Par Hervé Zapf, avocat associé, et Jean-Pierre Laval, avocat. TZA
Pour le calcul de la réserve spéciale de participation, faut-il déduire du bénéfice l’impôt calculé avant ou après imputation des crédits ou réductions d’impôt ? Après bien des péripéties, l’Administration s’aligne enfin sur la jurisprudence du Conseil d’État.

Pour qu’une interprétation soit admise, il faut avant tout que les lois soient claires et compréhensibles. Ce n’était pas le cas à l’évidence de l’article L. 3324 – 1 du Code du travail prévoyant le mode de calcul de la réserve spéciale de participation des salariés aux résultats. On sait que le mécanisme légal de la participation régi par les articles L. 3321 – 1 à L. 3326.2 du Code du travail s’applique obligatoirement dans les entreprises d’au moins cinquante salariés et de manière facultative dans les autres. La loi prévoit que les entreprises concernées doivent constituer une réserve spéciale de participation qui est calculée au moyen de la formule suivante : 1/2 (B -5?% C) x S/VA, dans laquelle B est le bénéfice imposable «?diminué de l’impôt correspondant?», C représente le montant des capitaux propres de l’entreprise, S le montant des salaires et VA celui de la valeur ajoutée. L’absence de définition de la notion d’«?impôt correspondant?», corrélée avec la création et la multiplication dans la législation de crédits d’impôt à des fins d’incitations fiscales, a créé des divergences d’interprétation entre les partenaires sociaux sur le point de savoir si l’impôt à prendre en compte devait être un impôt brut ou un impôt net réduit des crédits d’impôt imputés ou remboursés. L’enjeu n’est pas négligeable : le choix d’un impôt brut aboutit mécaniquement à une réduction du bénéfice net pris en compte pour le calcul de la participation et, par voie de conséquence, à une diminution du montant de la réserve spéciale des salariés.

Une doctrine constante infirmée par le juge
L’Administration considère que l’impôt sur les sociétés à retenir pour le calcul de la participation devait s’entendre de l’impôt net acquitté après imputation des crédits ou réductions d’impôts afférents aux revenus inclus dans le bénéfice imposable. Pour le crédit d’impôt recherche, elle a même précisé ultérieurement par une décision de rescrit du 13?avril 2010 (n° 2010/23 – FE) que la restitution dudit crédit d’impôt était susceptible de générer un impôt négatif aboutissant à une majoration du bénéfice servant au calcul de la réserve. Mais, un arrêt du 20?mars 2013 du Conseil d’État a infirmé la doctrine administrative précitée en jugeant, dans une affaire relative au crédit d’impôt recherche, que l’impôt visé à l’article L. 3324 – 1 du Code du travail qui doit être retranché du bénéfice «?ne peut s’entendre que de l’impôt sur les sociétés, au taux de droit commun, résultant des règles d’assiette et de liquidation qui régissent ordinairement l’imposition des bénéfices.?», (Conseil d’État, neuvièmes et dixièmes sous-sections réunies, 20?mars 2013, 347633, Sté Études et productions Schlumberger).

Une tentative de validation législative avortée
En dépit de cette jurisprudence, l’Administration a maintenu et même étendu sa doctrine – désormais annulée – au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) – (BOI – BIC – BTP – 10 – 10 – 20 – 10 – n°?200 et?210). Afin de légitimer sa position et préserver les droits acquis des salariés, le gouvernement a tenté de clarifier la situation en inscrivant dans la loi les points de la doctrine administrative annulée par le Conseil d’État. À cet effet, l’article 39 de la loi de finances rectificative pour 2013 a prévu que le montant de l’impôt sur les sociétés à déduire du bénéfice utilisé pour la formule de calcul de la réserve spéciale de participation devait être «?diminué du montant des crédits d’impôt, imputés ou restitués, et des réductions d’impôt imputées afférents aux revenus inclus dans le bénéfice imposable au taux de droit commun?», à l’exception notable toutefois du crédit d’impôt imputé ou restitué en application de l’article 244 quater C du code général des impôts (CICE). Mais, dans sa décision n°?2013 – 684 DC du 29?décembre 2013, sans se prononcer sur le fond de la mesure, le Conseil constitutionnel a invalidé cette disposition pour des raisons de forme tenant au fait que la mesure constituait un «?cavalier budgétaire?» puisqu’elle contenait des dispositions étrangères au domaine des lois de finances tel qu’il résulte de la loi organique du 1er?août 2001.

Des entreprises désemparées face un imbroglio juridique
Les entreprises se sont donc retrouvées dans la situation de départ avec une doctrine administrative officiellement non rapportée bien que déclarée illégale par le Conseil d’État et donc toujours dans le paysage juridique bien que juridiquement inopposable. L’incompréhension a atteint son paroxysme lors de la publication le 17?juillet 2014 par le ministère du Travail d’un guide interministériel de l’épargne salariale qui maintient la position selon laquelle «?l’impôt sur les sociétés retenu pour le calcul de la réserve de participation s’entend après imputation de tous crédits ou réductions d’impôt afférents aux revenus inclus dans le bénéfice imposable au taux de droit commun?». Sont cités à titre d’exemple les crédits d’impôt recherche, famille ou pour dépenses de prospection commerciale ainsi que la réduction d’impôt en faveur du mécénat mais curieusement pas le CICE. Selon les prescriptions du guide, les crédits d’impôt doivent être retenus pour leur montant effectivement utilisé, qu’ils aient été imputés ou restitués à l’entreprise, et dans la limite du plafond annuel auquel ils sont soumis le cas échéant.

Une clarification inattendue
On pouvait penser que ce document cosigné par la direction de la législation fiscale de Bercy présageait la présentation prochaine d’une nouvelle disposition législative de validation dans un véhicule législatif approprié. Mais, dans l’actualité BOFIP du 5?septembre 2014, l’Administration se rallie à la position du Conseil d’état et rapporte sa doctrine en indiquant que «?l’impôt sur les sociétés retenu pour le calcul de la réserve spéciale de participation n’a pas à être minoré des crédits et réductions d’impôt imputés sur l’impôt.?» (BOI – BIC – BTP – 10 – 10 – 20 – 10 n° 200). Pour inattendue qu’elle soit, cette clarification a le mérite de mettre en harmonie la doctrine avec la loi, telle qu’elle a été interprétée par le juge souverain de l’impôt. On ne jurerait pas pour autant qu’il s’agit du dernier pas de la danse, car compte tenu de la sensibilité du sujet et que la solution retenue in fine préjudicie aux droits des salariés, il n’est pas exclu que le législateur revienne de nouveau sur cette problématique à court ou à moyen terme.

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