Anne-Sophie Le Lay (Renault) : « Affirmer la valeur ajoutée stratégique du regard juridique »
Décideurs. Quels sont les enjeux du basculement vers la dimension « general counsel group » du directeur juridique ?
Anne-Sophie Le Lay. Le directeur juridique a une fonction de dire le droit et de produire des notes juridiques. Avec la dimension de general counsel, le directeur juridique apporte au top management de son entreprise la valeur ajoutée stratégique de son regard juridique : les enjeux juridiques deviennent de facto un maillon important de la chaîne des décisions. Le directeur juridique en mode general counsel est un acteur intégré dans l’évolution de l’entreprise, au cœur des décisions stratégiques avec les autres métiers clés de l’entreprise.
Décideurs. Quel impact sur votre équipe ?
A.-S. Le L. Ce statut a un impact direct pour mon équipe de juristes et d’ingénieurs brevets puisqu’il oblige chacun de ses membres à avoir un rôle stratégique. Cela les incite à se mettre en mouvement, au service de cette perspective d'expertise stratégique à déployer. C'est une évolution enthousiasmante et collective. Par exemple, pour être au plus près des opérationnels, chaque note juridique contient un executive summary qui vient leur proposer la solution clé en main, prête à être déployé. D’ailleurs, les juristes sont présents dans les comités clés et moi-même dans les comités business (gestion des risques, propriété intellectuelle, protection des marques, comité partenariats etc.). La matière juridique enrichit la compréhension des enjeux stratégiques de l’entreprise, elle la rend pleinement performante.
C’est aussi le développement d’une fonction globalisée. Les sujets locaux sont traités avec le siège du groupe pour fédérer cette dimension au bon niveau et ainsi éviter qu’un petit problème local ne devienne un gros problème mondial.
Décideurs. Inspiré du general counsel américain, le general counsel français est cependant dépourvu d’atouts importants comme la gestion des affaires publiques ou la confidentialité des avis…
A.-S. Le L. C’est exact mais, finalement, le general counsel européen évolue aussi vite que son homologue américain parce que nos entreprises exigent qu'il investisse ce rôle, notamment en ce qui concerne le lobbying ou la conformité. Chez Renault, l’organisation entre les directions juridique, éthique et affaires publiques n’est pas figée et nous collaborons étroitement ensemble sur de nombreux sujets.
Cela prouve que les entreprises françaises peuvent se pourvoir d’une fonction juridique forte. C’est ce que nous voulons faciliter avec l’executive master general counsel que le Cercle Montesquieu et Sciences-Po viennent de créer. Les directeurs juridiques du Cercle qui font évoluer leur fonction vers celle de general counsel ont souhaité préparer les futurs directeurs juridiques à ces nouveaux enjeux.
Décideurs. Pourquoi avoir créé cet executive master ?
Christophe Jamin. C’est une formation adaptée à la fonction juridique dans l’entreprise qui peut être définie par quatre mots clés : management, stratégie, juridicisation de l’économie et globalisation. Nous nous adressons aux équipes des directions juridiques, aux avocats, aux fonctions RH ou affaires publiques identifiables comme de futurs directeurs juridiques. Notre cible est la variété de hauts potentiels en devenir, quelle que soit la taille de l’entreprise. Avec l’executive master general counsel de Sciences Po, nous voulons lier droit et management, faire du droit un outil stratégique au service de l’entreprise et transmettre les outils de compréhension d’un droit en voie de globalisation. Il permet à celui ou celle qui veut occuper un rôle stratégique dans l’entreprise de prendre une part active dans son évolution professionnelle, illustrant ainsi exactement le chemin de pensée de la personne qui veut passer de directeur juridique à general counsel.
Propos recueillis par Pascale D'Amore
Crédit photo : Pascale D'Amore