Difficile de faire un choix de sept ouvrages tant cette rentrée littéraire est un bon cru. Voici ceux retenus par Décideurs Magazine. Une sélection à laquelle vous adhérez ?
Rentrée littéraire, découvrez notre sélection
Robinsonnade patagonienne
En 1740, le vaisseau anglais Wager coule au large de la Patagonie peu après avoir doublé le Cap Horn. Les survivants échouent sur une petite île quasiment dépourvue de ressources et loin de tout. La clé de la survie réside dans la solidarité mais, très vite, des clans se forment. L’un autour du très rigide capitaine Cheap, l’autre autour du débrouillard charpentier Bulkeley. Affamés, malades, les membres des deux clans construisent une embarcation pour tenter de rejoindre la civilisation. Chaque groupe parvient au prix de nombreux morts et de longues années à rejoindre l’Angleterre où la Royal Navy mène une enquête pour savoir qui est responsable de quoi. Ce roman mêle robinsonnade, récit de marins (abordages, tempêtes, discipline à bord) et Histoire. De quoi s’évader et ressentir le frisson de l’aventure. En 2025, le récit tiré d’une histoire vraie sera adapté au cinéma par Martin Scorsese avec Leonardo DiCaprio dans le rôle principal.
Les Naufragés du Wager, de David Grann, Éditions du sous-sol, 448 pages, 23,50 euros
Ver l’avenir
Kevin et Arthur, deux étudiants à AgroParisTech, se lient d’amitié. Passionnés par l’étude des vers de terre, ils rêvent de changer le monde en le rendant plus respectueux de l’environnement. Le premier, fils d’ouvriers agricoles du Limousin, se lance dans l’entrepreneuriat en créant une start-up spécialisée dans le vermicompostage (les vers de terre recyclent les déchets). Le second, fils d’un célèbre avocat de gauche parisien, retourne dans la ferme de ses ancêtres ravagée par les pesticides et tente de la faire renaître. Pour les deux, c’est un voyage en terre inconnue qui commence. L’enfant du peuple est confronté au mépris de classe insidieux, à un univers grouillant de business angels sans scrupule, de communicants, de journalistes médiocres mais suffisants, de technocrates et de diplômés de grandes écoles pleins de morgue, de progressistes sectaires prêts à invoquer la carte « patriarcat» pour éliminer un rival. Arthur, pour sa part, découvre les déconvenues d’un « bobo » néorural. À la manière d’un Maupassant, d’un Proust ou d’un Houellebecq, Gaspard Koenig dresse le portrait sarcastique et grinçant d’une époque. Une délicieuse peinture de mœurs, quelque peu éclipsée par la fin du livre.
Humus, de Gaspard Koenig, L’Observatoire, 384 pages, 22 euros
L’Himalaya français
C’est un événement majeur dans le monde de l’alpinisme. En 1950, Maurice Herzog et Louis Lachenal conquièrent l’Annapurna. Pour la première fois l’homme gravit un sommet à plus de 8 000 mètres. Pour la France de l’après-guerre, c’est la preuve que le pays est toujours héroïque. Au cours de l’expédition, Maurice Herzog perd une main et ses pieds. L’écrivain Thomas Vennin lui fait perdre la vie. Son compagnon de cordée, le guide chamoniard Louis Lachenal, est accusé d’abandon, de lâcheté. Après des années de dépression, il choisit de racheter sa « faute ». Alors qu’Allemands, Britanniques, Suisses, Italiens se livrent vainement à une guerre des sommets, il décide de s’attaquer à l’Everest en « mode commando ». Une cordée baroque réunit la couturière Claude Kogan, l’aventurier genevois Raymond Lambert ainsi que le sherpa Tenzing (qui, dans la vraie vie, est le premier conquérant du toit du monde avec Edmund Hillary). Un récit palpitant qui ravira les amateurs d’uchronie, d’alpinisme ou les lecteurs curieux.
