Lorsque Stéphane Richard prend les commandes de France Télécom, au lendemain de la vague de suicides, les équipes sont traumatisées, l’organisation sous tension. En deux ans, il ne va pas seulement sortir l’entreprise de la crise sociale en restaurant la confiance des salariés et en redonnant du sens au métier, il va aussi lui donner les moyens de faire face aux défis qui se profilent, s’imposant à la fois comme l’homme de l’apaisement et comme celui de la reconquête.

Au ministère, on l’avait prévenu : ça n’allait pas être simple. Mais lorsque, fin 2009, Stéphane Richard quitte son poste de directeur de cabinet de Christine Lagarde à Bercy pour être dépêché au chevet de France Télécom, ce qu’il découvre le prend de court. La vague de suicides et d’arrêts de travail longue durée, l’hypermédiatisation, le mal-être généralisé et la direction mutique… L’entreprise est en état de choc et la défiance à son comble. Pour éviter les accusations de pantouflage, l’État (alors actionnaire) a tout prévu : Stéphane Richard doit faire son entrée au sein de l’entreprise en tant que directeur délégué à l’international, y prendre ses marques pendant deux ans, puis remplacer Didier Lombard au poste de PDG en juin 2011. L’exacerbation des tensions va bousculer le calendrier. « Quelques semaines plus tôt, une jeune femme s’était jetée par la fenêtre de son bureau, les gens étaient traumatisés, raconte Sébastien Crozier, président de la CFE-CGC Orange. D’autant qu’à la crise sociale s’ajoutait une crise de communication : Didier Lombard restait sans réaction, il accusait les syndicats d’instrumentaliser les suicides... La maison était en feu. » Face à l’urgence, Bercy n’a plus le choix : dès février 2010, Stéphane Richard devient directeur général de l’entreprise et s’attelle à sa reconstruction. Au cours des deux années qui suivent, il ne va pas se contenter de sortir l’entreprise de la crise sociale, il va la mettre en ordre de bataille face aux défis qui se profilent : la fibre, Free, la concurrence…, s’imposant en homme non seulement de l’apaisement mais aussi de la reconquête.

Résilient

Une prouesse qui, pour beaucoup, tiendra d’abord à la capacité à s’entourer dont il fera preuve en appelant dès le départ à ses côtés des personnalités sur mesure : Delphine Ernotte pour son profil d’ingénieur, Jean-François Colin et Bruno Mettling, respectivement anciens DRH d’Air France et du groupe Caisse d’épargne, pour leurs qualités de médiateurs... De quoi l’aider à manœuvrer entre une crise sociale hors norme et un président qui, cramponné à son poste, « lui savonnait la planche à longueur de temps », se souvient Sébastien Crozier pour qui, jusqu’au départ de Didier Lombard en mars 2011 et à sa nomination au poste de PDG, Stéphane Richard aura « vraiment fait preuve de résilience ». De résilience et d’intelligence stratégique, souligne Jean-Claude Delgènes, président de Technologia en charge de l’audit interne du groupe, qui rappelle qu’à son arrivée, outre la défiance des salariés, il se heurtera à l’opposition des ingénieurs maison « faisant bloc derrière Lombard ». « C’est un homme brillant et un fin politique, explique-t-il. Il a su s’imposer rapidement en se faisant discret médiatiquement et présent sur le terrain, en se plaçant en position d’écoute et de proximité. » Commençant par parer au plus pressé en mettant fin aux mobilités forcées et en créant des « assises » destinées à libérer la parole, puis prenant le temps d’un véritable état des lieux.

Stratège

Une étape essentielle, selon Bruno Mettling qui, artisan de la reconstruction aux côtés de Stéphane Richard, se souvient du climat de « détresse palpable » qui, début 2010, règne dans l’entreprise et de ces premiers temps, décisifs pour la nouvelle direction. Non pas pour restaurer la confiance (cela prendra des mois) mais pour « poser un diagnostic ». « Après les mesures symboliques prises dès son arrivée, Stéphane Richard m’a laissé quatre mois pour dresser un état des lieux précis de la situation », raconte-t-il. Lorsqu’en juillet 2010 le verdict tombe, il est sans appel. Pour le nouveau DRH, l’entreprise est confrontée « à une triple crise » : crise de sens (la valeur métier ayant disparu au profit des seuls objectifs financiers), crise d’organisation (le modèle ultra-centralisé ayant anéanti le service de proximité et étouffé les compétences individuelles) et crise « de la promesse employeur », l’entreprise qui, autrefois, assurait une progression et prenait en compte les attentes des salariés ayant bloqué toute augmentation et instauré la mobilité forcée « pour inciter les gens à partir ».

