Par Frédéric Aknin, avocat associé, et Olivia Rabin, avocat, Capstan Avocats
La constitution d’une base de données économiques et sociales (BDES) et la consultation du comité d’entreprise sur les orientations stratégiques apparaissent incontestablement sur un plan opérationnel comme des réformes majeures issues de la loi du 14 juin 2013 portant sécurisation de l’emploi. À celles-ci s’ajoute l’encadrement des délais de consultation.

Passé le 14 juin 2014, date à laquelle la mise en place de la base de données est effective pour les entreprises de 300 salariés, il convient d’éviter tout amalgame entre ce nouvel outil mis à la disposition des représentants du personnel visé par la loi et la consultation du CE sur les orientations stratégiques qui constitue une obligation autonome à la charge de l’entreprise (I).

Cette consultation sur les orientations stratégiques est encadrée par les nouveaux délais réglementaires gouvernant, en l’absence d’accord, la procédure consultative du comité d’entreprise et induisant de nouvelles pratiques, notamment judiciaires (II).


I. BDES et orientations stratégiques ; obligations autonomes à la charge de l’employeur

La base de données est un outil, un réceptacle de l’information transmise par l’employeur au bénéfice des représentants du personnel légalement habilités à la recevoir. Elle poursuit un triple objectif identifié par l’article R.2323-1-2 du Code du travail :
- recueillir l’information nécessaire à la consultation du comité d’entreprise sur les orientations stratégiques,
- contribuer à donner une vision claire et globale de la formation et de la répartition de la valeur créée par l’activité de l’entreprise,
- permettre une mise à disposition des informations jusqu’alors transmises de manière récurrente au comité d’entreprise.

À cet égard, la date du 15 juin 2014 constitue le point de départ à partir duquel une base de données doit être mise en place dans les entreprises ayant un effectif au moins égal à 300 salariés. En revanche, à cette date, il ne peut être reproché à l’employeur de n’avoir pas déjà constitué une base de données complète. En effet, les sociétés ont jusqu’au 31 décembre 2016 pour compléter le contenu de la base de données avec les différentes informations récurrentes remises au comité d’entreprise.

Le 15 juin 2014 (ou le 15 juin 2015, pour les entreprises de moins de 300 salariés) marque donc la date à laquelle une base de données doit être mise en place dans l’entreprise, dont le contenu pourra être amélioré et complété jusqu’au 31 décembre 2016. C’est à cette dernière échéance que la base de données devra répondre au triple objet qui lui est assigné par l’article R.2323-1-2 du Code du travail issu du décret du 27 décembre 2013. Dans l’intervalle, toute polémique relative à la « complétude » de la base de données apparaît mal fondée.

Pour autant, dès le 15 juin 2014 (ou 2015) une base de données, même incomplètement alimentée, doit être opérationnelle dans l’entreprise et construite autour des 8 grands thèmes identifiés par l’article L.2323-7-2 du Code du travail, dont le contenu a été précisé par le décret précité du 27 décembre 2013. À défaut de mise en place, le juge des référés du tribunal de grande instance pourrait, sur le fondement du trouble manifestement illicite, faire injonction à l’employeur le cas échéant sous astreinte, de constituer la base de données dans les délais qu’il fixera. La carence de l’employeur pourrait aussi faire naître un risque pénal pour délit d’entrave.
Cette base de données, dont le contenu complet n’est pas légalement exigé avant le 31 décembre 2016, sert entre autres de support de préparation à la nouvelle consultation du comité d’entreprise sur les orientations stratégiques. Cette consultation annuelle (article L.2323-7-1 du Code du travail) constitue une obligation nouvelle et autonome. En ce sens, la création de la base de données comme outil, réceptacle de l’information, est sans incidence sur la régularité de la consultation du CE sur les orientations stratégiques. Ce point a d’ailleurs été tranché par le tribunal de grande instance de Créteil, lequel a jugé que la consultation sur les orientations stratégiques pouvaient se tenir, même en l’absence de mise en place de la base de données, dès lors que les informations nécessaires en vue de cette consultation étaient fournies (TGI Créteil, 7 avril 2014, N° R.G : 14/00318).


