Le rôle de la BPI, le label « Métropoles French Tech », le départ des start-up françaises à l’étranger, l'environnement fiscal... Axelle Lemaire revient sur les actions du gouvernement et les projets visant à accélérer le développement des jeunes pousses.

Décideurs. La création de la BPI et les programmes d’investissement d’avenir offrent un précieux soutien aux entreprises en phase d'amorçage. Est-ce suffisant ou d’autres actions sont-elles à prévoir pour accompagner les entrepreneurs dans leurs premières levées de fonds ?

Axelle Lemaire. BPIFrance a eu un impact très structurant sur le financement de l’écosystème des start-up. Notre priorité est en effet, grâce à ces dispositifs publics, de stimuler avant tout l’écosystème de l’investissement privé et l’ensemble de ses acteurs (financement par la foule, business angels, fonds de capital-risque).

Et les résultats sont là : si l’on compare l’année 2015 à l’année 2014, nous sommes passés de 897 millions d’euros levés à 1,8 milliard d’euros, soit une hausse de 100 % en valeur ! Cette tendance se confirme pour début 2016 si j’en crois les chiffres de Tech.eu qui souligne l’importance du nombre d’opérations conclues en France. Précisément, rappelons que la France est en tête au premier trimestre 2016 en nombre d’investissements d’amorçage.

En ce qui concerne l’amorçage, je crois que beaucoup a été fait et que ces chiffres témoignent des possibilités qui sont offertes à nos entrepreneurs pour les premières étapes de leur financement. Cela ne veut pas dire que tout a été fait : bien au contraire, il faut continuer à développer le financement par la foule et soutenir l’action des business angels qui est bien souvent, au-delà du financement, avant tout une relation d’entrepreneur à entrepreneur.

Notre priorité est aujourd’hui de répondre aux besoins de financement de nos start-up qui sont dans une dynamique de passage à l’échelle. Là encore, il est fondamental de continuer nos efforts de structuration de l’écosystème du capital-risque. Il nous faut accélérer sur ce sujet, même si les indicateurs sont là encore positifs : je remarque par exemple une augmentation en 2015 du ticket moyen avec 3,7 millions d'euros contre 3,1 millions d'euros en 2014. Et, au-delà de l’écosystème du capital-risque français, c’est l’écosystème européen qu’il s’agit de contribuer à construire, notamment en mobilisant les fonds du plan Juncker. La France se doit d’être proactive en la matière.

Enfin, il ne faut pas négliger l'importance stratégique du travail engagé avec la French Tech pour améliorer la notoriété et l'attractivité de la France auprès des investisseurs internationaux. Depuis deux ans, nous avons travaillé, à l'appui de notre écosytème de start-up, à entraîner un changement de regard réel sur le pays. Aujourd'hui, moi qui suis très fréquemment en relation avec les investisseurs étrangers sur ce sujet, je peux vous assurer que le french bashing a du plomb dans l’aile et ce n'est pas un hasard si un John Chambers (Cisco) compare la France à la Silicon Valley et voit notre pays comme une terre d'innovation, riche en talents et en opportunités d'investissements...

 

Décideurs. Vous avez participé à la création du French Tech Ticket afin d’attirer les entrepreneurs étrangers sur notre territoire. Quel regard portez-vous sur la première promotion arrivée en janvier dernier ?

A. L. Cette première saison, qui était aussi une première expérimentation concentrée à Paris, s’est extrêmement bien déroulée de l’avis de tous les lauréats et nous en sommes ravis ! Nous avons reçu près de 1 500 candidatures d’entrepreneurs ; avec les incubateurs partenaires parisiens,  nous en avons retenu 50 qui portent 24 projets de start-up d'une grande qualité. Attirer davantage d'entrepreneurs en France est un enjeu stratégique, que ce soit pour l’internationalisation de notre écosystème de start-up, pour l’attractivité de la France et pour démultiplier les opportunités de créations d’emplois dans le numérique sur notre territoire. Nous avons été très surpris de la qualité et de l’expérience des entrepreneurs qui ont candidaté : dans ce domaine, faire venir des entrepreneurs expérimentés peut constituer un vrai plus pour développer l’écosystème français. Le président de la République a annoncé l’extension du dispositif à 200 entrepreneurs pour la saison deux et sur l’ensemble du territoire cette fois-ci, dans les Métropoles French Tech, avec une arrivée des lauréats prévue en début d’année 2017.

 

Décideurs. Le label « Métropoles French Tech » a créé une vraie émulation en faveur du développement des start-up. Quels sont les premiers résultats concrets ?

A. L. Le développement des Métropoles French Tech a donné deux premiers résultats très concrets : d'une part une meilleure identification et la fédération des écosystèmes de start-up remarquables, et d'autre part, leur fédération à l'échelle du territoire français.

Personne n’avait, avant le lancement de l’appel à projet Métropoles French Tech, de visibilité globale des territoires où les écosystèmes de start-up étaient les plus dynamiques.

Les porteurs du projet l’ont dit à différentes reprises, le fait même d’identifier puis de fédérer les acteurs de cet écosystème au niveau de chaque territoire pour construire un projet commun a été un accélérateur dans la politique entrepreneuriale, économique et numérique de ces territoires. Cela a aussi permis aux entrepreneurs d’être reconnus localement comme une dimension indispensable du développement économique.

En lançant cette dynamique, en faisant confiance aux entrepreneurs, nous avons accéléré la mise en place de conditions favorables à la croissance des start-up en France et fait en sorte de soutenir l’innovation là où elle se trouve.