Pour y remédier, Stéphane Richard va multiplier les mesures destinées à restaurer la confiance et l’envie. Outre le lancement de « Conquête 2015 », qui replace l’entreprise dans une « dynamique projet » en l’engageant dans la bataille de la fibre, il décentralise l’organisation en recréant des directions territoriales dotées de véritables pouvoirs et renoue le dialogue avec les syndicats. Pour Pierre Vars, secrétaire général de l’Insa Orange, l’effet de contraste avec l’ère Lombard est saisissant. « Jusqu’alors, la direction ne répondait pas aux alertes et refusait de nous rencontrer, raconte-t-il. À l’arrivée de Stéphane Richard, d’un coup, on a eu une porte ouverte. Chacun a été entendu, même les plus petites formations. » Un changement de style qui, de l’avis de tous, jouera un rôle essentiel dans la sortie de crise.

Humaniste

« Didier Lombard était cassant et distant, Stéphane Richard empathique et respectueux de chacun, poursuit Pierre Vars qui, comme beaucoup, voient dans ces qualités humaines du nouveau dirigeant l’une des clés de sa réussite : « C’est un littéraire, très cultivé, avec une véritable profondeur; on avait besoin d’un profil comme ça pour sortir l’entreprise de la crise. Avec lui il a été possible de négocier des accords. » Et de dessiner les contours d’un nouveau contrat social.

"C’est un littéraire, avec une véritable profondeur ; on avait besoin d’un profil comme ça pour sortir l’entreprise de la crise" 

Dès septembre 2010, celui-ci se matérialise sous la forme d’un courrier détaillant de façon très concrète, avec engagements chiffrés et échéances datées, les mesures prises par la direction – parmi lesquelles, la possibilité de passer à 50 % de temps de travail rémunéré à 75 % pour les techniciens proches de la retraite, la création d’une cellule de médiation permettant de traiter tout dossier, même ancien, de salarié en souffrance… – moyennant un budget de 900 millions d’euros. L’effet est immédiat. « Avec ce document adressé à chaque collaborateur les gens ont compris que Stéphane Richard n’était pas dans la posture, qu’il avait réellement fait du rétablissement de la qualité sociale une priorité, se souvient Bruno Mettling. Cela a fait décoller le baromètre social ». Tout comme le fait que, dès 2010, il s’attache à « évacuer la psychose de la responsabilité qui pesait sur les managers après la vague des suicides » en instaurant une démarche d’accompagnement systématique des personnes en situation de souffrance, « quelle que soit la cause de cette souffrance », et en formant les managers à la détecter.

Visionnaire

L’actuel président d’Orange Afrique et Moyen-Orient en est convaincu : cette dimension « humaniste » de Stéphane Richard, « son authentique souci de l’autre », aura constitué un véritable levier de transformation. Aussi décisif dans la reconstruction du groupe que la vision stratégique dont il fera preuve en s’engageant dès le début sur le marché majeur de la fibre, en pariant sur l’Afrique – aujourd’hui premier pôle de croissance du groupe –, ou en lançant Orange Bank et la 4G. Pour lui, c’est même cette combinaison des deux dimensions – humaine et stratégique – qui en ont fait l’homme de la situation.

Sans sa gestion de la crise sociale, l’entreprise n’aurait jamais pu faire face à l’arrivée de Free 

« Stéphane Richard a démontré qu’on ne construisait pas une performance économique au détriment de la performance sociale mais que, au contraire, l’une et l’autre s’alimentaient, explique Bruno Mettling pour qui, « sans sa gestion de la crise sociale, l’entreprise n’aurait jamais pu faire face à l’arrivée de Free. » Un avis partagé par les syndicats qui, lorsque le 10 juin 2013 Stéphane Richard est placé en garde à vue dans le cadre de l’Affaire Tapie, feront bloc derrière lui, comme le reste de l’entreprise. Preuve de l’adhésion suscitée et du défi relevé.

Caroline Castets

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