Le papillon de Lachenal, de Thomas Vennin, Éditions Paulsen Guérin, 224 pages, 15 euros
Huis clos
C’est un pari presque fou et pourtant très réussi. Dans son premier roman, Cécile Tlili raconte durant 192 pages un dîner entre amis. Une situation banale où un couple à la vie bien remplie est invité chez un autre. Chacun des protagonistes arrive à un moment charnière de son existence: Johar vient de se voir proposer un poste qui ne se refuse pas, son mari Rémi la trompe et a l’esprit ailleurs quand Étienne, à la recherche de clients, souhaite relancer sa carrière d’avocat.
Reste Claudia, la timide compagne d’Étienne, qui n’a pas encore annoncé sa grossesse et subit ce repas plus que tous les autres. On découvre la vie intérieure de ces Parisiens rongés par la crainte et l’envie, mais surtout par le besoin d’être alignés avec ce qu’ils sont vraiment. Dans ce huis clos quasi étouffant, les femmes parviennent à s’émanciper malgré les injonctions de la société
Un simple dîner, de Cécile Tlili, Calmann-Lévy, 192 pages, 18 euros
Entre fleurs et racines
Sylvain tient une boutique d’orchidées près de la place des Victoires. Tel un bon libraire, il cherche les pépites, connaît sur le bout des doigts toutes ses références, écoute et conseille ses clients afin de comprendre ce qu’ils souhaitent vraiment. L’orchidéiste nous emmène dans des appartements d’apparat, nous fait partager des pans de vie de couples où l’un couvre l’autre de fleurs et jette un œil circonspect sur ceux qui n’aiment que les grandes orchidées blanches un brin m’as-tu-vu. Il raconte aussi l’histoire de ces 30000 espèces qu’il affectionne et que l’on retrouve tant sous leurs formes les plus précieuses que par caisses entières à bas prix chez Leroy Merlin. Mais ce qui remue le plus Sylvain ce sont ses racines: un grand-père absent, un père qui s’est donné la mort et la peur de ne pas parvenir à transmettre le fruit de son travail. Vidya Narine signe ici son premier roman, une réussite.
Orchidéiste, de Vidya Narine, Les Avrils, 144 pages, 18 euros
Turing à la folie
Au début de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement britannique réunit les meilleurs scientifiques du pays dans le camp secret de Bletchley Park pour contrer l’Allemagne nazie. Parmi eux, le cryptoanalyste et mathématicien Alan Turing qui restera dans l’Histoire comme celui qui a réussi à percer les codes secrets d’Enigma, système de transmission utilisé par la Wehrmacht. Cette BD revient sur l’épisode en mettant l’accent sur la personnalité du scientifique. Homosexuel refoulé, sociopathe, utopiste, poète, fasciné par Blanche-Neige: Turing marche pendant des années au bord des marécages de la folie avant de s’y engluer peu à peu. Une évolution tragique que retrace cette création des éditions Les Arènes avec un dessin oscillant entre réalisme et psychédélisme. Le rendu final est peu commun mais ne manque pas de charme.
Le cas Alan Turing, Histoire extraordinaire et tragique d’un génie, d’Arnaud Delalande et Éric Liberge, Les Arènes BD, 95 pages, 21 euros
Manger à tous les temps
Vu de l’étranger, les Parisiens se caractérisent par leur capacité à parler de nourriture partout et tout le temps. Et cela dure depuis le Moyen Âge! Il suffit de parcourir l’ouvrage de Patrick Rambourg pour le réaliser. L’auteur nous amène dans tous les lieux gastronomiques de la capitale: bouchers durant la guerre de Cent Ans, pâtissiers de la Renaissance, vendeurs de pâtés des faubourgs, premiers cafés, établissements bourgeois de la Belle Époque… Au-delà de la description, l’historien recense des témoignages sur les recettes, les goûts, les sources d’approvisionnement. Un ouvrage dont on peut se délecter avant de parcourir les rues de la capitale où kebabs, fast-food, établissements « hipsters », pubs et restaurants gastronomiques s’inscrivent dans un héritage qui n’a connu que peu de ruptures.
Histoire du Paris gastronomique du Moyen Âge à nos jours, de Patrick Rambourg, Perrin, 400 pages, 24 euros
Lucas Jakubowicz, Olivia Vignaud