Entretien avec la député Karine Berger, membre de la commission des finances de l'Assemblée nationale, auteur avec Dominique Lefebvre (PS) d’un rapport sur l'épargne financière et sur les besoins de financement de l'économie. Un rôle central qui l’amène à regarder d’un œil attentif les évolutions du secteur du capital-investissement et du financement des entreprises.

Décideurs. Vous vous êtes montrée très critique envers la politique économique du gouvernement en faveur des entreprises, pointant du doigt le coût engendré par le pacte de responsabilité et le CICE. Quelles solutions proposez-vous pour soutenir le développement des entreprises ?

Karine Berger. Deux sujets me semblent plus préoccupants que la question du coût du travail. Tout d’abord celui relatif à la protection de la propriété intellectuelle. Il n’est pas concevable d’imaginer une entreprise continuer à investir si elle n’est pas certaine de pouvoir protéger ses créations. Nous devons lui garantir qu’elle ne soit pas pillée par ses concurrents, notamment par des entreprises chinoises. Pour cette raison, je milite activement pour la création d’un brevet européen. Nous devrions également ériger au rang des priorités la question de l’accompagnement des PME désirant se développer à l’international. À l’instar de ce qui a été mis en place aux États-Unis, au Canada ou au Japon, je soutiens le projet de création d’un small business act à la française mettant à disposition des TPE-PME une palette d’outils juridiques, financiers et commerciaux pour les soutenir dans leur développement à l’exportation.

 

Décideurs. Il est essentiel pour vous de défendre les PME, la prise de risque et l'innovation. Quelles pistes pour se financer ?

K. B. Je n’ai pas le sentiment que les entreprises innovantes, qu’elles soient des entreprises de taille moyenne ou des start-up, aient actuellement à faire face à des problèmes de financement. Loin s’en faut. Les liquidités sont aujourd’hui très abondantes tant et si bien que le financement en fonds propres n’est plus un sujet. Par contre, sur la partie obligataire, les banques demeurent toujours très prudentes. Il faut donc soutenir le développement des offres désintermédiées. L’assouplissement du PEA-PME et la possibilité pour les investisseurs de se positionner sur des fonds obligatoires pourraient être des pistes à suivre.

 

Décideurs. Comme le souligne le commissaire général à l’investissement Louis Schweitzer, le soutien des fonds d’investissement et des entreprises aux projets financiers par le secteur public est essentiel. Faut-il renforcer ce mode d’investissement ?

K. B. C’est l’une des problématiques les plus importantes liées à l’investissement public. Dans ce cadre, je ne peux que saluer l’action de la Banque publique d’investissement qui a créé un véritable effet de levier dans ce domaine. Un second levier, encore plus puissant, sera bientôt mise en œuvre à travers un fonds européen d’investissement stratégique porté par le plan Juncker. Enfin, j’attire l’attention sur les leviers générés par les fonds d’investissement. Si ces derniers ont gagné beaucoup d’argent au cours des dernières années, les valorisations me semblent actuellement trop importantes. Les investisseurs ne doivent pas perdre de vue que c’est un placement qui présente, par nature, un risque important.

 

Décideurs. Vous aviez évoqué l’idée de créer un « livret de l'économie numérique », sur le modèle du livret de développement durable, permettant de rediriger l’épargne des Français vers les start-up. Cette proposition est-elle toujours d’actualité ?

K. B. Oui, elle l’est. Contrairement au livret A ou au livret de développement durable, celui-ci ne serait toutefois pas garanti en capital. Il ne demeurerait pas aussi liquide que les autres livrets défiscalisés. Par contre, il pourrait disposer des mêmes avantages fiscaux et serait utilisé par les épargnants acceptant de prendre davantage de risque en contrepartie d’une espérance de gain plus importante.

 

Décideurs. À votre sens, quel serait le profil type des fonds d’investissement utiles à l’économie ?

K. B. Avant toute chose, le fonds d’investissement doit accepter de se soumettre à une régulation importante. Il me semble que le modèle le plus pertinent est celui des fonds de fonds. Le fonds d’investissement agit alors comme entonnoir. Il devrait également disposer d’un compartiment obligataire. Je prends l’exemple de ce qu’a mis en place la Caisse des dépôts avec le plan Juncker. Ce profil garantit une gestion intelligente et une grande diversification des investissements. Une stratégie essentielle pour une meilleure gestion du risque. Eu égard à la forte baisse des taux d’intérêt et des rendements, un fonds d’investissement qui atteint une rentabilité bien supérieure à celle du marché doit être regardé avec beaucoup d’attention, voire de méfiance.

 

Propos recueillis par Aurélien Florin

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