Entretien avec Marc Santoni, associé. Santoni & Associés
« L’éviction des actionnaires au profit des créanciers : beaucoup de bruit pour rien »
Un an après l’ordonnance réformant les procédures de sauvegarde, Marc Santoni revient sur les mesures d’équilibrage entre les droits des créanciers et ceux des actionnaires et sur les grandes tendances du marché. Il intervient également sur les limites rencontrées par certains lenders led.
Décideurs. Quel bilan dressez-vous de votre activité en 2014 ?
Marc Santoni. L’année a été très riche en dossiers. Le nombre de procédures collectives de sociétés de taille significative a progressé par rapport aux années précédentes. Les dossiers Partouche, Altia, Ascométal, Arair en sont autant d’exemples. Parallèlement, les dossiers de négociation de l’endettement financier, notamment de type LBO ont continué à occuper les professionnels. Notons parmi les dossiers publics Vivarte, Joa, Alma Consulting. Bon nombre de dossiers dont la dette avait déjà été restructurée en 2009 ont dû faire l’objet de nouvelles négociations. Nous avons eu également à traiter des restructurations de plusieurs dossiers transnationaux qui nous ont permis de confronter nos outils avec ceux de nombreux étrangers. À cet égard, notre partenariat avec Allen & Overy a démontré son efficacité.
Décideurs. Quelles perspectives se dégagent pour le cabinet en 2015 ?
M.?S. Nous constatons une progression d’activité par rapport à l’année précédente, mais il convient de rester vigilant car il paraît que notre économie va mieux… Malgré les dossiers SNCM, Arc, Mory et leur couverture médiatique, nous observons une renaissance de l’appétit de candidats acquéreurs. Si les prix de cession demeurent toujours très faibles, une part significative des contrats de travail arrive à être poursuivie.
Décideurs. Quelles tendances observez-vous sur le marché du restructuring ?
M.?S. Les entreprises en difficulté nous arrivent de plus en plus dégradées. Cela implique un temps de traitement de plus en plus court. Désormais, on mise tout sur la prévention ; le redressement judiciaire devient de moins en moins tenable, tout comme les plans de continuation. Je pense néanmoins que le nombre de dossiers à traiter pourrait se réduire dans trois ans.
Aujourd’hui, j’identifie plusieurs segments sur le marché du restructuring : La restructuration des LBO, comprenant deux sous-segments : les dossiers où la dette est inférieure à 100?millions d’euros et ceux où la dette est supérieure à ce montant. Dans ce deuxième sous-segment, il existe un marché secondaire de la dette avec des traitements différents notamment des lenders led. Plus que jamais la frontière entre l’action et la dette disparaît. Dans les deux cas, l’entreprise rencontre de plus en plus de problèmes opérationnels à traiter. Le deuxième segment est la reprise d’entreprises en difficulté. Elle passe par le rachat d’une société sous mandat ad hoc ou une reprise à la barre via un plan de cession. C’est un segment qui requiert plus de compétences que dans d’autres situations. Le fait marquant sur ces dossiers est le raccourcissement de la période d’étude, car le cash disponible des entreprises ne permet plus de financer de longues périodes. Cela nécessite donc des compétences générales d’entreprises en crise : il faut savoir discuter avec un comité d’entreprise en pleine nuit, négocier des points en urgence avec des clients, des fournisseurs ou des banques… Enfin, je distingue un dernier segment : l’assistance des entreprises en difficulté. Dans ce cas, il s’agit d’accompagner l’entreprise en conciliation, en sauvegarde, en redressement judiciaire ou en mandat ad hoc. Cela requiert d’avoir une expérience de tous les outils et de leur mise en œuvre car il s’agit de définir une stratégie. Une vraie différenciation s’exerce alors entre les acteurs de la place.
Décideurs. Un an après l’ordonnance réformant les procédures de sauvegarde, qu’en retenez-vous ?
M.?S. J’en retiens deux dispositions majeures : le prepack cession et la possibilité d’éviction des actionnaires. Le prepack cession permet à une entreprise de bénéficier des avantages de traitement du plan de cession sans en supporter le principal inconvénient, à savoir la détérioration de l’activité au vu de la longueur de la procédure collective. La difficulté que nous allons rencontrer avec ce dispositif sera d’éviter un processus d’appel judiciaire. Nous devrons démontrer que nous avons mené un processus de cession suffisant pour que l’on puisse dire que l’on dispose de la meilleure solution sociale et de la meilleure valorisation de prix des actifs. Et c’est là tout le paradoxe. Sauvegarder la confidentialité de la procédure et informer la place pour justifier que la transaction a été faite aux meilleures conditions sera l’équation à résoudre pour les praticiens. L’éviction des actionnaires au profit des créanciers me semble plus illusoire dans son exécution. On pourra juridiquement le faire, mais un étudiant de deuxième année devrait être en mesure d’y résister. Il importe aussi de remarquer que le nouveau système relatif à la détermination du passif de l’entreprise dans les procédures collectives devrait mettre un terme à une partie du sport national français de la contestation de créance et à l’engorgement des contentieux y afférents.
