Par Jean-François Delrue et Alexandre Gadot, avocats associés. DBG
L’opposabilité des opérations d’expertise judiciaire
Le déroulement de la mesure d’instruction judiciaire, à l’instar d’une instance devant toute juridiction, est soumis au strict respect du principe fondamental du contradictoire. Dès lors, la question se pose fréquemment, notamment en matière de contentieux industriels, de l’opposabilité d’un rapport d’expertise judiciaire aux tiers ou aux assureurs n’ayant pas participé à la mesure d’instruction.
Dans le cadre de dossiers techniques une partie peut être amenée à demander, préalablement à l’introduction d’une instance, une mesure d’expertise judiciaire destinée à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige (article?145 du Code de procédure civile). De la même manière, un juge saisi d’une affaire au fond peut s’estimer insuffisamment éclairé et ordonner une telle mesure d’instruction (article?232 et suivants du même Code). Le déroulement de l’expertise, à l’instar d’une instance devant toute juridiction, est soumis au respect du principe fondamental du contradictoire, corollaire du droit au procès équitable, respect auquel doit veiller l’expert sous l’autorité, le cas échéant, du Juge chargé du contrôle des opérations d’expertise. Dans ce cadre la question se pose de l’opposabilité du rapport aux tiers, ou aux assureurs, qui n’auraient pas été appelés à participer à une telle mesure d’instruction judiciaire.
Opposabilité aux tiers non appelés à la procédure et n’ayant pas participé à l’expertise
La logique voudrait qu’un rapport d’expertise déposé par un expert judiciaire soit inopposable à un tiers qui n’aurait été appelé ni à l’instance initiale, ni en ordonnance commune, ni représenté au cours des opérations d’expertise, ceci au regard du principe essentiel du contradictoire dont le respect s’impose en toutes circonstances. Sur ce point, la Cour de cassation a longtemps estimé que les conclusions d’une telle expertise, non contradictoire, pouvaient être opposées à un tiers à la condition, d’une part, que ce rapport ait été régulièrement versé aux débats et soumis à une discussion contradictoire et, d’autre part, que la décision rendue n’ait pas été exclusivement fondée sur ce seul et unique rapport. Ce principe a été rappelé par la Cour de cassation tant au visa des dispositions de l’article 16 que de l’article 160 du Code de procédure civile (Civ. 2, 14 sept 2006, 05-14333 ; Civ 1, 7?mars 2000, n°97-20017). S’agissant d’un rapport d’expertise non judiciaire, établi par un expert missionné par une partie, et non contradictoire, la Cour de cassation a pu se prononcer dans le même sens considérant que, si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise contestée (Ch. mixte, 28 sept 2012, n°11-18710). Force est cependant de constater que la Cour de cassation est aujourd’hui de plus en plus encline à accepter qu’une décision puisse avoir été rendue en considération du seul rapport d’expertise judiciaire non contradictoire, régulièrement versé aux débats et régulièrement soumis à la discussion contradictoire (Cass., 2e Civ, 8 sept 2011 n° 10-19919 ; Cass., Com., 10 déc. 2013, n°12-20252). À ce titre, la Cour de cassation a précisé que, les irrégularités qui affectent le déroulement des opérations d’expertise étant sanctionnées par les règles relatives aux actes de procédure, si une partie n’invoquait pas la nullité d’un rapport d’expertise avant tout débat contradictoire, elle ne saurait dès lors se prévaloir de l’inopposabilité de ce même rapport régulièrement versé aux débats (Ch. mixte, 28 sept 2012, n°11-11381). Eu égard à une telle tendance jurisprudentielle, une partie à l’égard de laquelle les opérations d’expertise judiciaire n’auraient pas été déclarées opposables a tout intérêt à opposer une défense basée tant sur le volet procédural du fait du non-respect du principe essentiel du contradictoire, avant tout débat au fond, que sur le volet technique.
