Marie-Pierre Rixain : "Luttons contre les stéréotypes de manière pragmatique"
Décideurs. Comment les entreprises que vous avez interrogées en amont de la rédaction de votre proposition de loi ont-elles réagi face à l’instauration de quotas de mixité dans les instances dirigeantes et parmi les cadres dirigeants ?
Marie-Pierre Rixain. Plutôt bien. Elles savent qu’il y a une attente de parité explicitement formulée par leurs actionnaires et les cabinets de recrutement avec lesquels elles travaillent. Notamment car la parité permet d’obtenir de meilleurs résultats. Les entreprises ne découvrent pas le phénomène. Certaines ont pris le sujet à bras le corps. Au sein du CAC40, les instances dirigeantes sont composées à 27 % de femmes, et certains groupes vont bien au-delà. La loi que j’ai portée est faite pour que les entreprises qui pourraient atteindre l’objectif de mixité de 40 % d’ici à 8 ans, mais pour qui ce n’est pas une priorité, s’y astreignent.
Et comment cela va-t-il se passer pour celles qui auraient du mal à l’atteindre, pour des raisons qu’elles estiment parfois indépendantes de leur volonté ?
Cette loi n’est pas là pour punir mais pour accompagner un mouvement qui va dans le sens de l’histoire. Sont concernées par ce texte les entreprises capables d’atteindre les objectifs. L’Inspection du travail, lorsqu’elle se penchera sur chaque cas, prendra en compte trois éléments : le point de départ, les efforts réalisés et les motifs de défaillances. Les sociétés peuvent ne pas y arriver parce qu’elles viennent de se restructurer, à cause de départs inopinés ou parce qu’elles se situent dans des territoires où le marché de l’emploi est tendu. On le prendra en compte.
"Il faut une déconstruction sociale par rapport à une certain nombre de postes plus attribués à des hommes qu’à des femmes"
La mixité n’est donc pas un problème de secteur ?
Pas tant que cela. Il y a des entreprises de secteurs à dominante masculine qui, pour autant, ont féminisé leurs instances de direction. Dans le BTP, 80 % des ressources humaines sont des hommes. Mais il y a des femmes diplômées de l’X ou de l’École des ponts et chaussées. Il y a une différence entre construire un pont et suivre un chantier. Ces entreprises doivent se féminiser et ainsi envoyer un signal aux femmes qui entendront qu’elles n’ont pas besoin d’aller vers une entreprise à dominante féminine pour devenir cadres. Il faut une déconstruction sociale par rapport à une certain nombre de postes plus attribués à des hommes qu’à des femmes.
Il y a dix ans, la loi Copé-Zimmermann instaurait un quota de 40% femmes dans les conseils d’administration. Bien respecté, ce texte n’a pourtant pas ruisselé dans les comités de direction et comités exécutifs. Pourquoi ?
À l’époque, il y a eu une espèce de promesse qui disait : ne touchez pas aux Codir et Comex, la loi va ruisseler mécaniquement. Résultat ? Ça n’a pas évolué. S’il n’y a pas de volonté forte du législateur et des mesures un peu coercitives, les choses n’avancent pas. Et on ne peut pas imaginer que l’argent que l’on met et les ambitions que nous avons pour la France de 2030 n’intègrent pas les femmes. Ma proposition de loi laisse le temps aux entreprises de se mettre en conformité. Elles seront accompagnées par l’Inspection du travail si besoin.
"S’il n’y a pas de volonté forte du législateur et des mesures un peu coercitives, les choses n’avancent pas"
Au moment du passage de la loi Copé-Zimmermann, certaines entreprises ont joué sur la taille de leur conseil d’administration pour rentrer dans les clous. Ne craignez-vous pas ce type de comportements ?
Il peut toujours y avoir des mesures de contournements. J’ai tout fait pour que le texte réduise cette possibilité et on est là pour faire confiance aux entreprises, accompagner un processus inéluctable. La version finale de la loi prévoit que, dans deux ans, les entreprises publient leur ratio de féminisation. Ce qui permettra à tous de mesurer leurs efforts jusqu’à l’application des mesures d’ici à huit ans. Si certains groupes cherchent à contourner la loi, cela va se voir. Ce sera contre-productif pour leurs recrutements de talents. Par ailleurs, le texte se veut suffisamment exigeant mais s’il faut resserrer les mailles du filet, nous le ferons.
Et imposer des quotas de femmes aux TPE et PME dans un deuxième temps également ?
Peut-être mais dans un premier temps il fallait être réaliste. Et d’abord toucher les entreprises dont les services RH permettent de mettre en place cette mesure. Les plus petites entreprises vont inéluctablement devoir s’intéresser à ce sujet. L’index de mixité va être regardé par les talents et des difficultés de recrutements, et donc de croissance, vont se faire jour si le plafond de verre apparaît comme trop solide.
Combien de temps pensez-vous qu’il faudra attendre pour voir davantage de femmes CEO du CAC40 ?
Je ne sais pas mais cela pourrait être assez rapide. Dans certaines entreprises, un vivier de femmes dirigeantes important existe déjà. D’ici deux-trois ans, on pourrait en voir le résultat. Il y a également une attente forte des actionnaires sur ce point. Et la féminisation des instances dirigeantes va redistribuer aussi les cartes au sein des entreprises et permettre plus de granularité. Lors des auditions pour ma proposition de loi, Christine Lagarde a attiré notre attention sur cela : les instances dirigeantes ne seront pas l’alpha et l’oméga pour briser le plafond de verre. Il faut de la granularité, que la mixité touche toutes les strates de la société.
La loi prévoit des quotas de mixité au sein de Bpifrance afin de faciliter l’entrepreneuriat féminin, mais pas de quotas dans les financements attribués. Pourquoi ?
Nous n’avons pas mis en place de fonds dédiés aux femmes. Mais nous demandons à Bpifrance d’être vigilante aux fonds accordés aux femmes et aux hommes. La féminisation des comités d’investissement (qui comportent actuellement en moyenne 21 % de femmes) va permettre de lutter contre les biais et cela était nécessaire.
Et pour ce qui est de la lutte contre l’autocensure des femmes qui portent des projets ?
Les femmes ne naissent pas autocensurées. C’est une construction sociale. Depuis qu’elles sont petites, elles ont des chaussures moins confortables que les garçons. Des études montrent qu’elles reçoivent moins d’argent de poche. On leur propose davantage de faire de la danse que du karaté, etc. Ce ne sont là pas des constats de féministes jusqu’au-boutistes mais une réalité. On voit par exemple qu’à Louis Le Grand, le pensionnat pour les classes préparatoires mathématiques comportent moins de lits dans les dortoirs féminins que masculins. Ce qui a un impact sur le nombre de jeunes filles qui peuvent faire maths sup, maths spé. On sait aussi que lorsqu’il y a moins de 30 % de femmes dans une équipe, on constate des phénomènes sexistes.
Quelle est la solution ?
Il faut être proactif sur le sujet et lutter contre les stéréotypes de manière pragmatique. Je ne peux pas entendre qu’on ne trouve pas de femmes dans certains secteurs. Il faut faire des efforts à grande échelle car nous sommes dans une organisation systémique ankylosée. Le texte de loi que j’ai porté est un coup de pression dans le tube. Et ce n’est qu’un début.
Propos recueillis par Olivia Vignaud