Conventions de management fees : état des lieux et perspectives
À la surprise générale, cette décision revient sur une jurisprudence bien établie2. Pendant vingt ans, les services vérificateurs rejetaient, quasi systématiquement, la déduction des sommes versées au titre de prestations de services considérées comme faisant "double emploi" avec les missions inhérentes au mandat social du dirigeant. Si cette décision est à saluer, elle laisse toutefois les praticiens dans l’attente de précisions concernant ses modalités d’application. Bien que des décisions récentes aient permis de lever certains doutes (I), la vigilance demeure à plusieurs égards (II).
I. Des principes réaffirmés et quelques clarifications…
- La rémunération prévue au titre du mandat social ne s’oppose pas à ce que le dirigeant soit rémunéré par une convention de prestation de services. C’est ce qu’a récemment confirmé la Cour administrative d’appel de Versailles, en précisant que l’acte anormal de gestion n’est écarté que si la rémunération d’ensemble du dirigeant n’est pas excessive3. Cette décision confirme les propos de Mme Bokdam-Tognetti dans ses conclusions sous la décision Collectivision4. Il convient de noter que le Conseil d’État avait affirmé que l’absence de rémunération au titre du mandat social ne fait pas obstacle à ce que le dirigeant soit rémunéré via une convention de prestation de services5.
Le choix de rémunérer le dirigeant indirectement peut résulter de l’approbation par l’assemblée générale des associés
- La rémunération indirecte du dirigeant doit être décidée ou validée par les organes sociaux. Les précisions des juges du fond étaient particulièrement attendues sur les modalités formelles de cette approbation. Sans surprise, les décisions récentes confirment que le choix de rémunérer le dirigeant indirectement peut résulter de l’approbation par l’assemblée générale des associés de la convention de prestation de services conclue avec la holding du dirigeant6. De manière plus surprenante en revanche, le Conseil d’État a jugé que l’administration fiscale ne démontrait pas l’existence d’un acte anormal de gestion dès lors que (i) les statuts d’une SAS prévoyaient que la rémunération du président était fixée par la société mère et (ii) le procès-verbal d’assemblée générale excluait le principe d’une rémunération directe du mandataire et prévoyait uniquement le remboursement de frais exposés à l’occasion de l’exercice de ses fonctions7. Il semblerait donc que le Conseil d’État fasse preuve d’une appréciation souple (ou à tout le moins au cas par cas) des situations dans lesquelles la convention de prestation de services n’a pas été validée par l’assemblée générale.
- La TVA supportée au titre des prestations de services de direction peut être déduite. La décision Collectivision ne s’étant prononcée que sur la question de la déductibilité au regard de l’impôt sur les sociétés ("IS"), il était légitime de s’interroger sur les conséquences à tirer de cette décision en matière de TVA8. La Cour administrative d’appel de Versailles apporte un début de réponse en confirmant que lorsqu’il est possible de démontrer la réalité des prestations de services et que les organes sociaux compétents ont approuvé la rémunération indirecte du dirigeant, le juge de l’impôt admet la déduction de la TVA supportée au titre des prestations de services de direction9. Cette décision laisse espérer un traitement uniforme en matière d’IS et de TVA.
II. … mais certains points de vigilance subsistent.
- L’existence d’un acte anormal de gestion doit s’apprécier au regard de la réalité des prestations de services rendues. Si ce principe ne date pas de la décision Collectivision, l’administration fiscale pourrait désormais faire preuve d’une sévérité accrue lorsque la réalité des prestations n’est pas démontrée ou lorsque le recours à ces prestations est contestable eu égard aux moyens dont dispose la société bénéficiaire. La jurisprudence récente semble confirmer cette tendance avec plusieurs décisions en la matière10. En particulier, la Cour administrative d’appel de Paris a rejeté la déductibilité de sommes versées par une société holding au titre de prestations d’animation rendues par sa filiale faute de justifications suffisantes relatives à la réalité et la consistance des prestations effectuées. En l’espèce, les prestations d’animation sous-traitées à la filiale étaient réalisées par le gérant de la filiale sous-traitante, qui était également le mandataire social de la holding animatrice. La Cour a considéré, eu égard notamment à l’objet et aux moyens propres de la holding, qu’il incombait à cette dernière, et non à sa filiale, d’assurer la mise en place de la stratégie globale du groupe, et qu’aucun élément produit ne permettait de justifier que les prestations rendues par le dirigeant se distinguaient de ce rôle d’animation11.
- L’existence d’un acte anormal de gestion peut résulter d’une rémunération excessive. Avec la consécration par le Conseil d’État de la liberté de cumul entre rémunération directe et indirecte du dirigeant, l’administration fiscale sera certainement plus exigeante sur la démonstration du caractère de marché de la rémunération. La Cour administrative d’appel de Versailles a eu l’occasion de rappeler que la rémunération d’ensemble du dirigeant ne doit pas être excessive eu égard à ses missions12.