II. une consultation sur les orientations stratégiques encadrée, pour une sécurité juridique renforcée

Cette consultation sur les orientations stratégiques est encadrée par les nouveaux délais de procédure, autre innovation majeure codifiée aux articles L.2323-3 et suivants et R.2323-1-1 du Code du travail. Le comité d’entreprise pouvant se faire assister de l’expert-comptable de son choix, la consultation se déroulera, à défaut d’accord, dans un délai de deux mois maximum (un mois en l’absence de recours à l’expert). À cette échéance, le comité d’entreprise sera réputé avoir rendu un avis négatif.

En application de l’article R.2323-1 du Code du Travail, le délai court :
- à compter de la communication par l’employeur des informations prévues par le Code du travail pour la consultation,
- ou de l’information par l’employeur de leur mise à disposition dans la base de données.
Par voie de conséquence, concernant cette nouvelle consultation du comité, la seule question qui se pose est de savoir si les élus disposent ou non d’informations suffisantes pour être dûment consultés sur les orientations stratégiques, sur leurs conséquences sur l’activité, l’emploi, l’évolution des métiers et des compétences, l’organisation du travail, le recours à la sous-traitance, à l’intérim, à des contrats temporaires et à des stages.

Comme le rappelle la circulaire du 18 mars 2014, le principe d’un encadrement des délais de procédure vise à sécuriser la consultation du comité d’entreprise. Il résulte de l’article L.2323-4 du Code du travail, que pour lui permettre de formuler un avis motivé, le comité d’entreprise dispose d’informations précises et écrites transmises par l’employeur, d’un délai d’examen suffisant et de la réponse motivée de l’employeur à ses propres observations.

La loi du 14 juin 2013 ajoute que « les membres élus du comité peuvent, s’ils estiment ne pas disposer d’éléments suffisants, saisir le président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, pour qu’il ordonne la communication par l’employeur des éléments manquants. Le juge statue dans un délai de 8 jours.

Cette saisine n’a pas pour effet de prolonger le délai dont dispose le comité pour rendre son avis. Toutefois, en cas de difficulté particulière d’accès aux informations nécessaires à la formulation de l’avis motivé du comité d’entreprise, le juge peut décider la prolongation du délai. ».
Ce dispositif s’applique à la consultation sur les orientations stratégiques, à l’instar des autres consultations du comité d’entreprise visées par les nouveaux délais de procédure.

Sur le plan judiciaire, désormais, un comité d’entreprise ne sera plus habilité à agir en justice pour obtenir la suspension d’une procédure consultative, une telle mesure étant exclue par la loi.

Le tribunal de grande instance de Paris vient de relever en ce sens que le CE n’était pas fondé à exiger de la direction au motif de l’incomplétude de la base de données, de reprendre la procédure d’information-consultation sur les orientations stratégiques. A fortiori, les juges retiennent que « l’incomplétude ou l’insuffisance des informations mises à disposition du CE, en particulier en cas de BDES non conforme, ne peut conduire le juge des référés (…) à faire interdiction aux sociétés défenderesses de poursuivre la procédure d’information et de consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise » (TGI Paris, ord 28 juillet 2014, n°14/56509). Désormais, il appartiendra au comité d’entreprise, s’il estime ne pas disposer d’éléments suffisants pour rendre un avis éclairé, de saisir le juge dans le temps de la consultation, d’identifier les éventuels éléments manquants et de demander alors au tribunal d’ordonner leur communication.

…………...........
La constitution d’une BDES, l’institution d’une nouvelle consultation du comité d’entreprise sur les orientations stratégiques et l’encadrement des délais de procédure, tendent à aménager sensiblement les relations entre l’employeur et le comité d’entreprise. Il appartient à l’ensemble des acteurs concernés, au premier rang desquels l’employeur et le comité d’entreprise eux même, de s’adapter sans délai à ces récentes réformes, quitte à s’affranchir de certaines pratiques antérieures, notamment judiciaires.



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