Opposabilité à l’assureur RC n’ayant pas participé aux opérations d’expertise
La question se pose également de savoir si les opérations d’expertise pourraient être déclarées opposables à l’assureur de l’une des parties représentées, mais qui n’aurait pas été appelé à l’instance initiale ou en ordonnance commune et qui n’aurait pas participé à la mesure d’instruction. La jurisprudence considère que, sauf fraude de l’assuré, l’expertise ordonnée au contradictoire du tiers lésé et de l’assuré est opposable à l’assureur dès lors qu’il a été en mesure de discuter des conclusions du rapport (Cass., 3e Civ, 19 juin 1991, n°89-16599), notamment lorsqu’il est appelé en intervention forcée dans le cadre de l’instance au fond (Cass., 1ère Civ, 8 oct. 1996, n°94-10434). La Cour de cassation a pu justifier cette opposabilité en considérant que l’assureur n’est pas un tiers vis-à-vis de son assuré, présent à l’expertise (Cass., 1ère Civ, 29 nov 1989, n°88-12150). Il n’est pas inutile de relever qu’aux termes d’un arrêt inédit, qui fait figure d’exception (Cass., Civ 3, 5 déc 2006 n°05-20356), la Cour de cassation a toutefois retenu une solution inverse considérant que, même si l’assuré était présent et représenté lors des opérations d’expertise, celles-ci devaient être déclarées inopposables à l’assureur qui n’avait été ni appelé ni représenté dans le cadre des opérations d’expertise. Qu’en serait-il de l’hypothèse où l’assureur n’aurait été ni convoqué ni représenté dans le cadre des opérations d’expertise et où l’assuré se serait montré particulièrement négligent en ne lui déclarant pas le sinistre dans le délai prévu ? L’assureur pourrait être tenté d’opposer à son assuré la déchéance de son droit à indemnisation, telle que prévue par l’article L.113-2 du Code des assurances, à condition que celle-ci soit stipulée dans la police d’assurances et qu’il soit en mesure de démontrer que l’absence de déclaration lui aurait causé un préjudice (condition nécessaire, sauf en cas de fraude de l’assuré). Tel est ainsi le cas lorsque la tardiveté de la déclaration a empêché l’assureur de participer utilement aux opérations d’expertise (Civ. 1, 13 fév 1996, n°93-13500). La déchéance du droit à indemnisation ne peut cependant être opposée qu’à l’assuré, mais non au tiers lésé, le droit de créance de la victime naissant au jour du dommage et ne pouvant être affecté par la négligence ultérieure de l’assuré. Sauf à ce que la demande du tiers lésé fasse l’objet d’une prescription, celui-ci pourrait ainsi être bien fondé à opposer à l’assureur les conclusions du rapport d’expertise régulièrement versé aux débats contradictoires ceci afin d’obtenir sa condamnation à garantir son assuré au titre du dommage allégué. L’assureur qui serait alors condamné sur la base d’un tel rapport n’aurait d’autre choix que d’exercer un recours contre son assuré afin de récupérer
les sommes versées à la victime, encourant néanmoins le risque d’une insolvabilité éventuelle.
Dans le cadre de dossiers techniques une partie peut être amenée à demander, préalablement à l’introduction d’une instance, une mesure d’expertise judiciaire destinée à conserver ou établir la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige (article?145 du Code de procédure civile). De la même manière, un juge saisi d’une affaire au fond peut s’estimer insuffisamment éclairé et ordonner une telle mesure d’instruction (article?232 et suivants du même Code). Le déroulement de l’expertise, à l’instar d’une instance devant toute juridiction, est soumis au respect du principe fondamental du contradictoire, corollaire du droit au procès équitable, respect auquel doit veiller l’expert sous l’autorité, le cas échéant, du Juge chargé du contrôle des opérations d’expertise. Dans ce cadre la question se pose de l’opposabilité du rapport aux tiers, ou aux assureurs, qui n’auraient pas été appelés à participer à une telle mesure d’instruction judiciaire.
