La pandémie de Covid-19 a bouleversé nos habitudes catalysant certaines tendances telles que la digitalisation, nous forçant à nous adapter. Les dispositifs de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB-FT) ne sont pas en reste, particulièrement dans certains secteurs à risque et moins matures, devant aussi prendre le pas de la digitalisation.

Par Hannah Rossiter et Caroline Leblanc, de Duff & Phelps / Kroll

Certains secteurs non financiers assujettis aux obligations de lutte contre le blanchiment d’argent (LCB) de la 5e directive sur le blanchiment de capitaux, tels que les marchés de l’art et des jeux d’argent, demeurent encore en prise de maturité face à leurs responsabilités. En outre, la pandémie de Covid-19, en accélérant la transition numérique, a mis en évidence les lacunes des dispositifs LCB-FT. Comment concilier les exigences réglementaires avec les nouveaux risques émergents de la digitalisation ?

Une transition digitale qui augmente les risques

Le marché de l’art, reconnu comme un secteur à risque en matière de blanchiment de capitaux compte tenu de l’opacité de certaines pratiques, notamment la fréquence importante des paiements en espèces, la volatilité et la subjectivité des prix de vente et l’utilisation des ports francs, a mis un coup d’accélérateur dans sa transition numérique depuis la crise sanitaire de la Covid-19. En effet, l’augmentation rapide de la circulation des oeuvres d’art sur Internet et des flux financiers correspondants a augmenté les risques de blanchiment des capitaux du fait du caractère dématérialisé des transactions et du manque de traçabilité des oeuvres et des fonds.

De son côté, le marché des jeux d’argent a également accéléré sa transition numérique de par les mesures de distanciations sociales liées à la pandémie résultant en la fermeture administrative temporaire d’établissements dédiés : les jeux d’argent en ligne ont connu une forte croissance dans les derniers dix-huit mois. Du fait de cet essor, les caractéristiques intrinsèques de l’entrée en relation à distance n’ont fait qu’augmenter la difficulté concernant l’identification des joueurs : cartes prépayées ou même usurpation d’identité.

Comment se préparer à une pression accrue en matière de LCB-FT ?

Les régulateurs ne réduisant pas leurs exigences, les acteurs de ces marchés doivent aussi prendre le pas de la digitalisation de leur dispositif LCB-FT. Le point de départ est la capacité à démontrer la mise en place d’un dispositif de prévention et de détection des risques de LCB-FT robuste et en fonction des risques. L’élément opérationnel de ce dispositif concerne la connaissance du client (KYC). Le KYC constitue un processus interactif et continu devant être effectué avant d’accepter un joueur/client, puis revu tout au long de la relation, en mettant l’accent sur l’évaluation des facteurs de risque, tels que le comportement de la contrepartie et les transactions effectuées.

Avec la digitalisation, il convient d’adapter les méthodes traditionnelles utilisées pour recueillir des informations sur les clients. Par exemple, un formulaire d’inscription en ligne, complété préalablement au début de la relation, comportant des champs obligatoires et le téléchargement de pièces justificatives répondra aux exigences réglementaires de base. Ces éléments pouvant être vérifiés par la suite grâce aux méthodes traditionnelles ou directement comparés à des bases de données dédiées, qu’elles soient internes (i.e. interdiction volontaire de jeu) ou externes (i.e. listes de sanction, PEP, etc.).

La blockchain permet d’affranchir n’importe quel fichier numérique avec un marqueur d’authenticité infalsifiable qui, dans le monde réel, peut être considéré comme un titre de propriété.

Néanmoins, une fois le client filtré, le processus est loin d’être terminé. Le dispositif doit comprendre un suivi continu des clients à haut risque. En effet, sur la base des informations KYC obtenues ainsi que du comportement du client, il pourra être nécessaire d’effectuer une diligence renforcée dont les principaux domaines sont, notamment : la source de la richesse afin de déterminer si les fonds proviennent d’une activité professionnelle, d’un héritage ou d’une activité criminelle ou la capacité financière d’une personne. Par la suite, les transactions, telles que des montants importants mis en jeu ou des transactions complexes ou inhabituelles, doivent également être analysées pour faire ressortir des signaux d’alarme pouvant entraîner des contrôles renforcés. Ces contrôles ont pour but de faire ressortir des scénarios indicatifs de blanchiment d’argent.

