Par Stéphanie Hamis, Laurent Mamou et Alexandre Rocchi, avocats. Arsene Taxand
 Au travers de réformes successives et rapprochées, le législateur a conditionné l’application de certains dispositifs fiscaux à de nouvelles obligations documentaires pour les entreprises. Dans ce contexte, la gestion du risque fiscal devient un enjeu quotidien pour les dirigeants d’entreprises, qui doivent conjuguer performance et moralité fiscale.

S’il n’est pas interdit de détecter les opportunités fiscales, il convient de prouver qu’elles s’inscrivent dans une réalité économique. Celle-ci doit pouvoir être démontrée en cas de contrôle fiscal, ce qui suppose une obligation de documentation par l’entreprise. Depuis quelques années, on constate qu’en plus d’une intensification des contrôles fiscaux des entreprises, l’administration dispose désormais d’un véritable arsenal de moyens
de contrôles auxiliaires qui ne disent pas leur nom. Aujourd’hui, de nouvelles obligations documentaires, expresses ou implicites (substance, raisons économiques de l’opération, comparables de pleine concurrence) ont été mises en place pour dissuader les entreprises de recourir à outrance aux dispositifs fiscaux les plus optimisants.

Une priorité : identifier les zones de risques
L’administration vise à travers ces nouvelles mesures trois postes majeurs de l’érosion de l’assiette fiscale. Véritable cheval de bataille de Bercy, la déductibilité des charges financières est la plus exposée aux obligations documentaires. Celles-ci peuvent être la condition d’un traitement plus avantageux, comme la possibilité de s’affranchir de la limite du taux fiscalement déductible imposée par l’article 39-1-3 du Code général des impôts (CGI) (1) en présence d’un taux de marché plus favorable. Ce taux de marché doit être «?documenté?» (taux comparables sur des transactions similaires, offre de crédit bancaire de substitution, etc.). Le plus souvent les entreprises rencontrent des difficultés pour en rapporter la preuve en l’absence d’étude prix de transfert préalable. D’autres obligations documentaires conditionnent par ailleurs la déductibilité des charges financières. C’est le cas dans un certain nombre d’opérations de LBO dans lesquelles le véhicule d’acquisition doit ainsi prouver que les décisions relatives à la participation acquise sont effectivement prises par lui et qu’il exerce un contrôle ou une influence sur la société cible (2) (documents internes attestant des liens fonctionnels, organisationnels et hiérarchiques dans le cadre du processus de décision, documents faisant état de la participation effective aux assemblées etc.). Et nouveauté pour l’exercice 2013, les entreprises devront désormais être en mesure de démontrer que le prêteur, lorsqu’il fait partie du même groupe, est assujetti sur les produits financiers à un impôt au moins égal à 25?% de l’impôt sur les sociétés pour continuer à déduire les charges financières afférentes (3). Plus ponctuelles, les obligations documentaires en matière d’imputation des déficits sont limitées aux hypothèses de changement d’activité ou de transfert des déficits sur agrément en cas de fusion. Dans ces cas-là, le maintien ou le transfert des déficits ne sont autorisés que sous la condition que l’activité à l’origine des déficits n’ait pas été modifiée de manière significative. Dans le premier cas, le maintien des déficits ne sera acquis que si l’entreprise est en mesure de démontrer, au moyen de tout élément dont elle dispose que l’évolution de l’activité (chiffre d’affaires, effectifs, total bilan) n’est pas imputable à de nouvelles activités mais à l’activité préexistante (4). Dans le second cas, l’administration subordonne son agrément à une analyse approfondie de l’évolution passée et future des activités en jeu (5). Dans les deux cas, l’entreprise doit être prête à justifier – souvent jusqu’à un niveau de détail assez fin – de l’ensemble des opérations à l’origine des déficits passés, ce qui suppose de disposer, d’une part des instruments de gestion suffisants pour fournir ce type de données comptables et financières et d’autre part de la documentation appropriée permettant de justifier ces opérations.
Enfin en matière de prix de transfert, les entreprises doivent faire preuve d’une grande vigilance et se préparer aux nouvelles obligations en cours d’adoption. Le législateur prévoit en effet d’imposer aux entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 400?millions d’euros de fournir une documentation complète sur leur politique de prix de transfert, et de prouver qu’elles bénéficient de contreparties financières équivalentes en cas de transfert de fonctions ou de risques entraînant une perte de 20?% de leur excédent brut d’exploitation. En somme ces dispositions poursuivent un objectif évident : lutter contre une optimisation trop efficace.

Une précaution : anticiper les sujets soumis à interprétation
Dans un contexte budgétaire tendu, l’administration doit réaliser des contrôles ciblés et efficaces face à des structurations toujours plus complexes. Le développement de ces obligations documentaires lui donne des moyens supplémentaires pour parvenir à cet objectif en renversant la charge de la preuve qui pèse désormais sur le contribuable. Il revient alors aux entreprises de saisir cette opportunité de mieux gérer leur risque fiscal en écartant au maximum le risque de redressement. Une étude récente (6) a évalué les effets de la tension fiscale actuelle sur les rapports entre l’administration et les entreprises. Elle confirme que les contrôles fiscaux se sont intensifiés et que 30?% des entreprises font l’objet d’un contrôle fiscal systématique tous les trois ans. Elle nous indique également que 50?% des désaccords portent sur l’appréciation des faits et que dans 75?% des cas, les entreprises estiment que l’administration a déjà arrêté sa position avant la réunion de synthèse. Le constat est alarmant et dans ce contexte, les entreprises doivent porter leurs efforts sur la maîtrise du risque de redressement.

Une recommandation : instaurer une relation de confiance avec l’administration
Si le renforcement des obligations en matière de preuve alourdit indiscutablement la gestion fiscale des entreprises, dans le même temps, l’expérience démontre clairement que l’administration n’hésite plus à discuter, voire à remettre en cause un certain nombre d’opérations à effets fiscaux, dès lors que l’entreprise n’est pas en mesure de démontrer la réalité économique qui les sous-tend. Le durcissement actuel des contrôles fiscaux en est l’une des conséquences. Dans ce contexte, l’anticipation des nouvelles obligations en matière de preuve passe par la préparation, en amont du contrôle, d’une documentation adéquate sur les opérations et les motivations économiques qui président à leur réalisation. Cette documentation sera un indicateur fort de la bonne et saine gestion fiscale de l’entreprise, en même temps qu’une garantie de la bonne tenue du débat contradictoire. Reste à espérer qu’elle ne soit pas le prélude à l’adoption d’une obligation de présentation des schémas d’optimisation fiscale, toujours dans les tiroirs de Bercy.

1 2,84?% au 30?septembre 2013.
2 Article?209 IX du Code général des impôts.
3 Article?14 du Projet de loi de finances pour 2014 réformant l’article 212 du Code général des impôts – en cours de discussion.
4 Article?221 du Code général des impôts.
5 BOI-SJ-AGR-20-30-10-10-20121127.
6 Enquête réalisée par Arsene Taxand et le Medef entre le 20?juin et le 6?septembre 2013 auprès de 780 entreprises.



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