Le gouvernement envisage trois pistes de réforme pour les avocats. William Feugère, président de l’ACE, y est favorable.
William Feugère (ACE) : « Nous ne suivons pas le CNB dans son appel à manifester »
Décideurs. Emmanuel Macron entend créer un statut d’avocat salarié en entreprise. Pourquoi est-ce une bonne chose selon vous ?
William Feugère. Je défends le droit d’être pleinement avocat tout en étant salarié d’une entreprise. Il y a une distorsion de concurrence stupéfiante entre les avocats français et les avocats étrangers. De nombreux avocats quittent la France pour rejoindre des pays où ils ont davantage d’opportunité de carrière, tandis que d’autres abandonnent la profession pour devenir juristes. Admettre le statut d’avocat salarié en entreprise ouvrirait de nouveaux horizons et représenterait un gage concurrentiel, tant pour notre profession que pour les entreprises.
Décideurs. Comment l’indépendance de l’avocat peut-elle être assurée lorsqu’il est salarié en entreprise ?
W. F. L’encadrement du statut afin de garantir l’indépendance intellectuelle de l’avocat n’est pas insurmontable. En effet, il n’est pas incompatible avec la défense de l’intérêt de l’entreprise en toute conscience pour l’avocat salarié. On peut imaginer des garanties telles qu’une clause de conscience insérée au contrat de travail sous le contrôle de l’Ordre. En cas de licenciement, le conseil des prud’hommes serait compétent mais le bâtonnier pourrait être saisi par voie de question préjudicielle.
Décideurs. L’avocat salarié en entreprise pourrait-il développer une clientèle personnelle ?
W. F. L’ACE propose qu’il n’ait pas de clientèle personnelle et qu’il ne puisse pas non plus plaider devant les juridictions. L’objectif est de rassurer les avocats libéraux qui se sentent menacés par ce nouveau statut, mais aussi de répondre à une obligation déontologique qui est qu’on ne plaide pas pour soi-même ou pour ses proches. En l’occurrence, les liens entre l’avocat salarié et la société qui l’emploie font obstacle à cette possibilité.
Décideurs. S’il ne peut pas plaider, quel intérêt représente l’avocat salarié pour l’entreprise ?
W. F. Cela permet à l’entreprise de pouvoir bénéficier des règles déontologiques de l’avocat en interne. Particulièrement, le secret professionnel de l’avocat constitue une réelle garantie pour la société. Actuellement, les avis des juristes ne sont pas couverts par ce secret. Ainsi, bénéficier du secret professionnel est indispensable pour obtenir une protection juridique complète. Je pense également que l’avocat en entreprise doit être protégé par la présence d’un représentant du bâtonnier en cas de perquisition au sein de l’entreprise, comme c’est le cas pour les avocats libéraux. L’ACE soutient la réforme à condition qu’elle soit compatible avec la déontologie de l’avocat. Nous ne transigerons pas sur ce point !
Décideurs. Peut-on donc dire que l’avocat en entreprise constitue un compromis entre la demande des juristes d’entreprise de bénéficier du legal privilege et la fronde des avocats qui y sont opposés ?
W. F. Je ne pense pas que les avocats y soient si opposés que cela. Le barreau d’affaires est pour, et il représente près de la moitié des avocats. Il en est de même des jeunes. L’opposition est bien moindre que ce que certains veulent laisser croire. Sur le legal privilege, les juristes d’entreprise le réclament car les débats sur la grande profession du droit et le statut d’avocat en entreprise n’ont pas abouti jusqu’à présent. Cela fait cinquante ans qu’on en parle ! Une fois que ce statut sera légalement reconnu, le legal privilege des juristes n’aura plus lieu d’être.
Décideurs. Une autre mesure vise l’ouverture du capital des cabinets d’avocats à d’autres professions. Cela ne risque-t-il pas de remettre en cause leur indépendance ?
