« Ma journée particulière ? C’était il y a vingt-deux ans », glisse, souriant, Jean-Michel Darrois.
Hiver 1991, la sphère agroalimentaire est en ébullition. Le groupe Perrier est en passe d’être racheté par la puissante famille italienne Agnelli. Reto Domeniconi, le numéro deux de Nestlé, contacte alors Jean-Michel Darrois. Il confiera plus tard l’avoir choisi pour son côté bagarreur d’ancien boxeur. Après avoir étudié le dossier, les Suisses renoncent. Mais c’est sans compter sur leur nouvel avocat : ce dernier estime « qu’il y a quelque chose à faire ». Réponse du tac au tac de la firme, perplexe et un brin défaitiste : « Vous n’avez qu’à regarder de votre côté monsieur Darrois ! » S’ensuivent différents procès destinés à réduire les droits de vote du groupe italien qui seront remportés les uns après les autres.

Résultat, les protagonistes se retrouvent au printemps. Le temps, en ce mois d’avril 1992, à Vevey, sur le lac Léman, est particulièrement agréable. L’eau scintille, les montagnes dominent le paysage et l’imposant bâtiment en verre et acier de Nestlé trône sur une immense pelouse verdoyante dévalant vers le bassin. « Nous patientons en admirant cette carte postale… quand un vrombissement lointain se fait entendre. Un hélicoptère se pose. En sortent trois Italiens chicissimes. On se serait cru à un défilé ! », décrit Jean-Michel Darrois.
Les hommes d’affaires pénètrent dans l’antre du groupe industriel et rejoignent une salle de réunion où on leur propose « des Nescafés bien évidemment », s’amuse celui qui plaide à la même époque dans l’affaire de la Cogedim. Les discussions démarrent.

Le temps est compté. « La difficulté dans ces combats réside dans l’image. Il ne peut pas y avoir de victoire humiliante quand des groupes industriels internationaux comme Nestlé, Perrier et la famille Agnelli sont engagés », explique-t-il. Pourtant, rapidement, le ton monte. Une proposition de rachat est faite aux Italiens : l’offre est immédiatement repoussée. « Les arguments s’entrechoquent, les coups de téléphone affluent, on se lève, on se rassoit, les portes claquent. L’équipe transalpine quitte la pièce. » Jean-Michel Darrois est convaincu d’une chose, le leader mondial helvète joue à domicile et il faut en profiter. Il retrouve alors ses interlocuteurs dans une autre pièce, à l’abri des batailles d’ego. « Certains négocient en force, pas moi. Je règle les points bloquants les uns après les autres : d’abord ceux en périphérie, pour ensuite avancer mes conditions et m’y tenir. » Un ballet d’allers-retours débute pour l’avocat entre ses clients et les représentants de la dynastie italienne. Au fil des heures, les positions se rapprochent. En début d’après-midi, « un accord est établi. Nous décidons de nous retrouver le soir même à Paris pour le finaliser. »
Les conseils de la famille Agnelli repartent avec leur hélicoptère. Antoine Riboud, président de BSN, allié de Nestlé à l’époque, félicite le clan franco-suisse. « Il est ravi et passe me chercher pour aller chez Gide rédiger et signer les contrats. Une longue nuit de "closing" nous attend. Nous finirons vers trois heures du matin.»

La même semaine, « je plaide pour défendre les intérêts de François Pinault accusé d’abus de droit dans le rachat du groupe Printemps. La Cour d’appel de Paris lui donne raison. » Les quotidiens nationaux s’amusent : « Darrois défend les minoritaires Nestlé » et « Darrois défend les majoritaires de Printemps ». L’avocat parisien peut être satisfait. Le rachat de Perrier par Nestlé est comme le dira Michel David Weil « la première OPA gagnée par le droit. »


Camille Drieu

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