Difficile pour les analystes de se montrer assertifs face à la crise financière actuelle, son origine n’étant pas économique mais sanitaire. Malgré les mesures prises par les gouvernements et les banques centrales, les marchés poursuivent leur baisse. Alain Guelennoc, directeur général de Federal Finance Gestion, nous éclaire sur leurs attentes.

Décideurs. En quoi la crise de 2008 et celle que nous vivons actuellement diffèrent-elles ?

Alain Guelennoc. Les deux crises n’ont pas grand-chose à voir l’une avec l’autre. Celle de 2008 a été provoquée par la crise des subprimes, par des prêts consentis dans des conditions plus ou moins frauduleuses. Là, nous sommes face à une crise sanitaire d’une autre ampleur, avec un choc plus important. Les marchés ont fortement baissé dans un délai très court - en quinze jours, ils ont perdu 30 % -, alors qu’en 2008 c’était avant tout une crise du crédit qui s’est transformée en crise financière et bancaire. Néanmoins, les conséquences sont pratiquement les mêmes : forte baisse des marchés, des difficultés financières potentielles, la réaction des banques centrales et des gouvernements.

Il y a sans doute un peu de sur-réaction de la part des marchés, qui réagissent à un manque de visibilité

La crise liée au Coronavirus est-elle rationnelle ?

Il y a sans doute un peu de sur-réaction de la part des marchés, qui réagissent à un manque de visibilité. On a du mal pour l’instant à évaluer la durée et la profondeur de la crise. Chaque jour on apprend de nouvelles choses. C’est très compliqué de prendre des positions dans ces conditions. On sait que la crise aura un fort impact économique. Le gouvernement français revoit déjà sa prévision de croissance à la baisse et annonce une récession pour 2020. Ce qui implique des risques pour la santé des entreprises et l’emploi. Même si nous avons l’impression que ce choc va être amorti par l’intervention des banques centrales et des gouvernements, la période va être compliquée. Autre élément, que les gens ne voient pas : cette forte chute des marchés à un effet autoréalisateur. Elle a impacté beaucoup de fonds qui avaient pris des positions très importantes, d’autant plus qu’on sortait d’une période exceptionnelle de hausse des marchés.

Que pensez-vous des mesures prises pour le moment par les banques centrales ?

On est face à une crise sanitaire. On ne peut pas attendre des banques centrales qu’elles la résolvent. Elles traitent le mal financier mais ce n’est qu’une bouée de sauvetage puisqu’elles n’ont pas d’impact sur l’origine de la crise. L’amélioration de la situation passe par le déploiement de moyens médicaux, du confinement, de mesures adaptées, etc., qui ont prouvé leur efficacité en Chine ou en Corée du Sud. Tant que le virus ne meurt pas l’économie ne redémarrera pas.

L’action de la BCE a néanmoins été critiquée…

Sur le fond, la BCE a fait ce que l’on attendait d’elle. Certains ont été un peu déçus et auraient notamment voulu des volumes d’achats d’actifs plus importants. En réalité, les mesures sont totalement adaptées à la situation. Toutefois, Christine Lagarde a peut-être été un peu maladroite dans son discours. Contrairement au fameux « whatever it takes » de son prédécesseur, Mario Draghi, elle a dit qu’il ne fallait pas s’attendre à ce que la BCE réduise le spread entre États, estimant qu’il leur revenait de le faire. Or, la Banque centrale européenne peut faciliter la liquidité entre les États. Cette nuance a pu décevoir certains opérateurs. À l’inverse, la FED a baissé ses taux de 50 et 100 points de base, ce qui n’a pas eu d’impact fort sur les marchés et a même accentué la baisse. Ce ne sont pas les banques centrales qui vont arrêter la crise.

Y a-t-il néanmoins des bonnes nouvelles?

Oui, même s’il faut rester prudent et attendre les confirmations, nous avons l’impression que, du côté de la Chine, la situation se régularise progressivement. Autre bonne nouvelle : les autorités européennes ont pris la mesure du danger du virus.

Quelles sont les zones d’inquiétude ?

Il faut s’inquiéter de la situation aux États-Unis et de celle de l’Occident dans sa globalité, avec le risque que les services sanitaires soient très vite saturés. Ce qui peut avoir des conséquences très importantes. On a l’impression qu’aux États-Unis tout le monde n’aura pas forcément accès aux soins. La Grande-Bretagne a choisi de laisser faire sans prendre de mesures radicales mais que va-t-il se passer quand ils seront réellement en crise ? Plus l’attaque de ce virus sera forte, plus l’économie sera impactée. L’engorgement des services va entraîner une psychose et laisser des traces durables. Si on est optimiste, dans un mois on atteint le plafond et on ressent les prémices d’une sortie de crise.

Quels sont les scénarios de Fed Finance Gestion ?

Modéliser des scénarios est très complexe. Si vous interrogez un scientifique honnête, il va vous dire qu’il manque de visibilité. Notre préoccupation principale consiste à protéger nos portefeuilles afin de limiter l’impact de la baisse des marchés pour nos clients. Le mouvement à la baisse est excessif. On a commencé à acheter un petit peu car il y a des opportunités avec de belles entreprises pas chères.

Pourquoi tout le monde ne voit pas les choses de cet œil-là ?

Il y a des gens qui sont pris de panique. Le trading électronique amplifie très clairement le mouvement. Quand le marché devient dur, les robots vendent. Tout comme les fonds qui ont besoin de liquidités. Le krach est vraiment très fort. C’est le plus fort que j’ai connu en 35 ans. Quand nous gérons nos portefeuilles, nous nous fixons des niveaux acceptables. Comme dit le dicton : « On n’attrape pas un couteau qui tombe ». Les circonstances de marché nous imposent d’observer une grande discipline dans nos actes de gestion. 

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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