« Il existe un équilibre implicite avec l’État : nous conservons nos activités en France et il nous aide à l’export. »
Décideurs. Comment - pour une multinationale - trouver un équilibre entre un centre de gravité économique qui se déplace à l’étranger et une entreprise ancrée en France, a fortiori lorsqu’elle a été sauvée par l’État en 2003 ?

Nicolas Tissot.
L’intervention de l’État a permis de sauver ce fleuron industriel français qu’est Alstom. S’il s’est retiré du capital du groupe en 2006, beaucoup de nos clients sont des groupes publics tels qu’EDF ou la SNCF. Notre relation a donc plutôt une base collaborative. Par exemple, comme nous sommes un utilisateur important des systèmes de financement export, il existe un équilibre implicite : Alstom conserve des capacités de production en France, et en contrepartie, les pouvoirs publics nous aident à utiliser ses capacités pour exporter à l’étranger de façon compétitive.
Sans cette coopération, nous aurions du mal à justifier le niveau d’activité en France puisque Alstom y regroupe 20 % de ces effectifs contre seulement 10 % de son chiffre d’affaires. Depuis plus de deux ans, plus de la moitié de nos prises de commande proviennent du monde émergent. Depuis le début de la crise actuelle, nous avons fait le choix de changer notre modèle de développement pour conquérir de nouveaux marchés. Le groupe s’est transformé de manière profonde en redéployant ses ressources d’ingénierie ainsi que ses moyens industriels et commerciaux. Cependant, je crois à l’avenir de l’industrie française qui a de nombreux atouts. Ainsi, grâce au succès de notre consortium avec EDF Énergies Nouvelles, nous développons une filière de production d’éoliennes off shore en France. Pour la première fois depuis trente ans, nous construisons quatre usines en France.


Décideurs. Quels sont les éléments de votre stratégie financière auxquels vous êtes particulièrement attentifs ?

N. T.
Du fait de son histoire mouvementée, le groupe est très attentif à la solidité de sa structure financière et à sa liquidité. Ainsi notre liquidité s’appuie sur une ligne de back up de 1,35 milliard d’euros (ligne de crédit confirmée non tirée auprès de dix-huit banques) et de 1,6 milliard d’euros de trésorerie.
Attention, solidité financière ne veut pas dire pour autant absence d’investissement. Notre développement est largement autofinancé et le groupe investit plus qu’il n’amortit. Le groupe investit environ 450 millions d’euros par an contre 300 millions d’euros d’amortissement. Notre seconde « vache sacrée » est la R&D dans laquelle nous investissons 700 à 800 millions d’euros par an. En effet, l’avenir du groupe dépend de notre capacité à constamment innover et améliorer nos performances industrielles. Pour cela, nous devons générer suffisamment de cash-flow.
Notre dette est maintenant largement désintermédiée (90 % en obligations). Par ailleurs, la nature de nos activités nous amène à prendre en permanence des engagements de performance, de délai, etc., qui sont couverts par des garanties financières émises par un pool très diversifié de banques et de compagnies d’assurance. Nous émettons entre quatre à cinq milliards de garantie par an ce qui fait d’Alstom l’un des premiers émetteurs français. Ces garanties sont essentielles vis-à-vis de nos clients car elles sont un signe de notre engagement à leur égard.


Décideurs. Récemment, le groupe Alstom a effectué une augmentation de capital. Qu’est-ce que vous a conduit à privilégier ce type de financement ?

N. T.
En France, augmenter son capital reste tabou, comme si on ne pouvait pas créer de valeur de cette façon ! Nous avons choisi cette approche pour soutenir notre stratégie de développement et financer plusieurs opérations de croissance externe, notamment une prise de participation dans le leader russe du matériel ferroviaire. Nous avons considéré qu’il aurait été peu rigoureux de ne choisir que l’endettement aussi peu cher soit-il. L’opération choisie a été un ABB (accelerated book building) pour sa souplesse et sa rapidité lorsque les conditions de marché sont réunies. Cela nous a permis de lever 350 millions d’euros avec une décote très limitée et sans rester exposé à un risque de marché.


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