Sept offres, quatre interventions de l’AMF, deux rencontres secrètes, un an et demi de rebondissements… Le combat entre Fosun et Bonomi restera comme la plus longue bataille boursière qu’ait connue la place de Paris. Retour sur cette OPA historique avec les dates clés.
Le Club Med en chiffres

- 1,38 MD€ de chiffre d’affaires.
- 9 M€ de déficit.
- Un ratio d’endettement de 12 %, en baisse de 15 points sur un an.
- 1,2 M de gentils membres, dont 36 % en France.
- En 5 ans, la proportion de clients 4 et 5 tridents est passée de 45 % à 73 %.

En ce début d’après-midi du 24 septembre 2013, Henri Giscard d’Estaing, P-DG du Club Méditerranée, et Guo Guangchang, fondateur du conglomérat Fosun, ont le sourire : ils viennent d’inaugurer en grande pompe leur deuxième village chinois. Et si les deux hommes sont si heureux, c’est qu’ils attendent confiants la décision de la cour d’appel de Paris. Cette dernière doit se prononcer le lendemain sur les recours déposés contre l’offre publique d’achat (OPA) réalisée par l’homme d’affaires chinois sur le Club Med. Ils sont alors loin d’imaginer le parcours du combattant qui les attend.

25?juin 2013. Après six mois de négociations, Fosun, premier actionnaire du groupe avec près de 10?% du capital, et Axa Private Equity déposent, en accord avec le management, une offre publique d’achat au prix de 17,50?euros par action. Un montant qui valorise le Club Med à 540?millions d’euros. Pour se libérer des contraintes de court terme et se donner plus de marge de manœuvre, Fosun prévoit, une fois l’opération terminée, de retirer le Club Med de la cote pour une période de quatre à cinq ans. L’offre est alors bien perçue par le comité d’entreprise qui donne son accord.

24 juillet 2013. Premier retournement de situation : un actionnaire minoritaire, le fonds Charity & Investment Merger Arbitrage (Cima) dépose un recours contre la décision de conformité de l’OPA. Le lendemain, Colette Neuville, présidente de l’Association de défense des actionnaires minoritaires (Adam), annonce qu’elle fait de même. Les deux recours vont bloquer l’opération durant pas moins de quatre mois.

25 septembre 2013. La décision tant attendue par Henri Giscard d’Estaing et Guo Guangchang ne vient pas, la cour d’appel de Paris repoussant son verdict au printemps, une éternité. Un an plus tard, le P-DG dira à l’un de ses proches qu’après tous ces rebondissements, ce n’était qu’un «?petit contretemps?».

29 avril 2014. La cour d’appel de Paris rejette les recours contre l’OPA, confirmant ainsi les décisions de l’AMF. L’opération va enfin pouvoir aboutir. «?Si tous les recours ont été finalement déboutés, le délai nécessaire à l’obtention de cette décision a suscité le mécontentement de l’ensemble des acteurs. Il y a une incompatibilité entre le calendrier de la justice et celui des affaires, en particulier des offres publiques?», analyse Jeremy Scemama, associé chez DLA Piper et conseil de Fosun. Pour répondre à ces critiques, le Sénat a adopté un amendement qui limite le délai de réponse de la cour d’appel à quatre mois. «?C’est une bonne chose mais je suis assez sceptique quant aux moyens humains dont dispose la justice française pour respecter le délai?», nuance Jeremy Scemama.

11 mai 2014. Andrea Bonomi fait son entrée en jeu. Par l’intermédiaire de Strategic Holdings, véhicule d’investissement de son groupe BI-Invest, il vient perturber l’OPA expliquant vouloir monter à 10?% du capital. Du côté du management et de Fosun, la surprise est totale. «?Quand on travaille sur une offre, on se prépare bien évidemment à des rebondissements. Mais ce qui allait se passer avec Bonomi était à ce moment-là inenvisageable?», commente Alexis Marraud des Grottes, avocat chez Orrick Rambaud Martel. Neuf jours plus tard, la menace du financier italien est mise à exécution : il devient l’actionnaire principal du Club Med.

