamment de mettre un terme aux divergences observées entre les législations et jurisprudences des États membres en matière de responsabilité des prestataires techniques sur internet (directive 2000/31 sur le commerce électronique, considérant 40). Parmi ces prestataires dits «?intermédiaires?» figurent les hébergeurs qui, aux termes de l’article 14 de la directive 2000/31, ne peuvent être tenus responsables des informations qu’ils stockent, sous réserve qu’ils n’aient pas effectivement connaissance du caractère illicite de l’information ou, qu’ils aient agi promptement pour retirer ou empêcher l’accès au contenu dont ils ont eu connaissance du caractère illicite. Cette règle fonde ainsi le régime de responsabilité des prestataires d’hébergement, transposé en droit interne par l’article 6.1.2 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN). Force est de constater que plus de dix ans plus tard, l’effort du législateur communautaire n’a pas intégralement porté ses fruits, ce qu’illustrent parfaitement les plus récentes décisions rendues en matière de responsabilité des exploitants de places de marché en ligne, à l’instar du site eBay.
Les derniers éclaircissements apportés par la Cour de justice…
Saisie de diverses questions préjudicielles par la High Court of Justice britannique, la Cour de justice de l’Union européenne devait notamment se prononcer sur le point de savoir si le service fourni par l’exploitant d’une place de marché relève ou non du régime de responsabilité dérogatoire de l’hébergeur, tel que défini par l’article 14 de la directive 2000/31. Pour répondre à cette question, la Cour commence par affirmer que le service en cause constitue bien un «?service?» au sens de la directive 2000/31, et constitue même un «?service de la société de l’information?». La Cour précise alors que pour bénéficier du régime dérogatoire de responsabilité prévu par la directive 2000/31, la circonstance que le service comprenne le stockage d’informations transmises par ses clients n’est pas suffisante. La Cour ajoute qu’il est essentiel que le prestataire soit un «?prestataire intermédiaire?», et rappelle que tel n’est pas le cas lorsque le prestataire, au lieu de se limiter à une fourniture neutre du service au moyen d’un traitement purement technique et automatique des données fournies par ses clients, joue un rôle actif de nature à lui donner une connaissance ou un contrôle de ces données. La Cour considère alors que le simple fait que le prestataire assurant le stockage d’information fixe les modalités de son service, soit rémunéré et donne des renseignements d’ordre général à ses clients, ne saurait avoir pour effet de le priver du régime dérogatoire prévu par la directive. En revanche, il n’en va pas de même si l’exploitant du service a prêté une assistance consistant notamment à optimiser la présentation des offres en ligne, ou à les promouvoir. Dans ce dernier cas, la Cour considère que l’exploitant joue un rôle actif lui conférant une connaissance ou un contrôle des données relatives auxdites offres, de sorte qu’il ne peut plus se prévaloir du régime dérogatoire de l’article 14 de la directive 2000/31. Bien entendu, à l’issue de cette analyse, la Cour n’a pas statué sur le régime de responsabilité applicable au service eBay, mais a invité la juridiction de renvoi à examiner si ce service avait ou non joué un rôle actif dans les ventes en cause.
… face aux dernières contradictions des juges du fond
Retour en France, quelques mois suivant cette décision de la Cour de justice. Suite à un jugement du tribunal de grande instance de Fontainebleau, la cour d’appel de Paris a été amenée à statuer sur le régime de responsabilité applicable au service eBay, et plus précisément à indiquer si ce service pouvait ou non se prévaloir du régime de responsabilité dérogatoire prévu par l’article 6.1.2 de la LCEN. Reprenant l’analyse développée par la Cour de justice dans sa décision du 12?juillet 2011, la cour d’appel s’est alors interrogée sur le point de savoir si le site eBay jouait ou non un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des données fournies par ses clients. La cour a alors relevé que le site eBay n’occupe pas une position neutre entre le client vendeur et les acheteurs potentiels, mais au contraire, joue un rôle actif dans l’assistance, le suivi et la promotion des ventes. Au demeurant, la cour a relevé que l’hébergement des annonces ne constitue que le support de l’activité principale du site, à savoir l’intermédiation. Ainsi, la cour d’appel a considéré que le site ne tire pas profit uniquement du stockage de données, mais également de la «?valeur attractive?» des marchandises mises aux enchères. Aussi, la cour a considéré que le site ne se contente pas simplement d’héberger les données, mais les exploite également. De ce fait, la cour d’appel de Paris a retenu que le service eBay ne peut prétendre au statut d’hébergeur tel que défini par la LCEN, ni a fortiori bénéficier du régime dérogatoire de responsabilité dont il profite.
Reste que plus récemment et en suivant également le raisonnement de la Cour de justice, le tribunal de grande instance de Paris a abouti à une conclusion radicalement inverse. Ainsi, le tribunal a tout d’abord indiqué que les opérations techniques de présentation et d’organisation mettant en valeur les annonces n’induisent pas une sélection et un contrôle sur les contenus, pour ensuite préciser que la circonstance que l’exploitant du site perçoit une commission sur la vente finalement réalisée n’exclut pas la qualification d’hébergeur. Enfin, le tribunal a considéré que les outils d’alerte, d’évaluation des vendeurs, de paiement en ligne, ou encore de promotion automatique des annonces, ne sont pas de nature à impliquer un rôle actif de nature à conférer à l’exploitant du service une connaissance ou un contrôle des données qu’il stocke. Le tribunal retient donc qu’à défaut de rôle actif, le site doit être qualifié d’hébergeur au sens de l’article 6.1.2 de la LCEN.
À l’évidence, plus de dix ans après son élaboration, le régime de responsabilité des intermédiaires techniques instauré par la directive 2000/31, assorti des précisions apportées par les décisions de la Cour de justice, reste diversement appliqué par les tribunaux, au seul niveau national. Gageons que la Cour de cassation viendra (encore) nous apporter quelques précisions sur les modalités d’application de l’article 6.1.2 de la LCEN.