Mark Dixon est le président et fondateur d’IWG (ex-Regus), leader mondial du coworking et des espaces de travail alternatifs. Plus qu’offrir de nouvelles manières de travailler, il assure que son entreprise contribue à redessiner et redynamiser des villes et territoires entiers, avec à la clé des gains économiques et environnementaux. Entretien.
Pouvez-vous nous présenter IWG ?
J’ai fondé l’entreprise en 1989, à Bruxelles. Nous avons commencé avec un espace, puis deux, jusqu’à en compter aujourd’hui plus de 3 500 dans 120 pays. Il y a une vraie tendance de fond vers les espaces de travail alternatifs, accélérée par la crise sanitaire. Pour preuve, d’ici l’année prochaine, nous projetons la construction de mille nouveaux lieux, représentant 1,5 million de mètres carrés à travers le monde. La Lybie constituera le 121e pays où nous sommes implantés, avec une ouverture programmée à Tripoli. Preuve que ce mouvement se diffuse dans toutes les régions du monde. Nous sommes aujourd’hui le leader incontesté du secteur – presque quatre fois plus gros que WeWork – avec des marques et des formats d’espaces variés, pour s’adapter à tous nos clients : ceux qui veulent venir travailler en cravate ou pas, ceux qui veulent des espaces près de chez eux ou non. Nous avons également une offre qui s’adresse aux indépendants, avec un support technique, matériel et logistique, ainsi que la possibilité de se rendre ponctuellement dans nos espaces pour recevoir leurs clients, par exemple. Plus de 400 000 personnes profitent déjà de ce dispositif.
Quel est le profil de vos clients ?
Ce sont majoritairement de grandes entreprises et leur part continue de croître. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce n’est pas un phénomène nouveau. Dès le premier jour, il y a plus de trente ans, nous comptions parmi nos clients des entreprises comme BMW. Certes le phénomène s’amplifie, avec la crise sanitaire comme je le disais plus tôt, mais aussi parce que disposer de tels espaces devient chaque jour un peu plus un avantage compétitif pour attirer les meilleurs talents qui aspirent, pour plus de 70 % d'entre eux, à cette flexibilité que nous offrons.
Intuitivement, on aurait pu penser que les start-up étaient davantage la cible de ce type d’espaces…
C’est le cas pour la plupart de nos concurrents. Mais cela s’explique simplement : ils n’ont pas la masse critique de notre réseau. Pour attirer les grandes entreprises, il est indispensable d’avoir un maillage très fin sur le territoire pour mobiliser et répondre aux besoins de l’ensemble des collaborateurs. Les start-up – que nous accueillons aussi, bien entendu – n’ont pas de telles problématiques. C’est très bien ainsi, et cela prouve que le marché est assez grand pour tout le monde.
Comment travaillez-vous avec les acteurs publics, notamment en France, pour penser la redéfinition de l’organisation de la ville que votre activité engendre ?
La France est précurseur en la matière. Il y a une vraie politique nationale pour encourager le télétravail qui incite les élus locaux à créer de nouveaux endroits où les gens peuvent travailler. De plus en plus, nous sommes considérés comme une infrastructure essentielle au dynamisme et au fonctionnement du pays, au même titre que les routes, le rail ou les aéroports. Les gens doivent pouvoir travailler de partout. Cela accompagne également une volonté des responsables politiques, particulièrement en France, de décentraliser pour mieux répartir l’activité sur leur territoire. Avec pour résultat une meilleure qualité de vie pour des salariés plus productifs, des coûts immobiliers maîtrisés pour les entreprises et des villes moyennes et villages entiers qui renaissent de leurs cendres.
Le siège des entreprises est appelé à devenir un lieu de ralliement, un centre de collaboration
Comment envisagez-vous l’avenir du travail ?
Je ne dis pas que tout le monde a envie de travailler de chez soi ou dans des espaces de travail décentralisés. Certains salariés sont attachés et fonctionnent mieux dans le cadre d’un bureau classique, les jeunes préfèrent souvent rester proches des grandes agglomérations pour profiter de la vie sociale, festive et culturelle, ou juste boire un verre après une journée de travail. D’autres s’adaptent parfaitement au télétravail. À mon sens, le futur du travail n’est pas uniforme, mais en quelque sorte à la carte. Le siège des entreprises est appelé à devenir un lieu de ralliement, un centre de collaboration pour des sessions ponctuelles avec l’ensemble des salariés, mais dans un format très différent de ce qui se fait aujourd’hui.
Les centres d’affaires sont donc appelés à disparaître ?
Oui. Ou du moins ils devront se réinventer. Il devient absurde aujourd’hui de faire venir des salariés, qui vivent d’un bout à l’autre d’un territoire, pour passer leur journée dans d’énormes tours, devant un ordinateur. Si la moitié des espaces n’est plus utilisée, ni même désirée, la vie va changer pour beaucoup d’acteurs de l’immobilier… Le bureau est passé dans le cloud.
Avez-vous évalué l’impact environnemental et sociétal d’un travail plus décentralisé ?
Nous estimons qu’en évitant les trajets domicile-travail et en supprimant les bureaux fixes, nous parvenons à une réduction de 70 % des émissions. Plus loin, cela permet aux villes d’optimiser et de désengorger leurs routes et transports en commun, tout en répartissant mieux l’activité et les commerces. Nous avons publié un Livre blanc qui détaille les bienfaits des lieux de travail hybrides sur l’environnement, la ville, l’économie locale, mais aussi l’égalité entre les sexes ou la santé.
Quelles sont les prochaines étapes pour IWG ?
Continuer notre développement en termes de mètres carrés mis à la disposition de nos clients à travers le monde, mais aussi développer de nouveaux services pour mieux répondre à leurs besoins, que ce soit en matière de sécurité, d’outils technologiques… Nous leur demandons ce qu’ils veulent et nous tâchons de le traduire dans un produit. C’est un travail de coconstruction.
Propos recueillis par Antoine Morlighem et Alban Castres