Décideurs. Pourquoi le mécanisme d’éviction des actionnaires a-t-il peu de chance d’être mis en œuvre ?
M.?S. Les modalités sont compliquées : l’entreprise doit être de taille significative, être en redressement judiciaire et être en carence de solution de cession ou de plan par l’actionnariat en place. Cette situation sera source d’expertise et de contentieux. L’inconnue du prix ou des modalités non contestables d’une augmentation de capital risque de freiner l’appétit de candidats. Aujourd’hui, les créanciers disposent déjà d’outils pour s’emparer du capital. Cela doit se faire en amont par le biais d’une sûreté réelle, soit par une fiducie. En outre, s’il ne s’agit pas d’une prise de pouvoir par les créanciers, la meilleure sanction de l’actionnaire qui refuse de céder ses titres est d’ordonner la cession des actifs de l’entreprise au candidat acquéreur.
Décideurs. Quelles réformes du droit des procédures collectives doivent être effectuées ?
M.?S. Au vu des pratiques étrangères, je pense qu’il nous manque cruellement deux choses : un pouvoir du juge pour réduire le passif de l’entreprise. Il est quand même assez étonnant de constater que le droit français autorise à des majorités de créanciers d’imposer une réduction de passif à une minorité de créanciers alors que le juge ne dispose pas d’un tel pouvoir. Cela permettrait à un certain nombre d’entreprises sous procédure, orphelines de candidat repreneur par voie de cession, de présenter un plan de continuation qui ait de réelles chances d’assurer la pérennité de l’entreprise.
Un aménagement du droit du travail pour les entreprises en difficulté afin que les entreprises puissent adapter leurs effectifs avec beaucoup plus de rapidité est indispensable. Mieux vaut augmenter les indemnités de licenciement que continuer ces simulacres de plan de sauvegarde de l’emploi qui, non seulement pénalisent l’entreprise, mais rajoutent un stress traumatisant pour les salariés.
Décideurs. Parmi toutes les options amiables, pourquoi choisir le mandat ad hoc ?
M.?S. Essentiellement parce que le mandat ad hoc n’est pas limité dans le temps, tandis que la conciliation est enfermée dans un délai de cinq mois. Ainsi le mandat ad hoc permet de préparer un accord ou une autre forme de traitement des difficultés. Les professionnels n’utilisent la conciliation que lorsque l’entreprise se trouve en cessation de paiement ou qu’elle souhaite geler les demandes de certains créanciers grâce à un référé délai spécifique, ou alors que l’accord à convenir nécessite un constat du président du tribunal ou une homologation du tribunal. Enfin, la conciliation est, depuis la promulgation de la loi Hamon, parfois utilisée non seulement pour traiter des difficultés de l’entreprise, mais aussi pour échapper au délai de l’obligation d’information des salariés en cas de vente de l’entreprise.
Décideurs. L’administrateur judiciaire est souvent sollicité pour piloter un mandat ad hoc. Les avocats ont pourtant toutes les compétences pour le faire, non ?
M.?S. Piloter ce type de procédure est un vrai métier. L’avocat, un peu par nature, est partisan. Il épouse une thèse, il défend quelqu’un. Piloter un mandat ad hoc nécessite des talents de négociation, de dialogue, d’écoute et des compétences spécifiques comme une grande connaissance des entreprises et de leur fonctionnement. La fonction est plus proche de celle d’un arbitre intervenant que de celle d’un avocat. Il ne faut pas oublier que c’est une tâche qui est prescrite par une juridiction. Je pense que si l’on devait faire appel à une autre corporation, les autorités solliciteraient plutôt les hommes du chiffre plutôt que ceux du droit : c’est une tendance européenne.
Décideurs. Quelles sont aujourd’hui les limites des lenders led ?
M.?S. Dans tous les lenders led que j’ai connus, la limite de leur pleine réussite tient aux questions de gouvernance. Tous les créanciers qui ont pris le contrôle de l’entreprise par ce biais ont voulu éviter de la diriger directement. On se retrouve alors avec des gouvernances non efficientes. J’estime que le créancier doit assurer la gouvernance de l’entreprise. Je ne crois pas aux schémas d’administrateurs indépendants. Le créancier doit se donner les moyens de gouverner l’entreprise.