W. F. Le gouvernement semble exclure de cette ouverture les banques et les sociétés d'assurance. Nous sommes d’accord et y ajoutons les chaînes de supermarchés. Le risque est qu’ils s’offrent des cabinets d’avocats pour les vendre ensuite comme des produits, ce qui existe en Angleterre. Le refus de la profession est unanime et elle s’est prononcée clairement sur le sujet en rejetant les alternatives business structures. Pour les autres professionnels, tout est question de proportion : l’ouverture de l’intégralité du capital des cabinets poserait nécessairement un problème quant à l’indépendance des avocats car les investisseurs réfléchissent en termes de retour sur investissement au détriment éventuel des intérêts des clients des cabinets. Il ne faut donc pas que leur participation leur donne un contrôle sur la direction et sur les dossiers. En revanche, une ouverture minoritaire du capital permettrait de maintenir la domination de l’avocat sur son activité tout en lui permettant de se développer. Par exemple, les jeunes avocats qui s’installent à leur compte ont besoin de capitaux et je ne vois pas en quoi laisser la possibilité aux membres de leur famille d’investir dans leur cabinet porterait atteinte à leur indépendance. De même, les cabinets qui souhaitent s’exporter devraient pouvoir ouvrir leur capital sous le contrôle de l’Ordre.
Décideurs. L’ACE est-elle également favorable à l’entrée en Bourse des cabinets d’avocats ?
W. F. Non, nous considérons que c’est aller trop loin. Dans l’hypothèse d’une entrée en Bourse, on ne contrôle plus du tout qui détient le capital. Qui plus est, le marché boursier est connu pour être très volatil. Cela constituerait un risque trop élevé pour les cabinets d’avocats.
Décideurs. Peut-on imaginer ouvrir des postes de direction à d’autres professionnels extérieurs au cabinet d’avocats ?
W. F. La direction et la stratégie du cabinet sont étroitement liées à la clientèle. Dès lors, je considère qu’elles doivent rester entre les mains de l’avocat. Sinon, on prend le risque qu’il n’ait plus le contrôle sur ses dossiers et se retrouve contraint d’abandonner des affaires que la direction ne jugerait pas assez rentables. En revanche, rien n’empêche l’avocat d’avoir recours à un conseil en stratégie. Un salarié, à ses côtés.
Décideurs. Que pense l’ACE du projet de suppression de la postulation des avocats et du tarif réglementé qui s’y rattache ?
W. F. Nous ne voyons pas de réel obstacle à la suppression de la postulation. Je ne suis pas certain que cela conduirait à une perte du chiffre d’affaires des cabinets de province. En effet, la suppression de la postulation n’empêchera pas les cabinets de continuer à faire appel à des correspondants locaux. Les avocats n’ont pas intérêt à multiplier les déplacements dont les prix se répercuteront nécessairement sur la facture du client. De même, la suppression du tarif de postulation ne prive pas les avocats de la possibilité de convenir d’un tarif négocié auquel le client aura consenti. En revanche, je ne suis pas certain que le client y gagnera car les tarifs négociés seront certainement plus élevés que le tarif réglementé. Mais en l’absence d’étude sur l’impact qu’aurait une telle suppression, l’ACE propose plutôt d’étendre la postulation au ressort de la cour d’appel. Cela constituerait une sécurité et garantirait la proximité. Ne prenons pas de risque : une défense de proximité est essentielle.
Décideurs. Le Conseil national des barreaux (CNB) a appelé les avocats à manifester contre les mesures annoncées par le gouvernement. Comprenez-vous cette position ?
W. F. Tout comme le CNB, je désapprouve la méthode employée par le gouvernement. Jean-Marie Burguburu, président du CNB, a récemment été reçu conjointement par la garde des Sceaux et le ministre de l’Économie qui lui ont appris qu’un groupe de travail se réunissait le jour-même pour discuter de ces mesures. Il a été contraint d’y envoyer à la hâte des représentants. Ce n’est pas correct !
En revanche, je ne peux être qu’en désaccord avec le CNB lorsqu’il juge ces mesures « inappropriées ». Mais c’est sans doute une erreur de plume, il doit parler de la méthode. L’ACE considère clairement qu’il s’agit de bonnes mesures. Nous militons depuis plusieurs années déjà auprès des institutions représentatives de la profession pour qu’elles soient mises en œuvre.
