Par Frédéric Debu et Arnaud Mazoyer.
L’article 145 du Code de procédure civile fournit aux parties un outil puissant de recherche de preuve. Cette procédure permet à toute partie d’obtenir du juge, et sans que l’adversaire en ait connaissance, la désignation d’un huissier de justice chargé de se déplacer dans les locaux ou au domicile de l’adversaire afin d’obtenir tout document permettant d’établir les faits allégués et ainsi d’évaluer l’ampleur des agissements commis à son encontre.

L’article 145 stipule que «?s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé?».

Quelques exemples de recours au «?constat 145?»
Les objectifs du recours au «?constat 145?» sont variés. Les exemples ci-après permettent d’en avoir un premier aperçu.

• Établir que des informations sensibles (secrets de fabrication ou commerciaux) ont été soustraites et communiquées par un employé à un tiers
• Établir un détournement de clientèle par un ancien salarié en chiffrant et en détaillant la facturation de ses anciens clients par son nouvel employeur
• Prouver l’existence de négociations à un stade avancé entre une entreprise tierce et un concédant, alors même que ce dernier n’a pas entamé de négociations avec son concessionnaire actuel en vue du renouvellement de la concession
• Établir que des négociations préliminaires d’acquisition ont été effectuées dans le seul but de collecter de l’information sensible (données commerciales ou techniques)
• Dans le cadre d’une action en contrefaçon dans le prêt-à-porter, établir la date de création des patrons de modèles de vêtements
• Permettre à un ancien employé de récupérer des éléments de preuve dans la messagerie qu’il avait chez son ancien employeur

Une exception au principe du contradictoire
L’article 493 du Code de procédure civile dispose que : «?L’ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.?» Il s’agit donc d’une dérogation au principe du contradictoire qui veut que chacune des parties doit avoir la possibilité de discuter l’énoncé des faits et les moyens juridiques que ses adversaires lui ont opposés. C’est également une entorse potentielle au respect de la vie privée et au secret des affaires. En revanche, le secret professionnel reste opposable.

À la différence des systèmes anglo-saxons, il n’y a pas en droit français de procédure de «?discovery?» qui oblige chaque partie à divulguer les informations (favorables ou défavorables) susceptibles de faciliter l’établissement de preuves. Face aux risques de déperdition de la preuve (dissimulation, altération ou destruction des éléments clés du dossier), une stratégie de contentieux agressive est rendue possible par l’article 145.

Le préalable judiciaire : l’ordonnance sur requête
Le «?constat 145?» ne pourra être utilisé que pour autant qu’une procédure au fond portant sur les mêmes faits n’ait pas déjà été engagée. Le juge compétent est le président du tribunal de commerce du lieu de siège social de la société, si l’adversaire est un commerçant, ou le président du tribunal de grande instance du lieu du domicile de l’adversaire, si ce dernier est un non commerçant. Le juge vérifiera que le requérant justifie d’un motif légitime pour solliciter une telle mesure. Les critères retenus par la jurisprudence pour caractériser le motif légitime sont de trois ordres :

1) le litige potentiel doit avoir des objets et fondement suffisamment caractérisés 
2) la prétention ne doit pas être manifestement vouée à l’échec
3) l’intérêt probatoire de la démarche

Il veillera à ce que la mesure sollicitée ne porte pas atteinte à la vie privée ou au secret des affaires de manière non justifiée. Le juge rend alors une ordonnance sur requête aux termes de laquelle il définit et cadre la mission de l’huissier de justice. L’ordonnance pourra également prévoir l’assistance d’un expert informatique et la présence de la force publique.

La procédure de constat
En amont, il est impératif de préparer les opérations de l’huissier et de l’expert informatique en leur fournissant par exemple une liste de mots-clés, de clients/fournisseurs, de salariés ou un document référentiel sur lequel ils pourront s’appuyer pour trouver les informations et documents cherchés.

L’expert informatique préparera, de son côté, la mission en prenant connaissance de l’ordonnance et en se documentant sur les systèmes informatiques en place. Il pourra être utilement consulté sur la liste de mots-clés, si celle-ci n’a pas été définie dans l’ordonnance. Lors de son arrivée sur les lieux (siège social ou domicile), l’huissier de justice signifie l’ordonnance sur requête à la partie requise. Dès que celle-ci en aura pris connaissance, son exécution pourra commencer.

Sous la responsabilité de l’huissier, l’expert informatique effectuera les manipulations techniques. Un échange permanent entre l’expert et l’huissier doit permettre à ce dernier de ne récupérer que les éléments probants et de rester en conformité avec les termes de l’ordonnance afin d’éviter les risques d’annulation ultérieure.

À l’issue des opérations de saisie, l’huissier de justice place sous séquestre les documents saisis (sous format papier ou sous forme numérique), si l’ordonnance le stipule, et dresse un procès-verbal qui décrit les opérations effectuées, les éventuelles déclarations de toute personne présente et la liste des éléments saisis.

Ce procès-verbal est ensuite transmis au requérant. Si le placement sous séquestre n’a pas été prévu par l’ordonnance, les documents saisis seront directement remis au requérant. La partie adverse peut former un recours en rétractation contre l’ordonnance sur requête en démontrant que les conditions de recevabilité n’étaient pas réunies. Si elle obtient gain de cause, les opérations de constat seront annulées et les éléments saisis lui seront restitués.

En cas de placement sous séquestre, il appartient au requérant de saisir le juge des référés afin d’obtenir sa mainlevée et avoir accès aux pièces, étape indispensable pour pouvoir engager une procédure au fond.

Les difficultés d’exécution
L’huissier et l’expert se trouvent souvent confrontés à des situations qui n’avaient pas été expressément prévues par l’ordonnance. L’environnement technique peut, en premier lieu, poser problème. Les opérations peuvent être effectuées sur des systèmes informatiques de technologies diverses et sur de multiples ordinateurs, connectés en réseau et parfois reliés à de gros serveurs. Il peut également s’avérer nécessaire de rechercher des éléments effacés dans les machines.

Dans la plupart des cas, l’expert informatique pourra récupérer les documents supprimés. Les personnes susceptibles de donner accès aux serveurs peuvent être absentes ou simplement refuser de coopérer. Face à ces difficultés, l’huissier et l’expert informatique devront savoir alors improviser pour pouvoir conduire la mission jusqu’au bout de son exécution tout en préservant les droits de chacune des parties.


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