Décideurs. Quel bilan dressez-vous de votre activité en 2014 ?
Marc Santoni. L’année a été très riche en dossiers. Le nombre de procédures collectives de sociétés de taille significative a progressé par rapport aux années précédentes. Les dossiers Partouche, Altia, Ascométal, Arair en sont autant d’exemples. Parallèlement, les dossiers de négociation de l’endettement financier, notamment de type LBO ont continué à occuper les professionnels. Notons parmi les dossiers publics Vivarte, Joa, Alma Consulting. Bon nombre de dossiers dont la dette avait déjà été restructurée en 2009 ont dû faire l’objet de nouvelles négociations. Nous avons eu également à traiter des restructurations de plusieurs dossiers transnationaux qui nous ont permis de confronter nos outils avec ceux de nombreux étrangers. À cet égard, notre partenariat avec Allen & Overy a démontré son efficacité.
Décideurs. Quelles perspectives se dégagent pour le cabinet en 2015 ?
M.?S. Nous constatons une progression d’activité par rapport à l’année précédente, mais il convient de rester vigilant car il paraît que notre économie va mieux… Malgré les dossiers SNCM, Arc, Mory et leur couverture médiatique, nous observons une renaissance de l’appétit de candidats acquéreurs. Si les prix de cession demeurent toujours très faibles, une part significative des contrats de travail arrive à être poursuivie.
Décideurs. Quelles tendances observez-vous sur le marché du restructuring ?
M.?S. Les entreprises en difficulté nous arrivent de plus en plus dégradées. Cela implique un temps de traitement de plus en plus court. Désormais, on mise tout sur la prévention ; le redressement judiciaire devient de moins en moins tenable, tout comme les plans de continuation. Je pense néanmoins que le nombre de dossiers à traiter pourrait se réduire dans trois ans.
Aujourd’hui, j’identifie plusieurs segments sur le marché du restructuring : La restructuration des LBO, comprenant deux sous-segments : les dossiers où la dette est inférieure à 100?millions d’euros et ceux où la dette est supérieure à ce montant. Dans ce deuxième sous-segment, il existe un marché secondaire de la dette avec des traitements différents notamment des lenders led. Plus que jamais la frontière entre l’action et la dette disparaît. Dans les deux cas, l’entreprise rencontre de plus en plus de problèmes opérationnels à traiter. Le deuxième segment est la reprise d’entreprises en difficulté. Elle passe par le rachat d’une société sous mandat ad hoc ou une reprise à la barre via un plan de cession. C’est un segment qui requiert plus de compétences que dans d’autres situations. Le fait marquant sur ces dossiers est le raccourcissement de la période d’étude, car le cash disponible des entreprises ne permet plus de financer de longues périodes. Cela nécessite donc des compétences générales d’entreprises en crise : il faut savoir discuter avec un comité d’entreprise en pleine nuit, négocier des points en urgence avec des clients, des fournisseurs ou des banques… Enfin, je distingue un dernier segment : l’assistance des entreprises en difficulté. Dans ce cas, il s’agit d’accompagner l’entreprise en conciliation, en sauvegarde, en redressement judiciaire ou en mandat ad hoc. Cela requiert d’avoir une expérience de tous les outils et de leur mise en œuvre car il s’agit de définir une stratégie. Une vraie différenciation s’exerce alors entre les acteurs de la place.
Décideurs. Un an après l’ordonnance réformant les procédures de sauvegarde, qu’en retenez-vous ?
M.?S. J’en retiens deux dispositions majeures : le prepack cession et la possibilité d’éviction des actionnaires. Le prepack cession permet à une entreprise de bénéficier des avantages de traitement du plan de cession sans en supporter le principal inconvénient, à savoir la détérioration de l’activité au vu de la longueur de la procédure collective. La difficulté que nous allons rencontrer avec ce dispositif sera d’éviter un processus d’appel judiciaire. Nous devrons démontrer que nous avons mené un processus de cession suffisant pour que l’on puisse dire que l’on dispose de la meilleure solution sociale et de la meilleure valorisation de prix des actifs. Et c’est là tout le paradoxe. Sauvegarder la confidentialité de la procédure et informer la place pour justifier que la transaction a été faite aux meilleures conditions sera l’équation à résoudre pour les praticiens. L’éviction des actionnaires au profit des créanciers me semble plus illusoire dans son exécution. On pourra juridiquement le faire, mais un étudiant de deuxième année devrait être en mesure d’y résister. Il importe aussi de remarquer que le nouveau système relatif à la détermination du passif de l’entreprise dans les procédures collectives devrait mettre un terme à une partie du sport national français de la contestation de créance et à l’engorgement des contentieux y afférents.
