Par Aurélien Louvet, avocat associé, Capstan Avocats
La construction jurisprudentielle du régime de la prise d’acte.

La possibilité pour le salarié en contrat à durée indéterminée de tirer unilatéralement les conséquences de la faute contractuelle de son employeur a été consacrée et définie au cours des dernières années par la jurisprudence (Cass. soc. 21 janvier 2003 n° 00-44502).

Elle permet au salarié de quitter sans préavis l’entreprise en imputant la responsabilité de cette rupture à son employeur et n’est soumise à aucun formalisme.

La prise d’acte est d’effet immédiat et en principe exclusive de tout préavis, même si le salarié peut décider de l’exécuter (Cass. soc. 2 juin 2010, n° 03-40215). L’employeur doit cesser de verser au salarié sa rémunération, sauf s’il décide d’exécuter son préavis, et est tenu de lui remettre les documents de fin de contrat (attestation Pôle emploi, certificat de travail, reçu pour solde de tout compte). Elle prive le salarié du bénéfice des allocations chômage.

Il ne s’agit pas d’une forme de rupture du contrat de travail à part entière dans la mesure où elle doit être qualifiée juridiquement par le juge pour produire ses effets :

- si les manquements reprochés à l’employeur justifient selon lui la prise d’acte, celle-ci sera assimilée à un licenciement sans cause réelle et sérieuse et le salarié pourra prétendre aux indemnités qui en découlent automatiquement (indemnité de préavis, indemnité de licenciement, indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, allocations chômages…) (Cass. soc. 28 septembre 2011 n° 09-67510).

- si ces manquements ne sont pas jugés suffisamment graves, elle produira les effets d’une démission et le salarié pourra être condamné à indemniser l’employeur en l’absence d’exécution de son préavis (Cass. soc. 8 juin 2011 n° 09-43208).

Les juges semblaient considérer jusqu’alors que le non-respect par l’employeur du contrat de travail venait justifier de manière quasi-automatique la prise d’acte du salarié. Ainsi, ont été jugées justifiées dans un premier temps les prises d’acte fondées sur les griefs suivants :

- la modification unilatérale du mode de rémunération contractuel du salarié, quand bien même elle l’avantageait, (Cass.soc., 5 mai 2010, n°07-45409)

- l’augmentation du salaire de base et la diminution parallèle du taux des primes (Cass.soc., 18 mai 2011, n°09-69175)

- l’affectation d’un salarié sur des sites situés en dehors du champ géographique déterminé par la clause de mobilité (Cass.soc., 30 juin 2009, n°08-41935)

Désormais, certains manquements contractuels de l’employeur ne justifient plus la prise d’acte du salarié. La Cour de cassation est venue préciser, à plusieurs reprises en 2014, que le salarié devait démontrer des « manquements suffisamment graves de l’employeur empêchant la poursuite du contrat de travail ». Cette évolution jurisprudentielle concerne également les situations de demandes de résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié aux torts de l’employeur.

Ainsi, n’est pas considéré comme justifiant la prise d’acte :

- des faits trop anciens : est injustifiée la prise d’acte d’un salarié réalisée en août 2006 au motif, notamment, que l’employeur n’avait organisé aucune visite médicale en 2004, qu’il lui aurait attribué des tâches étrangères à son activité et que ses conditions de travail s’étaient dégradées depuis un déménagement à cette même période (Cass.soc. 26 mars 2014, n°12-23634),

- si la modification de la rémunération n’a pas eu pour effet de diminuer son montant : l’employeur qui modifie unilatéralement le mode de calcul des commissions versées au salarié ne commet par un manquement suffisamment grave dès lors que le montant cumulé des primes et des éléments variables de rémunération était supérieur au montant qui serait résulté de l’application de l’ancien mode de calcul (Cass.soc. 12 juin 2014, n°13-11448),

- si la perte de salaire résultant de la modification de la rémunération est minime : la notification à un VRP d’une baisse de son taux de commissionnement de 33 à 25 % sur la vente de certains matériels, alors que le salarié avait refusé de signer l’avenant formalisant cette modification, ne constitue pas un manquement suffisamment grave dans la mesure où elle ne représentait qu’une faible partie du salaire (Cass.soc.12 juin 2014, n°12-29063).

Si de tels manquements de l’employeur au contrat de travail sont insuffisants pour justifier une prise d’acte, ils peuvent, en revanche, lui permettre de prétendre à des dommages et intérêts proportionnés à la faute commise (Cass.soc., 19 décembre 1990, n°87-43315).

Le législateur est venu consacrer le régime juridique de la prise d’acte et définir une procédure contentieuse spécifique. Tenant compte de la multiplication des affaires et de la précarité du salarié dans l’attente d’une décision judiciaire, le législateur a facilité et accéléré la qualification par les juges de la prise d’acte. Ainsi, la loi du 1er juillet 2014 relative à la procédure applicable devant le conseil de prud'hommes dans le cadre d'une prise d'acte de rupture du contrat de travail par le salarié dispose que ces litiges ne sont pas soumis au préalable de la conciliation et sont directement portés devant le bureau de jugement, qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine (article L.1451-1 du code du travail).

Si le régime applicable à la prise d’acte n’est pas finalisé, les dernières précisions jurisprudentielles et les nouvelles dispositions légales, sont de nature à apporter tant à l’employeur qu’aux salariés la sécurité juridique qui faisait défaut à ce nouveau mode de rupture du contrat de travail.

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