Les trois pistes de réformes proposées par le gouvernament sont la suppression de la territorialité de la postulation, l’ouverture jusqu’à 49% du capital des cabinets d’avocats et la faculté d’exercer comme salarié d’une entreprise.
William Feugère. Je défends le droit d’être pleinement avocat tout en étant salarié d’une entreprise. Il y a une distorsion de concurrence stupéfiante entre les avocats français et les avocats étrangers. De nombreux avocats quittent la France pour rejoindre des pays où ils ont davantage d’opportunité de carrière, tandis que d’autres abandonnent la profession pour devenir juristes. Admettre le statut d’avocat salarié en entreprise ouvrirait de nouveaux horizons et représenterait un gage concurrentiel, tant pour notre profession que pour les entreprises.
Décideurs. Comment l’indépendance de l’avocat peut-elle être assurée lorsqu’il est salarié en entreprise ?
W. F. L’encadrement du statut afin de garantir l’indépendance intellectuelle de l’avocat n’est pas insurmontable. En effet, il n’est pas incompatible avec la défense de l’intérêt de l’entreprise en toute conscience pour l’avocat salarié. On peut imaginer des garanties telles qu’une clause de conscience insérée au contrat de travail sous le contrôle de l’Ordre. En cas de licenciement, le conseil des prud’hommes serait compétent mais le bâtonnier pourrait être saisi par voie de question préjudicielle.
Décideurs. L’avocat salarié en entreprise pourrait-il développer une clientèle personnelle ?
W. F. L’ACE propose qu’il n’ait pas de clientèle personnelle et qu’il ne puisse pas non plus plaider devant les juridictions. L’objectif est de rassurer les avocats libéraux qui se sentent menacés par ce nouveau statut, mais aussi de répondre à une obligation déontologique qui est qu’on ne plaide pas pour soi-même ou pour ses proches. En l’occurrence, les liens entre l’avocat salarié et la société qui l’emploie font obstacle à cette possibilité.
Décideurs. S’il ne peut pas plaider, quel intérêt représente l’avocat salarié pour l’entreprise ?
W. F. Cela permet à l’entreprise de pouvoir bénéficier des règles déontologiques de l’avocat en interne. Particulièrement, le secret professionnel de l’avocat constitue une réelle garantie pour la société. Actuellement, les avis des juristes ne sont pas couverts par ce secret. Ainsi, bénéficier du secret professionnel est indispensable pour obtenir une protection juridique complète. Je pense également que l’avocat en entreprise doit être protégé par la présence d’un représentant du bâtonnier en cas de perquisition au sein de l’entreprise, comme c’est le cas pour les avocats libéraux. L’ACE soutient la réforme à condition qu’elle soit compatible avec la déontologie de l’avocat. Nous ne transigerons pas sur ce point !
Décideurs. Peut-on donc dire que l’avocat en entreprise constitue un compromis entre la demande des juristes d’entreprise de bénéficier du legal privilege et la fronde des avocats qui y sont opposés ?
W. F. Je ne pense pas que les avocats y soient si opposés que cela. Le barreau d’affaires est pour, et il représente près de la moitié des avocats. Il en est de même des jeunes. L’opposition est bien moindre que ce que certains veulent laisser croire. Sur le legal privilege, les juristes d’entreprise le réclament car les débats sur la grande profession du droit et le statut d’avocat en entreprise n’ont pas abouti jusqu’à présent. Cela fait cinquante ans qu’on en parle ! Une fois que ce statut sera légalement reconnu, le legal privilege des juristes n’aura plus lieu d’être.
Décideurs. Une autre mesure vise l’ouverture du capital des cabinets d’avocats à d’autres professions. Cela ne risque-t-il pas de remettre en cause leur indépendance ?