26 mai 2014. L’AMF finit par intervenir : elle oblige Andrea Bonomi à indiquer ses intentions. «?C’est la première fois que ce mécanisme qualifié de “put up or shut up” est employé dans le cadre d’une offre publique?», précise Jeremy Scemama. Dans les médias, Andrea Bonomi confirme son envie de prendre le contrôle du Club Med. Il n’exclut pas de lancer une contre-offre en s’associant à Investindustrial. Le lendemain, Gaillon Invest, le fonds de Fosun, confirme qu’il n’a pas l’intention de relever son offre au-delà du prix de 17,50?euros par action. La partie de poker commence.

26 juin 2014. Guo Guangchang sort de son silence et indique son incompréhension face aux récents agissements d’Andrea Bonomi. Il affirme aussi qu’il n’est pas question pour son groupe de «?changer de partenaires?». Pourtant, les deux hommes d’affaires s’étaient rencontrés à Shanghai pour trouver un terrain d’entente afin de porter une offre commune. Mais, face aux différends stratégiques, le rapprochement ne se fera pas. Les deux hommes se reverront mais là encore, les négociations échoueront.

30 juin 2014.
Un jour avant l’entrée en application des dispositions de droit social de la loi Florange, Andrea Bonomi officialise sa contre-offre et renchérit à 21 euros par action. Pour l’avocat Alexis Marraud des Grottes, «?ce n’est pas un hasard car cela a entraîné une distorsion entre les offres puisque celle de Gaillon Invest II, déposée par la suite, était entièrement soumise à la loi Florange?». L’offre de Fosun devra donc être votée par le comité d’entreprise.

25 juillet 2014. Nouveau coup dur pour Fosun : le conseil d’administration du Club Med déclare la contre-OPA de Bonomi «?conforme?» aux intérêts des actionnaires. Il soulève néanmoins des interrogations sur la stratégie du projet. Andrea Bonomi veut se concentrer sur le moyen de gamme et sur l’Europe, rappelant que la clientèle française représente 36?% de ses GM (gentils membres). À l’opposé, Henri Giscard d’Estaing souhaite la fin des deux tridents avec comme objectif d’ici deux ans que 70?% des villages soient des 4 et 5 tridents. Des différences sur lesquelles Fosun compte bien jouer. «?Durant tout le bras de fer, notre stratégie de communication n’a pas changé : montrer que l’offre de Fosun s’inscrivait sur le long terme avec une continuité stratégique et actionnariale?», explique Estelle Guillot-Tantay, associée chez Image 7 en charge de la communication pour Fosun.

12 septembre 2014. Fosun décide finalement de renchérir et dépose une nouvelle offre. Le fonds chinois est, cette fois-ci, chef de file en prenant 85?% du groupement d’investissement. Fidelidade, une compagnie d’assurances portugaise contrôlée par Fosun, est également associée à l’offre. La contre-OPA repose sur un prix par action de 22 euros. Elle est recommandée par le conseil d’administration le 6 octobre. En interne, elle est néanmoins loin de faire l’unanimité. «?La première offre a été bien accueillie par le comité d’entreprise. Ce n’est qu’une fois la contre-proposition de Bonomi dévoilée que des tensions internes sont apparues?», constate la déléguée centrale de la CFTC. Car Andrea Bonomi a su séduire certains syndicats. «?En positionnant Serge Trigano comme directeur général non-exécutif dans son offre, Andrea Bonomi a su séduire les salariés nostalgiques du temps passé?», explique Jean-Michel Cartier, membre du comité d’entreprise. C’est surtout la promesse de Fosun de distribuer des actions aux 400 meilleurs managers de la société qui a créé une fracture entre le président et les salariés. À tel point que les deux syndicats, FO et Unsa, ont pris parti pour le projet de Bonomi. Autre point de doute pour les salariés, la nationalité de l’investisseur. Andrea Bonomi joue sur cette peur et insiste sur le fait que le Club Med restera, avec lui, une société européenne. «?Nous avons dû rassurer sur le fait que Club Med sera toujours une marque française car c’est bien ce savoir-faire français que recherchent les clients chinois notamment?», rappelle Estelle Guillot-Tantay.