- L’administration peut poursuivre sur un autre fondement que l’acte anormal de gestion. L’administration a toujours l’opportunité de rejeter la déductibilité d’une charge en remettant en cause sa validité sur le plan juridique ou comptable. Par exemple, la Cour administrative d’appel de Douai a refusé la déduction d’une rémunération qui avait été régularisée par une assemblée générale postérieure à la clôture de l’exercice. La Cour indique qu’au moment du versement, aucune rémunération n’étant prévue par l’assemblée générale, la charge n’était à cette date certaine ni dans son principe, ni dans son montant et ne pouvait donc être déduite du résultat de cet exercice13.
- Le risque d’abus en matière de cotisations sociales n’est pas exclu. Selon Mme Bokdam-Tognetti, l’économie de cotisations sociales, liée à la rémunération indirecte de son dirigeant via sa holding personnelle, est un motif légitime permettant d’écarter l’acte anormal de gestion sur le plan fiscal. Il faudra toutefois patienter pour savoir si le juge social y voit un motif de fraude ou d’abus en matière de cotisations sociales14.
Conclusion
Bien que le ciel se soit éclairci, la vigilance reste de mise en matière de conventions de management fees. Au regard des premières décisions des juges du fond, l’administration fiscale ne semble pas baisser la garde et les débats devraient davantage se cristalliser autour des éléments apportés par le contribuable pour justifier de l’approbation de la rémunération du dirigeant par les organes sociaux, de la réalité des prestations rendues et de leur mode de rémunération. Les praticiens s’attacheront donc en amont à documenter scrupuleusement les modalités de rémunération (directe et indirecte) du dirigeant pour limiter les discussions avec l’administration fiscale.
Les points clés
Lors de la mise en place d’une convention de management fees, il convient :
- D’apprécier l’opportunité du recours à cette convention au regard, notamment, des fonctions et des moyens des sociétés parties au contrat ;
- De s’assurer de l’approbation de la convention par les organes sociaux compétents avant sa mise en œuvre ;
- De veiller à ce que le montant cumulé des rémunérations du dirigeant ne soit pas excessif eu égard aux missions effectuées ;
- De justifier et documenter la réalité des prestations rendues.
Sur les auteurs
Brian Martin est associé du cabinet Sekri Valentin Zerrouk et responsable de la pratique fiscalité transactionnelle du cabinet. Il accompagne entreprises françaises et internationales, fonds d’investissement et dirigeants sur la structuration fiscale de leurs opérations de fusions-acquisitions (M&A), de private equity (LBO, MBO, OBO) et dans le cadre de réorganisations complexes. Jean-Guillaume Pechdo a rejoint le cabinet en 2023 et intervient sur toutes les problématiques de fiscalité transactionnelle et des sociétés.
1 : CE, 4 octobre 2023, n° 466887, Collectivision, mentionnée aux tables du recueil Lebon
2 : CAA de Nancy, 9 octobre 2003, n° 98NC02182, SA Gamlor
3 : CAA de Versailles, 7 mai 2024, n° 21VE01760, SAS Loga
4 : Conclusions d’Emilie Bokdam-Tognetti sur l’affaire Collectivision, Droit fiscal n° 47, 23 novembre 2023, comm. 341
5 : CE, 4 octobre 2023, n° 466887, Collectivision
6 : TA de Versailles, 21 mars 2024, n° 2105846, SAS Raoul B ; CAA de Bordeaux, 9 juillet 2024, n° 22BX00402, Sté C... A...
7 : CE, 26 avril 2024, n° 458958, Sté Kyowa Synchro Technology Europe
8 : Conclusions d’Emilie Bokdam-Tognetti sur l’affaire Collectivision, Droit fiscal n° 47, 23 novembre 2023, comm. 341
9 : CAA de Versailles, 7 mai 2024, n° 21VE01760, SAS Loga
10 : TA de Versailles, 21 mars 2024, n° 2105846, SAS Raoul B ; TA de Paris, 11 juillet 2024, n° 2209415, Sté Carnot Distribution
11 : CAA de Paris, 22 mars 2023, n° 21PA04911, SA Media 6, le pourvoi ayant été refusé CE, na, 8 juillet 2024, n° 474055, SA Media 6 ;
12 : CAA de Versailles, 7 mai 2024, n° 21VE01760, SAS Loga
13 : CAA de Douai, 13 juin 2024, n° 23DA00359, SAS Novatex Medical
14 : Conclusions d’Emilie Bokdam-Tognetti sur l’affaire Collectivision, Droit fiscal n° 47, 23 novembre 2023, comm. 341