Bruno Retailleau (LR) « Seul le Sénat peut aujourd’hui assurer la séparation des pouvoirs »
Décideurs. Que retenez-vous des sénatoriales, outre la victoire de la droite ?
Bruno Retailleau. Ce cru des sénatoriales a été à la fois une surprise pour nous et un échec pour Emmanuel Macron. Je pense que cet épisode résulte d’une accumulation de maladresses de sa part et signe la fin de sa lune de miel avec les Français.
Comment éviter que des sénateurs de votre groupe ne soient tentés de rejoindre les rangs de la majorité présidentielle ?
Le rassemblement, c’est un combat. Il existe des points de divergence au sein de notre groupe, mais nous pouvons nous entendre, à condition de clarifier notre ligne. Sur chaque texte, nous montrons que nous sommes capables de présenter des dispositions communes, malgré nos différences.
« On oublie trop souvent la chance que nous avons de n’être déchirés par aucune tentation sécessionniste.»
Le Sénat incarne-t-il aujourd’hui une véritable force d’opposition ?
Oui, il le faut. Depuis l’inversion de l’agenda électoral, l’Assemblée nationale n’est plus qu’un wagon accroché à l’exécutif. Emmanuel Macron développe une vraie tentation hégémonique. Seul le Sénat peut par conséquent assurer la pérennité d’un principe essentiel en démocratie, celui de la séparation des pouvoirs. Nous représentons par ailleurs les territoires. On oublie trop souvent la chance que nous avons de n’être déchirés par aucune tentation sécessionniste. Il existe néanmoins une France qui souffre et qu’Emmanuel Macron ne connaît pas. Le Sénat doit travailler à soigner les maux de ceux qui se sentent oubliés, mis de côté. Le Sénat est par ailleurs un véritable laboratoire d’idées. Nous mettons en place des groupes de travail visant à éclairer l’avenir, sans attendre les débats législatifs.
Comment les sénateurs portent-ils la voix des territoires ?
Ils en sont issus. Les sénateurs doivent être enracinés localement. Ils ne le seront malheureusement plus avec la loi prévoyant le non-cumul des mandats. Nous nous efforçons de connecter chaque texte avec le terrain, de regarder quels sont les liens avec le réel. C’est une façon plus apaisante de légiférer. Pour porter la voix des territoires, je crois qu’il est important que le Sénat puisse se réunir aussi en province. La France, ce n’est pas Paris.
Certains estiment que les territoires ruraux sont surreprésentés au Sénat. Qu’en pensez-vous ?
La démocratie, c’est aussi le bicamérisme. Le Sénat représente les territoires, l’Assemblée nationale les citoyens. Les critiques émanent de ceux qui veulent normaliser le Sénat. Il incarne néanmoins aujourd’hui le temps de la réflexion. On voit bien que la perception des territoires change. Nous avons plus que jamais besoin de racines. Dans ce monde où le temps et l’espace semblent abolis, le Sénat offre un espace unique. Trop de mauvaises lois sont prises parce qu’on légifère sous les feux de l’actualité, dans l’émotion.
« Parce qu’il y a une embellie météorologique, on remet à demain les efforts qui devraient être faits aujourd’hui. »
Pourquoi ne voterez-vous pas le budget présenté par le Gouvernement ?
La dégringolade française s’accélère : chômage de masse, compétitivité en berne, dette abyssale qui va bientôt atteindre 100 % du PIB… Le budget présenté n’est pas à la hauteur du mal que nous connaissons. Avec une dépense publique à 56 % du PIB, on étouffe l’énergie du pays. Emmanuel Macron prévoit de supprimer 1 600 emplois publics. Est-ce réellement la révolution annoncée ? Je pense ensuite à la compétitivité des entreprises. Le revenu à la source, véritable usine à gaz, qui sera probablement mis en œuvre, transformera les entreprises en collecteurs d’impôts. Ce budget ne permettra pas de créer un retour au plein emploi. Parce qu’il y a une embellie météorologique, on remet à demain les efforts qui devraient être faits aujourd’hui.
Quel regard portez-vous sur l’élection du président de votre parti ?
J’aurais aimé que cette élection soit repoussée au printemps prochain. Je pense que nous devons d’abord réfléchir au fond, à l’idéal que nous voulons porter. Je pense que si la droite et la gauche ont échoué, c’est parce qu’elles ont oublié de réfléchir, de se redéfinir face aux défis d’un nouveau monde. Je crains que l’élection de décembre soit davantage une confrontation de personnes.
« Trop longtemps, la droite à fait de la sous-enchère aux idées de gauche. »
Regrettez-vous le virage vers une droite plus radicale, emprunté par Laurent Wauquiez ?
Il n’a, à mon sens, pas pris de virage radical. Trop longtemps, la droite à fait de la sous-enchère aux idées de gauche. Elle a longtemps été tétanisée par l’hégémonie culturelle de la gauche et s’est présentée aux Français comme une bonne gestionnaire, uniquement préoccupée par l’économie. Nous devons effectivement répondre au déclassement économique que ressentent les Français, mais également apporter une réponse à la crainte de la dépossession culturelle. La France se refuse à maîtriser son immigration. Si on ne traite pas ces sujets, on les abandonne au FN. C’est ce que veut la gauche. Je crois que la politique, c’est avant tout la clarté des choix.
Quel regard portez-vous sur la situation en Catalogne ?
C’est une leçon pour l’Europe. D’abord sur le plan de la solidarité. Pour qu’une région riche accepte de payer pour des régions plus pauvres, il faut une réelle évolution historique. Seul le cadre national peut garantir cette solidarité. Cet épisode doit ainsi nous amener à réfléchir sur l’embardée fédéraliste qu’Emmanuel Macron propose. La voie fédérale conduirait l’Europe à un échec. Nous avons besoin d’une Europe respectueuse des peuples, qui continue à avancer, avec comme énergie le cadre national, car c’est là que se trouve la légitimité démocratique. Je suis convaincu qu’on peut faire avancer l’Europe sans changer les traités. Nous avons, avec le groupe LR, fait plusieurs propositions en ce sens.
Propos recueillis par @CapucineCoquand