11 novembre 2014. Épaulé par l’américain KKR, Andrea Bonomi rachète des titres sur le marché pour un prix de 23 euros par action. Dans ce cas, il est prévu que l’offre lancée par l’acheteur de blocs d’actions soit automatiquement relevée. En dehors du prix, les conditions de l’offre de l’Italien n’étant pas modifiées, il ne s’agit pas d’une nouvelle proposition. Le calendrier n’est donc pas bouleversé. Andrea Bonomi met ainsi l’investisseur chinois au pied du mur puisqu’il n’a plus que cinq jours de Bourse avant la clôture de l’offre en cours pour se positionner. En raison d’un week-end et d’un jour férié, cela ne laisse à Fosun que deux jours. Comprenant la manœuvre, l’AMF décide de proroger jusqu’au 1er décembre les offres. Par la suite, le régulateur interviendra une deuxième fois pour accélérer les négociations : «?Alors qu’un investisseur a en général un mois après la dernière offre pour surenchérir, l’AMF a réduit le délai à quinze jours?», explique Alexis Marraud des Grottes.

1er décembre 2014. Après des jours de négociations serrées, Fosun et son assureur portugais Fidelidade ont relevé leur offre à 23,5 euros. Fosun explique que son effort supplémentaire – par rapport aux 22 euros qu’il offrait en septembre dernier – est intégralement financé en fonds propres. La surenchère ne ferait donc pas peser plus d’endettement (230 millions d’euros) sur le holding d’acquisition du Club Med.

5 décembre 2014. Cette fois-ci, la contre-offre d’Andrea Bonomi ne se fait pas attendre. Il relève son offre à 24 euros par action en s'appuyant sur le fonds américain KKR comme associé minoritaire.

19 décembre 2014. Fosun attend la fin du délai : 24,60?euros par titre valorisant la société à 939?millions d’euros… Une fois de plus, le groupe chinois puise dans ses fonds propres puisqu’il ne compte s’endetter qu’à hauteur de 280?millions d’euros. Au total, les nouveaux propriétaires envisagent d’investir 1,1?milliard d’euros sur la période 2015-2017, dont 250?millions financés par les partenaires immobiliers.

2 janvier 2015. Andrea Bonomi finit par abandonner. Du côté de Fosun, on reste discret malgré la victoire, le prix exorbitant venant gâcher la fête. «?Nous nous sommes souvent interrogés sur la pertinence des offres de Bonomi et KKR alors que ces derniers ont une logique d’investissement à moyen terme. Le prix fait plus sens dans une logique industrielle de long terme. Je ne pense pas que nous ayons surpayé?», estime un cadre du Club Med. En faisant gonfler le cours de l’action, Andrea Bonomi a gagné environ vingt millions d’euros. «?Pour la majorité des salariés du Club Med, l’homme d’affaires italien était perçu comme une sorte de Bernard Tapie italien, un investisseur opportuniste à court terme qui fait tout pour augmenter le prix de l’action?», commente la déléguée centrale de la CFTC.

5 mars 2015. Près de deux ans après la première offre, l’OPA est enfin terminée. D’ici quelques années, quand les investissements commenceront à porter leurs fruits, Henri Giscard d’Estaing et Guo Guangchang procéderont à une introduction en Bourse sur une place asiatique. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’ils sauront s’ils ont payé trop cher. Certains disent qu’ils auraient été prêts à payer plus. Henri Giscard d’Estaing aurait répondu à un proche qui le questionnait à ce sujet : «?Une fois la partie de poker finie, on ne dévoile jamais son jeu.

V.P.

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