Par exemple, dans le secteur du jeu, il est important de noter que la surveillance des transactions suspectes repose sur du data analytics souvent calibré avec un excès de prudence, entraînant plusieurs faux positifs nécessitant un temps d’analyse humaine important. L’analyse de ces transactions pourra ainsi mettre en évidence des changements dans les habitudes de jeu et la détection des causes potentielles (changement de fonction, licenciement, modification du rythme de vie sans lien avec de nouveaux revenus). Les opérateurs peuvent utiliser ces contrôles renforcés pour juger s’il y a des raisons de croire que l’argent joué provient de sources illicites. Le machine learning, déjà utilisé par les institutions financières dans les systèmes LCB-FT, aura définitivement une place prépondérante pour les établissements de jeux d’argent en ligne afin d’optimiser la détection de ces comportements à soupçon du fait de la quantité de joueurs et des transactions.

Vers une nouvelle génération d’oeuvres numériques

Entre 2018 et 2020, les non-fungible tokens "NFT") ont multiplié la valeur du marché de l’art numérique par 101, le démocratisant. En effet, ces oeuvres sont négociées dans l’univers virtuel où s’échangent les cryptomonnaies, réduisant les coûts associés aux transactions, tels que la certification sur la blockchain lors de la remise en circulation des oeuvres.

La blockchain permet d’affranchir n’importe quel fichier numérique avec un marqueur d’authenticité infalsifiable qui, dans le monde réel, peut être considéré comme un titre de propriété. Ce dernier, associé au fichier en question, constitue un NFT. Rassemblées dans ce qui peut être considérés comme des passeports numériques, les données rattachées aux oeuvres d’art telles que l’authenticité, la provenance, l’historique des expositions et des transactions sont validées par des communautés informelles d’internautes disséminées un peu partout dans le monde.

S’adapter au numérique

Nous avons été collectivement spectateurs d’une accélération de la digitalisation expliquée par les avancées technologiques mais surtout par la crise sanitaire. Il en a découlé une nécessité pour les secteurs du jeu de l’art de renforcer leur dispositif LCB-FT tout en l’adaptant au monde numérique. D’un autre côté, la dématérialisation du secteur de l’art n’indique pas que les NFT sont plus susceptibles d’être liés au blanchiment que d’autres secteurs. Toutefois, il est nécessaire de rester vigilants et de réévaluer les risques auxquels nous serons confrontés. En effet, il est difficile d’établir concrètement comment le KYC se conciliera avec l’anonymat de la blockchain, où l’on ne sait jamais vraiment qui détient l’oeuvre d’art et d’où proviennent les fonds. Les marchés de l’art et du jeu sont désormais soumis à des règles et un corpus réglementaire stricts et doivent impérativement s’adapter au risque de devoir faire face à un risque de réputation et de sanction qui pourrait sonner le glas de leur activité.

LES POINTS CLÉS

  • •  L’identification des risques est le point de départ d’un dispositif LCB-FT robuste.
  • •  La conformité demeure un processus interactif et évolutif qui ne se résume pas à un exercice de "cochage de case", mais doit être multifactorielle et en continu : client, transaction, comportement.
  • •  La digitalisation du dispositif LCB-FT, accompagnant la digitalisation des opérations, contribue à mettre en place une approche opérationnelle et optimisée du KYC.
  • •  La transition numérique requiert une revue régulière des risques et du dispositif LCB-FT.


SUR LES AUTEURS

Hannah Rossiter est managing director au bureau de Paris, en charge du pôle conseil en matière de réglementation financière et compliance, financial services regulatory compliance.

Caroline Leblanc, associate managing director, accompagne les entreprises dans leurs enjeux de compliance au sein du pôle de forensic investigations and intelligence.

SUR DUFF & PHELPS | KROLL

Duff & Phelps | Kroll est leader mondial de services et solutions digitales liés à la gouvernance, la maîtrise des risques et la transparence. Depuis sa création en 1932, Duff & Phelps a intégré plus de 30 sociétés à son portefeuille d’activités, dont Kroll en 2018. Elle compte 5 000 collaborateurs répartis à travers 30 pays du monde.

Elle intervient dans les domaines de l’évaluation financière finalité comptable, fiscale, transactionnelle et contentieuse, au travers de ses services en évaluation de sociétés, d’actifs financiers complexes (dont management packages), ainsi que d’actifs corporels et incorporels (marques et brevets). Duff & Phelps | Kroll intervient également en qualité d’expert indépendant dans le cadre d’opérations boursières (attestation d’équité), de litiges (arbitrage) ou de transactions (opinion de valeur).

Duff& Phelps| Kroll propose par ailleurs une offre intégrée à destination des fonds d’investissement et sociétés de gestion, recouvrant le conseil en matière de conformité et réglementation financière ainsi que l’implémentation de programmes de conformité pragmatiques, opérationnels et sur mesure pour des organisations françaises et internationales sur les sujets, notamment, de LCB-FT, protection des données et la mise en place d’un dispositif anticorruption.

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