Le pouvoir d’achat est-il has been ?
Le site du ministère de l’Économie définit le pouvoir d’achat comme "la quantité de biens et de services qu’un revenu permet d’acheter. Il dépend alors du niveau du revenu et du niveau des prix. L’évolution du pouvoir d’achat correspond donc à la différence entre l’évolution des revenus des ménages et l’évolution des prix. Si la hausse des revenus est supérieure à celle des prix, le pouvoir d’achat augmente. Dans le cas contraire, il diminue". Simple, clair, enfantin, compréhensible par tous. Et surtout, indicateur infaillible de la richesse d’une population, intrinsèquement liée à son habilité à consommer toujours plus de biens et de services. Derrière l’évidence et face à l’impasse de produire toujours davantage dans un monde fini, trois scénarios se dégagent.
La croissance verte : le chemin de croître
C’est l’option la moins disruptive, privilégiée par la plupart des acteurs politiques et économiques. Elle repose sur une optimisation des machines et processus de production, alliée à des comportements plus responsables des consommateurs. L'avantage : l'économie d'un changement de logiciel. L’objectif : un découplage jusqu’ici jamais constaté, de la création de valeur et des émissions de gaz à effet de serre. Un défi résumé ainsi par Jean-Marc Jancovici dans un post LinkedIn : "Augmenter le pouvoir d'achat de 1% par an tout en respectant la baisse des émissions à la bonne vitesse (5% par an) est parier sur une baisse de 6% par an du CO2 par unité de PIB (elle n'a jamais fait mieux que 1% environ sur période longue)". Le postulat repose en grande partie sur la confiance accordée au progrès technologique, qui ne pourra se faire que par des investissements massifs, eux-mêmes conditionnés par la croissance, donc un pouvoir d’achat préservé. CQFD.
Il est temps de préparer les esprits aux épreuves à venir plutôt que d'entretenir le feu de vieilles idoles
La sobriété choisie : la décroissance organisée
"Ce ne sont pourtant pas les solutions pour faire autrement qui manquent, mais plutôt l’incapacité à faire notre deuil cornucopien d'un monde sans fin. Tôt ou tard, l’économie va devoir ralentir. Soit nous l’anticipons pour créer du pouvoir de vivre, soit nous le subirons sans espoir de préserver le pouvoir d'achat. Pour garder la main sur notre destin, nous devons rendre désirable l’immatériel qui rend heureux, au détriment du matériel qui rend jaloux. Nous devons apprendre à générer le besoin du non-besoin et flécher le meilleur de la technologie au service du toujours moins, jusqu’à ce que nous nous resynchronisions aux limites planétaires." Ce n’est pas un invétéré khmer vert ou un baba cool porteur de sarouel qui s’exprime ainsi mais bien Fabrice Bonnifet, directeur développement durable et qualité, sécurité, environnement du groupe Bouygues et directeur du Collège des directeurs de développement durable, dans un édito publié sur le site de LCI. La sobriété choisie qu’il décrit repose sur l’acceptation de la finitude du monde et la nécessité d’y accorder nos modèles d’affaires, nos besoins, nos désirs. Un changement culturel, philosophique, organisé, qui relève encore du choix et permet, in fine, de se libérer progressivement d’une dépendance. Le choix de la pauvreté ? Pour 82 dirigeants d’entreprises, dans une tribune publiée le 2 juillet dernier, c’est tout le contraire : "La sobriété économique organisée est un moyen de ne pas faire peser le poids de la transition sur les plus démunis." Et elle se substitue aux aides d’État qui, comme les chèques énergie ou alimentaires, quoiqu’à bien des égards nécessaires, font perdurer le statu quo sous respirateur artificiel.
La transition écologique a un besoin urgent de nouveaux indicateurs de richesse, de nouvelles boussoles de vie
La sobriété subie : une pauvreté imposée
C’est le point de rupture où la nécessaire transition vers d’autres modes de consommation n’a pas été opérée, anticipée et où l’accès à certains produits et services devient tout simplement impossible pour certaines tranches de la population, par exemple contraintes de ne plus prendre leur voiture faute de pouvoir se payer l’essence. Elle touchera directement les populations moins aisées et les plus exposées à la volatilité des prix. Avec des conséquences sociales qui feront passer les Gilets jaunes pour d'aimables bisounours.
Du pouvoir d’avoir au pouvoir d’être
Il y a une contradiction totale dans les injonctions de sobriété du gouvernement et sa ligne directrice de maintenir et faire progresser le pouvoir d’achat. Il est temps de préparer les esprits aux épreuves à venir plutôt que d'entretenir le feu de vieilles idoles. Comme le souligne le penseur libéral Gaspard Koenig dans une tribune aux Echos, paraphrasant le philosophe André Gorz : "L’individu doit devenir maître de ses productions en définissant pour lui-même une norme du suffisant. Moins de pouvoir d’achat, c’est plus de pouvoir sur soi : pouvoir de transformer et de réparer les objets ; pouvoir de penser hors du flux continu des sollicitations. Cette autolimitation est la condition de toute action écologique. Ce n’est donc pas pour sauver la planète qu’il faudrait réduire sa consommation. C’est en réduisant sa consommation et en redonnant du sens à son travail que l’on intégrera intimement l’exigence de préserver son écosystème." Et de conclure : "Une clarification personnelle et collective s’impose. On ne peut pas à la fois distribuer des chèques et appeler à baisser le chauffage. Sobriété ou pouvoir d’achat, il faut choisir." La transition écologique a un besoin urgent de nouveaux indicateurs de richesse, de nouvelles boussoles de vie.
Antoine Morlighem