Par Thibault Lancrenon, avocat associé. Kipling
Le titulaire d’un portefeuille de marques se doit d’assurer activement la pérennité de ses droits contre vents et marées, en veillant à les exploiter sérieusement sur des produits ou services, en empêchant les tiers d’en faire un usage érodant leur caractère distinctif et en se gardant de laisser dériver ses marques sur les écueils de la déceptivité, risques à toujours garder en mémoire

L’enregistrement comme point de départ de l’exploitation
Si l’enregistrement d’une marque peut parfois être pris comme une fin en soi, notamment s’il a été admis après la lourde lutte d’une ou de plusieurs oppositions ou si la marque a vocation à servir discrètement de barrage à l’encontre d’un concurrent, il ne peut être perçu en réalité que comme une promesse croisée : celle du législateur de reconnaître des droits exclusifs sur un signe distinctif désignant des produits ou des services et celle du titulaire de la marque de s’assurer à l’avenir que le signe conservera, pour le consommateur moyen, une véritable distinctivité.
Ce dernier engagement suppose en premier lieu que la marque soit effectivement exploitée sur le marché, puisqu’à défaut, le consommateur ne pourrait décemment pas faire de lien entre un signe distinctif particulier et l’entreprise à l’origine de la commercialisation des produits ou services correspondants.
Dans ce qui apparaît à certains comme une nécessaire sagesse, et à d’autres comme une trahison de la définition d’une marque, en particulier au sens américain du terme, le législateur français et le législateur communautaire ont admis qu’une marque peut demeurer valable même si elle n’est pas sérieusement exploitée pendant une période de cinq années consécutives. Au-delà, son titulaire encourt le risque judiciaire de voir un tiers contester la réalité de ses droits, pour cause de déchéance pour non-exploitation sérieuse.
Mais ce type de déchéance, le plus usuel dans les prétoires pour contester la validité d’une marque, n’est pas le seul brisant qui menace une marque puisque la déchéance peut également être encourue pour cause de dégénérescence. Dans un tel cas, si le titulaire de la marque accepte sans réaction que sa marque soit usuellement employée pour désigner un produit ou un service particulier, il devient de l’intérêt légitime de l’ensemble de la concurrence que soit mis fin au droit exclusif d’un seul pour ouvrir, à tous, la possibilité d’user commercialement d’un signe devenu commun.
Le titulaire d’une marque peut également heurter le haut-fond de la déchéance pour déceptivité lorsque sa marque est devenue non plus un signe de ralliement fiable mais le vecteur d’une tromperie abusive du consommateur moyen. Dans cette hypothèse, comme dans les précédentes, la déchéance risque de venir délabrer un portefeuille de titres de propriété industrielle qui apparaissaient, sur le papier, comme autant de remparts inexpugnables.

L’exploitation et la surveillance comme bouées de sauvetage
Pour lutter contre le risque de la déchéance pour défaut d’exploitation sérieuse, il ne fait aucun doute que le meilleur remède reste l’exploitation, concrètement documentée et datée. Les bienfaits de l’archivage n’ont en cette matière aucun prix, qu’il s’agisse des factures, des bons de livraisons, des attestations de clients satisfaits (ou mécontents), des publicités…
Toutefois, à l’intérieur d’un portefeuille de marques, il n’est pas toujours aisé d’exploiter intégralement toutes les marques, qui ne divergent parfois que par quelques détails.
Mais, même dans ce cas, il ne faudra pas renoncer à combattre toute déchéance, car une exploitation sous une forme légèrement modifiée vaut exploitation, y compris en cas de multi-dépôts au regard des récents arrêts Rintish, Levi Strauss et Specsavers de la Cour de justice de l’Union européenne, décisions constitutives d’un revirement qui modifient substantiellement la gestion des portefeuilles de marques. La jurisprudence de la Cour de justice accueille d’ailleurs favorablement l’hypothèse de l’exploitation sérieuse d’une marque du fait de l’exploitation d’une marque complexe l’incorporant, ce qui permet d’étendre sensiblement les arguments avancés pour combattre l’existence d’une déchéance.
Quant aux autres déchéances, pour dégénérescence ou déceptivité, le risque de leur survenance peut-être sensiblement amoindri par une surveillance active des usages du signe sur le marché, soit pour intervenir contre tout usage qui renierait la distinctivité de la marque, soit pour mettre un terme à une déviance conduisant la marque sur la mauvaise pente de la déceptivité. De telles actions de surveillance ne signifient pas nécessairement l’engagement de procédures, mais elles peuvent résulter utilement de lettres de mise en demeure, de transactions ou encore d’accords de coexistence.

La maîtrise des arcanes procéduraux comme îlot du naufragé
Si les éléments constitutifs de l’une ou l’autre des déchéances sont avérés, ce qui n’apparaît plus que comme le frêle esquif de la marque n’en est pas nécessairement pour autant coulé. La déchéance ne pouvant être prononcée que judiciairement et n’étant pas une sanction automatique, il restera au titulaire de la marque d’utiliser au mieux les règles du code de procédure civile pour contester la demande adverse en déchéance.
À cet égard, les juridictions françaises ont bâti un véritable labyrinthe procédural, en particulier en matière d’intérêt à agir du demandeur à la déchéance, qui n’est pas sans ouvrir à ce dernier de singuliers récifs, en particulier au regard de la situation plus accueillante propre aux marques communautaires. Les décisions n’étant pas toujours entièrement cohérentes en ce domaine, le plaideur devra exploiter au mieux tout élément pouvant se révéler à son avantage…
La déchéance n’est donc pas une fatalité inéluctable, pour autant que l’on sache et qu’il soit possible de parvenir judiciairement à bon port. Il n’empêche qu’elle cause chaque année de nombreux «?disparus en mer?», qui auraient été bien avisés de prendre un plus grand soin de leur accastillage.


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