Décideurs. Pourquoi le mécanisme d’éviction des actionnaires a-t-il peu de chance d’être mis en œuvre ?
M.?S. Les modalités sont compliquées : l’entreprise doit être de taille significative, être en redressement judiciaire et être en carence de solution de cession ou de plan par l’actionnariat en place. Cette situation sera source d’expertise et de contentieux. L’inconnue du prix ou des modalités non contestables d’une augmentation de capital risque de freiner l’appétit de candidats. Aujourd’hui, les créanciers disposent déjà d’outils pour s’emparer du capital. Cela doit se faire en amont par le biais d’une sûreté réelle, soit par une fiducie. En outre, s’il ne s’agit pas d’une prise de pouvoir par les créanciers, la meilleure sanction de l’actionnaire qui refuse de céder ses titres est d’ordonner la cession des actifs de l’entreprise au candidat acquéreur.
Décideurs. Quelles réformes du droit des procédures collectives doivent être effectuées ?
M.?S. Au vu des pratiques étrangères, je pense qu’il nous manque cruellement deux choses : un pouvoir du juge pour réduire le passif de l’entreprise. Il est quand même assez étonnant de constater que le droit français autorise à des majorités de créanciers d’imposer une réduction de passif à une minorité de créanciers alors que le juge ne dispose pas d’un tel pouvoir. Cela permettrait à un certain nombre d’entreprises sous procédure, orphelines de candidat repreneur par voie de cession, de présenter un plan de continuation qui ait de réelles chances d’assurer la pérennité de l’entreprise.
Un aménagement du droit du travail pour les entreprises en difficulté afin que les entreprises puissent adapter leurs effectifs avec beaucoup plus de rapidité est indispensable. Mieux vaut augmenter les indemnités de licenciement que continuer ces simulacres de plan de sauvegarde de l’emploi qui, non seulement pénalisent l’entreprise, mais rajoutent un stress traumatisant pour les salariés.
Décideurs. Parmi toutes les options amiables, pourquoi choisir le mandat ad hoc ?
M.?S. Essentiellement parce que le mandat ad hoc n’est pas limité dans le temps, tandis que la conciliation est enfermée dans un délai de cinq mois. Ainsi le mandat ad hoc permet de préparer un accord ou une autre forme de traitement des difficultés. Les professionnels n’utilisent la conciliation que lorsque l’entreprise se trouve en cessation de paiement ou qu’elle souhaite geler les demandes de certains créanciers grâce à un référé délai spécifique, ou alors que l’accord à convenir nécessite un constat du président du tribunal ou une homologation du tribunal. Enfin, la conciliation est, depuis la promulgation de la loi Hamon, parfois utilisée non seulement pour traiter des difficultés de l’entreprise, mais aussi pour échapper au délai de l’obligation d’information des salariés en cas de vente de l’entreprise.
Décideurs. L’administrateur judiciaire est souvent sollicité pour piloter un mandat ad hoc. Les avocats ont pourtant toutes les compétences pour le faire, non ?
M.?S. Piloter ce type de procédure est un vrai métier. L’avocat, un peu par nature, est partisan. Il épouse une thèse, il défend quelqu’un. Piloter un mandat ad hoc nécessite des talents de négociation, de dialogue, d’écoute et des compétences spécifiques comme une grande connaissance des entreprises et de leur fonctionnement. La fonction est plus proche de celle d’un arbitre intervenant que de celle d’un avocat. Il ne faut pas oublier que c’est une tâche qui est prescrite par une juridiction. Je pense que si l’on devait faire appel à une autre corporation, les autorités solliciteraient plutôt les hommes du chiffre plutôt que ceux du droit : c’est une tendance européenne.
Décideurs. Quelles sont aujourd’hui les limites des lenders led ?
M.?S. Dans tous les lenders led que j’ai connus, la limite de leur pleine réussite tient aux questions de gouvernance. Tous les créanciers qui ont pris le contrôle de l’entreprise par ce biais ont voulu éviter de la diriger directement. On se retrouve alors avec des gouvernances non efficientes. J’estime que le créancier doit assurer la gouvernance de l’entreprise. Je ne crois pas aux schémas d’administrateurs indépendants. Le créancier doit se donner les moyens de gouverner l’entreprise.