W. F. Le gouvernement semble exclure de cette ouverture les banques et les sociétés d'assurance. Nous sommes d’accord et y ajoutons les chaînes de supermarchés. Le risque est qu’ils s’offrent des cabinets d’avocats pour les vendre ensuite comme des produits, ce qui existe en Angleterre. Le refus de la profession est unanime et elle s’est prononcée clairement sur le sujet en rejetant les alternatives business structures. Pour les autres professionnels, tout est question de proportion : l’ouverture de l’intégralité du capital des cabinets poserait nécessairement un problème quant à l’indépendance des avocats car les investisseurs réfléchissent en termes de retour sur investissement au détriment éventuel des intérêts des clients des cabinets. Il ne faut donc pas que leur participation leur donne un contrôle sur la direction et sur les dossiers. En revanche, une ouverture minoritaire du capital permettrait de maintenir la domination de l’avocat sur son activité tout en lui permettant de se développer. Par exemple, les jeunes avocats qui s’installent à leur compte ont besoin de capitaux et je ne vois pas en quoi laisser la possibilité aux membres de leur famille d’investir dans leur cabinet porterait atteinte à leur indépendance. De même, les cabinets qui souhaitent s’exporter devraient pouvoir ouvrir leur capital sous le contrôle de l’Ordre.
Décideurs. L’ACE est-elle également favorable à l’entrée en Bourse des cabinets d’avocats ?
W. F. Non, nous considérons que c’est aller trop loin. Dans l’hypothèse d’une entrée en Bourse, on ne contrôle plus du tout qui détient le capital. Qui plus est, le marché boursier est connu pour être très volatil. Cela constituerait un risque trop élevé pour les cabinets d’avocats.
Décideurs. Peut-on imaginer ouvrir des postes de direction à d’autres professionnels extérieurs au cabinet d’avocats ?
W. F. La direction et la stratégie du cabinet sont étroitement liées à la clientèle. Dès lors, je considère qu’elles doivent rester entre les mains de l’avocat. Sinon, on prend le risque qu’il n’ait plus le contrôle sur ses dossiers et se retrouve contraint d’abandonner des affaires que la direction ne jugerait pas assez rentables. En revanche, rien n’empêche l’avocat d’avoir recours à un conseil en stratégie. Un salarié, à ses côtés.
Décideurs. Que pense l’ACE du projet de suppression de la postulation des avocats et du tarif réglementé qui s’y rattache ?
W. F. Nous ne voyons pas de réel obstacle à la suppression de la postulation. Je ne suis pas certain que cela conduirait à une perte du chiffre d’affaires des cabinets de province. En effet, la suppression de la postulation n’empêchera pas les cabinets de continuer à faire appel à des correspondants locaux. Les avocats n’ont pas intérêt à multiplier les déplacements dont les prix se répercuteront nécessairement sur la facture du client. De même, la suppression du tarif de postulation ne prive pas les avocats de la possibilité de convenir d’un tarif négocié auquel le client aura consenti. En revanche, je ne suis pas certain que le client y gagnera car les tarifs négociés seront certainement plus élevés que le tarif réglementé. Mais en l’absence d’étude sur l’impact qu’aurait une telle suppression, l’ACE propose plutôt d’étendre la postulation au ressort de la cour d’appel. Cela constituerait une sécurité et garantirait la proximité. Ne prenons pas de risque : une défense de proximité est essentielle.
Décideurs. Le Conseil national des barreaux (CNB) a appelé les avocats à manifester contre les mesures annoncées par le gouvernement. Comprenez-vous cette position ?
W. F. Tout comme le CNB, je désapprouve la méthode employée par le gouvernement. Jean-Marie Burguburu, président du CNB, a récemment été reçu conjointement par la garde des Sceaux et le ministre de l’Économie qui lui ont appris qu’un groupe de travail se réunissait le jour-même pour discuter de ces mesures. Il a été contraint d’y envoyer à la hâte des représentants. Ce n’est pas correct !
En revanche, je ne peux être qu’en désaccord avec le CNB lorsqu’il juge ces mesures « inappropriées ». Mais c’est sans doute une erreur de plume, il doit parler de la méthode. L’ACE considère clairement qu’il s’agit de bonnes mesures. Nous militons depuis plusieurs années déjà auprès des institutions représentatives de la profession pour qu’elles soient mises en œuvre.
Les trois pistes de réformes proposées par le gouvernament sont la suppression de la territorialité de la postulation, l’ouverture jusqu’à 49% du capital des cabinets d’avocats et la faculté d’exercer comme salarié d’une entreprise.