Par Xavier Lagarde, avocat associé. Peisse Dupichot Lagarde Bothorel & Associés
Il est fréquent qu’à l’occasion d’un même litige, certaines parties soient liées par une clause compromissoire, d’autres non. Que décide la jurisprudence ? Que le pouvoir juridictionnel du tribunal arbitral est aisément extensible. Qu’au contraire, même en cas d’indivisibilité du litige, le juge étatique saisi doit s’effacer devant la juridiction arbitrale.

La procédure sur laquelle est construite la théorie générale du procès met essentiellement en présence un demandeur et un défenseur. Pourtant, en pratique, la pluralité de parties est fréquente. Les instances sont multipartites, certaines parties parfois liées par une clause compromissoire, les autres non.
L’application de cette clause dans ces instances pose deux questions:
- Le tribunal arbitral désigné peut-il connaître de demandes à l’égard de parties n’ayant pas souscrit à la clause compromissoire ? C’est la question de l’étendue de la compétence de la juridiction élue ;
- La seconde question est à front renversé et revient à se demander si la juridiction d’ores et déjà saisie doit décliner sa compétence au bénéfice des parties à une clause compromissoire ; c’est la question de la compétence exclusive de la juridiction arbitrale, corrélativement de l’incompétence des juridictions légalement désignées.

Compétence des juridictions arbitrales
La force d’attraction des clauses compromissoires est considérable. Le principe est sans doute qu’il faut avoir manifesté son intention d’être engagé par une convention d’arbitrage pour être justiciable d’une compétence arbitrale (1).Il existe cependant deux brèches. Les clauses compromissoires circulent avec aisance. Pour être séparable, la convention d’arbitrage n’en revêt pas moins un caractère accessoire au contrat auquel elle se rapporte. De la sorte, elle suit le contrat et les créances qui en sont issues, en quelques mains qu’ils se trouvent. La clause compromissoire s’impose à toute partie venant aux droits de l’un des contractants (2), également au bénéficiaire d’une stipulation pour autrui (3). La Cour de cassation juge également que « dans une chaîne de contrats translatifs de propriété, la clause compromissoire est transmise de façon automatique en tant qu’accessoire du droit d’action, lui-même accessoire du droit substantiel transmis, sans incidence du caractère homogène ou hétérogène de cette chaîne » (4). Cette transmission de la clause multiplie les occasions de soumettre à l’arbitrage des parties qui n’ont pas manifesté leur intention en ce sens (5).
En l’absence de tout dispositif propre à justifier la transmission de la clause par accessoire, les hauts magistrats ont admis que « l’effet de la clause d’arbitrage international s’étend aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et les litiges qui peuvent en résulter » (6).Transmission et implication sont ainsi les vecteurs d’une extension sur des bases objectives du champ d’application des conventions d’arbitrage. Priorité est ainsi donnée à l’unité de l’instance arbitrale. Y a-t-il réciprocité ?

Incompétence des juridictions étatiques
La juridiction étatique saisie doit-elle décliner sa compétence au profit de parties qui excipent d’une clause compromissoire ?
Il faut ici rappeler que, devant les juridictions étatiques, tout est fait pour assurer une unité de traitement des instances multipartites. S’il n’y a qu’un litige, ou presque, le code de procédure civile, également le Règlement 1275/2012, permet que, malgré la pluralité de parties, il n’y ait qu’une seule instance. L’objectif est l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Il s’agit d’éviter qu’une même matière fasse l’objet d’un traitement atomisé. Cet intérêt pourrait prévaloir au détriment des bénéficiaires de clause compromissoire.
Tel n’est pas le parti de la jurisprudence. Il a ainsi été jugé avec force, au visa des « articles 42, alinéa 2, et 1492 du (nouveau) Code de procédure civile », que « la prorogation de compétence en cas de pluralité de défendeurs, le litige fût-il indivisible, est étrangère à la détermination du pouvoir de juger de la juridiction étatique à laquelle est opposée une clause compromissoire » (7). L’indivisibilité du litige, c’est-à-dire l’impossibilité d’en morceler le traitement sans prendre le risque de décisions inconciliables entre elles, ne donne là comme ailleurs aucun avantage à la juridiction étatique. L’article 333 du code de procédure civile est d’ailleurs sans effet en cas de clause compromissoire . (8)

Où est la cohérence ?
Il y aurait eu quelque élégance à ce que les bénéficiaires des clauses compromissoires, qui peuvent aisément en imposer les conséquences aux tiers, rendent en quelque sorte la politesse. Il s’ensuivrait un effacement des dites clauses dès lors que le litige est porté devant la juridiction étatique que désignent les règles de compétence. D’autant que les clauses compromissoires emportent renonciation au droit au juge naturel (9). Selon ce principe, « tous les justiciables se trouvant dans la même situation doivent être jugés par les mêmes tribunaux, selon les mêmes règles de procédure et de fond » (10). Précisément, la clause compromissoire déroge à ce principe d’égalité. La dérogation est admissible dès lors qu’en connaissance de cause et dans les matières disponibles, il est en principe permis de renoncer à des droits procéduraux. Le droit de renoncer au droit d’agir emporte le droit de renoncer au juge naturel. Pour autant, les renonciations ne se présument pas. De la sorte, il n’est pas interdit de s’interroger sur le bien-fondé d’une jurisprudence qui étend généreusement la portée de cette renonciation dans le même temps qu’elle en renforce les effets.

1-Cass. civ. 1ère 29 juin 2011, P. n° 09-17346, inédit.
2-  Civ. 1ère, 8 févr. 2000, Bull. civ., no 36.
3-Civ. 1ère, 11 juill. 2006, P. no 03-11.983 ; sur cette question, v. C. Larroumet, Promesse pour autrui, stipulation pour autrui et arbitrage, Rev. arb. 2005. 903-916.
4-Civ. 1ère, 27 mars 2007, pourvoi no 04-20842.
5-Sur ces solutions, v. l’article de synthèse de L. Thibierge, Arbitrage et volonté, Droit et Patrimoine, juin 2012, p. 36 et s. et les nombreuses références.
6-Civ. 1ère, 27 mars 2007, préc. V. également, Civ. 1re, 17 nov. 2010, P. n° 09-12442, Bull. civ. I n° 240.
7-Cass. civ. 1ère 6 février 2001, précité ; v. également,
Cass. civ. 1ère 16 octobre 2001, P. n° 99-19.319, Bull. civ. I n° 254.
8-Cass. civ. 1ère 12 mai 2004, P. n° 01-13.903, Bull. civ. I n° 129.
9-Pour une utilisation de l’expression par les hauts magistrats, v. par ex. Cass. civ. 3ème, 20 juin 2007, P. n° 06-12.569, Bull. civ. III n° 110 : « le juge judiciaire (est le) juge naturel de la propriété privée ».
10- S. Guinchard et alii, Droit processuel, 6ème éd. 2011, n° 314 ; v. également, Th. Renoux, Le droit au juge naturel, droit fondamental, RTDCiv. 1993, p. 33.






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