Nommé à quatre reprises ministre sous Jacques Chirac, ce cardiologue, ancien président de Unitaid et actuel conseiller spécial du secrétaire général de l’ONU brigue le poste de directeur général de l’Organisation mondiale de la santé dont l’élection se tiendra en juillet 2017. Tour d’horizon des priorités et motivations du candidat Philippe Douste-Blazy

Décideurs. Quelles sont les raisons de votre candidature à la direction générale de l’OMS ?

Philippe Douste-Blazy. Au moment où de nouvelles crises sanitaires menacent le monde, la communauté internationale a besoin de l’autorité et de l’efficacité de l’OMS. Elle doit pour cela définir la santé non pas comme une priorité technique mais comme une priorité politique. La santé est avant tout le premier des droits humains essentiels, mais aussi le meilleur investissement en faveur du développement économique d’un pays et donc de la justice sociale. Mon parcours professionnel est à la fois médical et politique, deux aspects nécessaires pour assumer les responsabilités du directeur général de l’OMS.

 

Quel est le principal enjeu auquel doit faire face l’univers de la santé à l’échelle mondiale ?

Il faut renforcer la capacité de la communauté internationale à réagir rapidement et efficacement à une crise sanitaire infectieuse grave. Aujourd’hui celle-ci semble démunie. Après la crise d’Ebola, les présidents et chefs de gouvernement ont pris en considération ce problème, qui curieusement était nouveau pour eux, et ont mis en place un programme de gestion des urgences sanitaires. Il a été adopté par 194 pays lors de la dernière Assemblée mondiale de la santé et le nouveau directeur général de l’OMS devra le mettre en place.

 

Que proposez-vous ?

Un système de financement à long terme et durable de ce programme doit être trouvé. Chaque pays qui a voté ce programme doit contribuer en fonction de ses moyens. Si j’étais élu à la direction générale de l’OMS, je convoquerais immédiatement les États membres de l’ONU, les donateurs majeurs comme la fondation Gates ainsi que le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Créer un fonds de réserve commun éviterait les appels aux dons à chaque catastrophe. De plus, pour mener à bien ce programme, l’OMS devra placer sous la même égide l’équipe en charge des urgences et celle responsable du règlement sanitaire international. Concrètement, face à un fléau sanitaire qui menace un pays et risque de s’étendre au-delà de ses frontières, un renforcement des systèmes de santé est nécessaire ainsi qu’une décentralisation des personnels et des budgets de l’OMS dans les pays qui en ont le plus besoin. Il faut également créer des laboratoires de biologie pour établir les diagnostics plus rapidement et de manière reproductible. Une fois repérés, les cas détectés devraient être rapportés à l’OMS de manière centralisée. Il est également indispensable que les populations soient formées face à ce type de menace, en accomplissant des exercices réels et virtuels.

 

Comment lutter contre le fléau grandissant des maladies non transmissibles ?

Pour la première fois, l’OMS estime qu’il y aura plus de maladies chroniques non transmissibles d’ici à 2030 que de maladies infectieuses. Ce sont les maladies cardiovasculaires, les cancers et les maladies respiratoires chroniques. Elles représentent désormais la première cause de mortalité au-dessous de 65 ans et impliquent des coûts considérables pour la communauté internationale. Or, 90 % des maladies non transmissibles sont dans les pays à revenu intermédiaire, où les médicaments ne sont pas toujours accessibles financièrement. Au-delà des chiffres, la volonté politique de lutter contre ces maladies n’existe pas, contrairement à celle déployée pour lutter contre les maladies infectieuses comme le sida, la tuberculose ou le paludisme. La prévention jouera un rôle clé dans la lutte contre les maladies non transmissibles. Enclencher le cercle vertueux éducation et promotion de la santé, prévention, dépistage précoce, diagnostic précoce, traitement précoce est impératif. Cela passe par exemple par l’éducation des enfants aux dangers du tabac, du cannabis, de l’alcool, des aliments trop sucrés ou salés et une bataille menée contre les lobbys du tabac ou du sucre. La Grande-Bretagne fait figure d’exemple en matière de prévention : elle vient d’interdire les publicités de produits sucrés aux heures de grande écoute pour lutter contre l’obésité infantile.