Opposabilité aux tiers non appelés à la procédure et n’ayant pas participé à l’expertise
La logique voudrait qu’un rapport d’expertise déposé par un expert judiciaire soit inopposable à un tiers qui n’aurait été appelé ni à l’instance initiale, ni en ordonnance commune, ni représenté au cours des opérations d’expertise, ceci au regard du principe essentiel du contradictoire dont le respect s’impose en toutes circonstances. Sur ce point, la Cour de cassation a longtemps estimé que les conclusions d’une telle expertise, non contradictoire, pouvaient être opposées à un tiers à la condition, d’une part, que ce rapport ait été régulièrement versé aux débats et soumis à une discussion contradictoire et, d’autre part, que la décision rendue n’ait pas été exclusivement fondée sur ce seul et unique rapport. Ce principe a été rappelé par la Cour de cassation tant au visa des dispositions de l’article 16 que de l’article 160 du Code de procédure civile (Civ. 2, 14 sept 2006, 05-14333 ; Civ 1, 7?mars 2000, n°97-20017). S’agissant d’un rapport d’expertise non judiciaire, établi par un expert missionné par une partie, et non contradictoire, la Cour de cassation a pu se prononcer dans le même sens considérant que, si le juge ne peut refuser d’examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise contestée (Ch. mixte, 28 sept 2012, n°11-18710). Force est cependant de constater que la Cour de cassation est aujourd’hui de plus en plus encline à accepter qu’une décision puisse avoir été rendue en considération du seul rapport d’expertise judiciaire non contradictoire, régulièrement versé aux débats et régulièrement soumis à la discussion contradictoire (Cass., 2e Civ, 8 sept 2011 n° 10-19919 ; Cass., Com., 10 déc. 2013, n°12-20252). À ce titre, la Cour de cassation a précisé que, les irrégularités qui affectent le déroulement des opérations d’expertise étant sanctionnées par les règles relatives aux actes de procédure, si une partie n’invoquait pas la nullité d’un rapport d’expertise avant tout débat contradictoire, elle ne saurait dès lors se prévaloir de l’inopposabilité de ce même rapport régulièrement versé aux débats (Ch. mixte, 28 sept 2012, n°11-11381). Eu égard à une telle tendance jurisprudentielle, une partie à l’égard de laquelle les opérations d’expertise judiciaire n’auraient pas été déclarées opposables a tout intérêt à opposer une défense basée tant sur le volet procédural du fait du non-respect du principe essentiel du contradictoire, avant tout débat au fond, que sur le volet technique.
Opposabilité à l’assureur RC n’ayant pas participé aux opérations d’expertise
La question se pose également de savoir si les opérations d’expertise pourraient être déclarées opposables à l’assureur de l’une des parties représentées, mais qui n’aurait pas été appelé à l’instance initiale ou en ordonnance commune et qui n’aurait pas participé à la mesure d’instruction. La jurisprudence considère que, sauf fraude de l’assuré, l’expertise ordonnée au contradictoire du tiers lésé et de l’assuré est opposable à l’assureur dès lors qu’il a été en mesure de discuter des conclusions du rapport (Cass., 3e Civ, 19 juin 1991, n°89-16599), notamment lorsqu’il est appelé en intervention forcée dans le cadre de l’instance au fond (Cass., 1ère Civ, 8 oct. 1996, n°94-10434). La Cour de cassation a pu justifier cette opposabilité en considérant que l’assureur n’est pas un tiers vis-à-vis de son assuré, présent à l’expertise (Cass., 1ère Civ, 29 nov 1989, n°88-12150). Il n’est pas inutile de relever qu’aux termes d’un arrêt inédit, qui fait figure d’exception (Cass., Civ 3, 5 déc 2006 n°05-20356), la Cour de cassation a toutefois retenu une solution inverse considérant que, même si l’assuré était présent et représenté lors des opérations d’expertise, celles-ci devaient être déclarées inopposables à l’assureur qui n’avait été ni appelé ni représenté dans le cadre des opérations d’expertise. Qu’en serait-il de l’hypothèse où l’assureur n’aurait été ni convoqué ni représenté dans le cadre des opérations d’expertise et où l’assuré se serait montré particulièrement négligent en ne lui déclarant pas le sinistre dans le délai prévu ? L’assureur pourrait être tenté d’opposer à son assuré la déchéance de son droit à indemnisation, telle que prévue par l’article L.113-2 du Code des assurances, à condition que celle-ci soit stipulée dans la police d’assurances et qu’il soit en mesure de démontrer que l’absence de déclaration lui aurait causé un préjudice (condition nécessaire, sauf en cas de fraude de l’assuré). Tel est ainsi le cas lorsque la tardiveté de la déclaration a empêché l’assureur de participer utilement aux opérations d’expertise (Civ. 1, 13 fév 1996, n°93-13500). La déchéance du droit à indemnisation ne peut cependant être opposée qu’à l’assuré, mais non au tiers lésé, le droit de créance de la victime naissant au jour du dommage et ne pouvant être affecté par la négligence ultérieure de l’assuré. Sauf à ce que la demande du tiers lésé fasse l’objet d’une prescription, celui-ci pourrait ainsi être bien fondé à opposer à l’assureur les conclusions du rapport d’expertise régulièrement versé aux débats contradictoires ceci afin d’obtenir sa condamnation à garantir son assuré au titre du dommage allégué. L’assureur qui serait alors condamné sur la base d’un tel rapport n’aurait d’autre choix que d’exercer un recours contre son assuré afin de récupérer
les sommes versées à la victime, encourant néanmoins le risque d’une insolvabilité éventuelle.