La mission sur l’évaluation de la loi Sapin 2, composée des députés Raphaël Gauvain et Olivier Marleix, a présenté son rapport le 7 juillet dernier. Les rapporteurs dressent plusieurs pistes d’évolution, relatives notamment à la CJIP. Sa publication intervient à un moment où, selon leurs propres termes, "la politique anticorruption de la France cherche un second souffle".

Par Uriel Goldberg, directeur au bureau de Forensic Risk Alliance à Paris.

Si les propositions faites par les députés Raphaël Gauvain et Olivier Marleix portent également sur l’activité de l’AFA, le statut des lanceurs d’alerte, ainsi que sur le registre des représentants d’intérêts, celles sur la CJIP ont particulièrement retenu notre intérêt. En effet, si elles étaient adoptées par le législateur, ces propositions seraient susceptibles d’affecter de manière significative cet outil de justice négociée.

Réduire certaines incertitudes inhérentes aux CJIP

Comprenant les appréhensions que peuvent éprouver les dirigeants d’entreprises à choisir la voie de la négociation d’une CJIP sans avoir l’assurance que celle-ci aboutira, les rédacteurs du rapport recommandent que soient publiées de nouvelles lignes directrices, rédigées par le PNF, visant notamment à garantir que lorsque certaines conditions seront remplies (en cas de pleine coopération, notamment), l’entreprise pourra avoir l’assurance qu’une CJIP lui sera proposée.
Dans un même esprit visant à réduire les zones d’incertitude de ceux qui hésiteraient à s’engager dans la négociation d’une CJIP, Raphaël Gauvain et Olivier Marleix proposent d’offrir un cadre plus protecteur aux documents et informations, transmis par l’entreprise, en particulier si les négociations n’aboutissent pas, et de mener une réflexion sur les avis juridiques internes pour leur conférer un statut de legal privilege à la française.

La situation complexe qui a résulté, en février dernier, du refus du juge d’homologuer une CRPC, pour des faits imputés à la société Bolloré, alors que la CJIP relative aux mêmes faits avait été validée, les a également conduits, plutôt que d’étendre la CJIP aux personnes physiques, solution à laquelle ils ne sont pas favorables, à proposer la création d’une procédure de CRPC spécifique, applicable uniquement en cas de révélations spontanées et de pleine coopération, pour les faits de corruption et d’atteinte à la probité. Dans ce cas, les critères d’homologation par le juge seraient adaptés de manière à limiter les risques de rejet.

Les rapporteurs louent la flexibilité du dispositif français en matière d’évaluation de l’amende, qui laisse une grande liberté au parquet dans le choix du mode de calcul de l’amende. En comparaison, les systèmes anglo-saxons paraissent plus contraignants. Ainsi en est-il des US Guidelines, dont la précision paraît limiter fortement les marges de manoeuvre des procureurs américains.

"Ces propositions tendent, en partie, à réduire le niveau d’incertitude qu’induit la décision de s’engager dans une CJIP"

L’inconvénient, qui en résulterait, serait la grande difficulté, voire l’impossibilité, pour les sociétés d’évaluer, même très approximativement, le montant de l’amende qu’elles pourraient avoir à payer dans le cadre d’une CJIP.

La recommandation faite, qui viserait à rendre public le barème de prise en compte du degré de coopération de l’entreprise, permettrait de réduire cette incertitude. En théorie, cette affirmation est exacte. En pratique, et pour ce qui concerne les faits de corruption, les difficultés liées à l’évaluation de l’avantage retiré des manquements sont bien plus grandes et ont un impact, le plus souvent, bien plus considérable que le facteur atténuant, résultant de l’initiative, ou non, de la société d’alerter la justice et de la coopération de celle-ci.

On pourrait, enfin, si l’on suivait la logique sous-tendant cette proposition, inviter à ce que soit également rendu public un barème de prise en compte des facteurs aggravants dans le calcul de l’amende de la CJIP.

Un monitoring à durée révisable

Dans un souci de cohérence entre l’article 40-1-2 du Code de procédure pénale, détaillant le dispositif de la CJIP, et l’article 131-39-2 du Code pénal, auquel l’article 40-1-2 du Code de procédure pénale renvoie, les rapporteurs proposent de faire passer la durée maximale de monitoring de trois à cinq ans. Par ailleurs, ceux-ci affirment qu’il peut être délicat d’établir, dès la signature de la CJIP, la durée adéquate d’un monitoring et proposent de donner la possibilité au parquet d’étendre, avec l’accord de la société, la durée de celui-ci.

On peut comprendre les raisons qui sous-tendent ces deux recommandations. Pourtant, on imagine facilement que le coût attaché à cinq ans de monitoring pourrait être disproportionné au regard d’une amende modérée, résultant, par exemple, d’un périmètre de faits couverts par la CJIP réduit. De même, cette nouvelle durée maximale de cinq ans vient réduire l’intérêt d’une CJIP, comme outil juridique permettant à la personne morale de tourner la page relativement rapidement. Enfin, la recommandation, visant à permettre la révision de la durée du monitoring après la signature de la convention, vient également porter un coup à l’intérêt de réduire de manière significative l’incertitude financière, que porte en elle la CJIP.

Outre le rappel et la mise en perspective, toujours intéressante, de l’évolution des dispositifs législatifs de lutte contre la corruption, ce rapport confirme l’intérêt, pour l’ensemble des parties concernées, d’une voie de justice négociée et donc, pour le législateur, d’aménager le dispositif actuel pour le rendre plus opérationnel encore.
Raphaël Gauvain et Olivier Marleix ont identifié le risque important que les dirigeants d’entreprises perçoivent, à venir dénoncer des faits à la justice. Ce risque résulte des incertitudes liées tant au statut des documents et informations transmis qu’au sort qui pouvait être réservé aux personnes physiques, et enfin, et surtout, au montant de l’amende que la société aurait à verser et à l’obligation pour elle d’avoir à se soumettre, ou non, à un monitoring de l’AFA.

Les rapporteurs ont fait un nombre important de recommandations visant à limiter ces zones d’incertitudes. Si elle était empruntée par les législateurs, cette voie rendrait plus attractif encore, car plus sûr, cet outil alternatif au procès que représente la CJIP.

La prochaine étape consistera, pour les parlementaires, à déterminer, parmi les évolutions proposées, celles qui, à leurs yeux, devront être intégrées au dispositif légal actuel. 

LES POINTS CLÉS

La CJIP est reconnue comme un outil efficace, mais dont certains dispositifs doivent être adaptés.

  • •  Les propositions des rapporteurs visent à réduire les incertitudes des dirigeants, que ce soit concernant la garantie de la conclusion d’une convention, le montant de l’amende ou le statut des avis juridiques internes.
  • •  Une CRPC spécifique, pour les personnes physiques, est également recommandée.
  • •  La durée de monitoring pourrait être étendue à cinq ans et revue après la conclusion de la CJIP.


SUR L'AUTEUR

Uriel Goldberg est directeur au bureau de Forensic Risk Alliance à Paris. Expert-comptable et auditeur de formation, il a occupé des postes de direction financière au sein de secteurs d’activité variés. Plus récemment, il était expert au sein du Parquet national financier. À ce titre, il est intervenu dans la négociation de plusieurs CJIP.

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