 

L’OMS a déclaré le diesel cancérigène il y a une dizaine d’année mais celui-ci n’a toujours pas disparu. Comptez-vous vous saisir de ce sujet si vous êtes élu ?

S’il est vrai qu’à chaque problématique abordée, l’OMS réunit autour d’une même table tous les acteurs concernés, ses recommandations n’ont pas force obligatoire. Le seul instrument légal dont elle dispose est le règlement sanitaire international. Mais le pouvoir dont elle dispose et auquel je crois beaucoup est celui de la communication qui permet parfois des changements majeurs. Par exemple, l’OMS s’est rendue en Colombie et a recommandé de mettre en place une taxe sur le soda pour lutter contre un taux d’obésité infantile élevé. La Colombie est souveraine et l’OMS n’a pas le pouvoir de lui imposer. Mais le ministre de la santé a profité de cette campagne massive menée contre le sucre par l’OMS pour imposer cette taxe. Elle a donc un pouvoir non contraignant mais très incitatif.

 

« L’OMS doit définir la santé non pas comme une priorité technique mais comme une priorité politique. »

 

L’OMS semble jouer un rôle important pour les pays émergents, mais est-elle vraiment utile à tout le monde ?

Renforcer le système de santé d’un pays en développement peut être salvateur pour les pays développés. Prenons l’exemple du virus Ebola. Il a beaucoup proliféré dans trois pays où il n’y avait pas de système de santé : le Libéria, le Ghana et la Sierra Leone. Renforcer les systèmes de santé dans ces trois pays permet d’éviter que le virus Ebola ne se multiplie et qu’un voyageur ne revienne à Paris en étant porteur. Nous sommes interdépendants les uns des autres. Jusqu’aux années 1950-1960, les virus étaient arrêtés par les océans. Seuls les marins étaient placés en quarantaine. Aujourd’hui, des millions de personnes prennent l’avion et peuvent transmettre une maladie infectieuse d’un continent à l’autre.

 

Quelles sont les forces du système de soin français par rapport aux autres États réputés bons élèves en la matière ?

Le système de santé en France est l’un des meilleurs au monde au regard des indicateurs de santé. Parmi ses atouts : le système de protection sociale universelle. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, tous les partis politiques français se sont mis d’accord pour créer la sécurité sociale ce qui est probablement le geste politique majeur qui a été accompli depuis plus de soixante-dix ans en France. La formation de grande qualité des médecins en est un autre ainsi que le secteur libéral. Le système de santé français repose aussi sur des centres hospitalo-universitaires, où les professeurs ont une triple identité : praticien, chercheur et enseignant, ce qui est la clé de voûte du système que nous devons à la réforme de Robert Debré en 1958. Nous avons enfin un système d’urgence par l’intermédiaire des Samu, des services d’urgence hospitaliers et de certaines grandes cliniques privées que le monde entier nous envie.

 

Au contraire, quelles sont les faiblesses de ce système presqu’aussi envié que décrié ?

La générosité du système de protection sociale français est une faiblesse en soi. Lorsqu’il y a moins de cotisations et que le taux de chômage augmente, il est difficile de faire face à la demande. Nous sommes de plus arrivés au bout de la logique d’une liberté d’installation, que j’ai toujours défendue lorsque j’étais ministre. L’existence de déserts médicaux est la preuve de cet écueil. Cela pose la question de la justice face à la maladie, de l’organisation même d’un territoire et de la définition du médecin dans la société. Notre faiblesse enfin, partagée par d’autres pays, est le coût des nouveaux médicaments et le manque de prévention. La médecine ne doit plus être curative et individuelle mais préventive et collective. C’est la seule solution pour faire face au remboursement futur des traitements.

 

Propos recueillis par Marion Robert

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