Nous ferons justement cet été un bilan précis et quantifié de l’Initiative French Tech. Nous le  rendrons public afin de montrer l’impact précis et détaillé de notre action, au-delà même des aspects très visibles d’appropriation par nos entrepreneurs de la marque French Tech et de son coq désormais emblématique !

 

Décideurs. Valorisé désormais à plus d’un milliard d’euros, Blablacar a fait son entrée dans le cercle très fermé des licornes. Peut-on espérer d’autres success stories de cette envergure au cours des prochaines années ?

A. L. C’est exactement l’objectif de l’Initiative French Tech ! Favoriser le passage à l'échelle de nos start-up pour faire émerger plus de champions internationaux ! La dynamique est là. Derrière la figure de proue Blablacar, on pourrait aussi citer Criteo, qui fait figure de précurseur, mais aussi Sigfox, Vestiaire Collective, Devialet... et la liste n'est pas exhaustive !  Il faut souligner l’impact vertueux sur l’écosystème de ces grands leaders, qui sont des sources d’inspiration et de motivation pour les entrepreneurs ; sans parler du réinvestissement dans l’écosystème du fruit de ces réussites entrepreneuriales. Aujourd'hui, ces marques emblématiques ne sont que la face émergée de l'iceberg. La French Tech regorge de start-up en hypercroissance que nous accompagnons à travers l’offre du Pass French Tech et qui seront, souhaitons-le, les licornes de la French Tech de demain. Je donnerai un seul chiffre pour témoigner de ce dynamisme : 144 %, soit le taux de croissance annuelle moyenne du chiffre d’affaires des start-up du Pass French Tech.

 

Décideurs. À l’instar de Bobler ou de Teads, de nombreuses start-up françaises vont continuer leur aventure aux États-Unis. Faut-il se féliciter de voir nos entrepreneurs réussir à l’étranger ou regretter leur départ de France ? Que faire pour les retenir ? Pour les faire revenir ?

A. L. J'ai eu l'occasion de le dire récemment à l'occasion de l'inauguration du French Tech Hub de Londres : il faut se réjouir de voir nos entrepreneurs s'internationaliser et développer leur activité à l'étranger. Ce qui compte avant tout n'est pas de savoir où, mais comment nos start-up peuvent réussir leur passage à l'échelle et devenir demain des leaders mondiaux dans leur domaine. Ces projets entrepreneuriaux qui s'exportent et réussissent sont les meilleurs ambassadeurs de l'excellence de la French Tech et des atouts indispensables pour notre attractivité à l'international.

Et il faut tordre le cou aux idées reçues : ce n'est pas parce qu'une start-up s'exporte qu'elle ne reviendra pas, où qu'elle ne développera pas son activité en France. Blablacar est présente dans 18 pays et emploie 450 salariés en France. Pourquoi ? Parce que notre pays n'est pas seulement un lieu d'innovation, c'est aussi un marché porteur où nos entrepreneurs ont intérêt à rester bien positionnés.

 

Décideurs. Les pouvoirs publics doivent-ils soutenir l’émergence du crowdfunding ?

A. L. Le dynamisme de l'investissement est un des moteurs principaux du retour à la croissance, donc tout ce qui peut le favoriser doit être encouragé. À cet égard, comment ne pas se réjouir du développement fulgurant du crowdfunding dans notre pays. En 2015, les deux champions du secteur, Ulule et Kisskissbankbank, ont permis la levée de 36 millions d'euros. En quatre ans, Kisskissbankbank a développé le montant de ses levées de fond à hauteur de 9 000 %. On constate que ces plates-formes permettent de soutenir de nombreux projets, solidaires, culturels et artistiques, etc. qui ont aujourd'hui du mal à trouver des financements dans les circuits traditionnels.

Ce modèle de financement peut également être un vecteur important pour le financement des civic tech et social tech, ces écosystèmes foisonnants de start-up comme Voxe, NousRassemble, Fluicity, HelloAsso ou Bayes Impact, qui ont investi ces derniers temps les secteurs de l'innovation citoyenne et sociale et qui se fondent avant tout sur une adhésion populaire à l’échelon local ou national.

Bien sûr, il y a une nécessité d'encadrement des plates-formes de financement participatif, notamment pour s'assurer qu'elles ne sont pas des arnaques ou des moyens de financer des activités illégales. Mais il s'agit déjà de tout mettre en œuvre pour développer ce secteur et lui apporter de la confiance, certainement pas de le freiner.

Nous allons continuer à adapter la réglementation, pour permettre aux plates-formes de financer plus rapidement et à plus d’entreprises, tout en protégeant l’épargnant. Par exemple, le plafond maximum des levées de fonds sur les plates-formes de financement participatif en capital sera relevé de 1 million d'euros à 2,5 millions d'euros. Nous ouvrirons par ailleurs la possibilité pour les plates-formes en capital d’intermédier des titres participatifs permettant ainsi le financement des coopératives.  

 

Décideurs. L’environnement fiscal est souvent cité au nombre des freins au développement d’un écosystème des business angels en France. Des mesures sont-elles à l’étude pour soutenir le pré-amorçage en France ?

A. L. Les investissements des business angels français sont dynamiques : +13 % en 2015, à 41 millions d'euros ; néanmoins ils sont encore peu nombreux en France (~10 000), et les montants investis sont encore loin de leurs équivalents américains ou même anglais.

Il y a une raison simple à cela : les conditions de cession d’entreprises sont plus avantageuses aux États-Unis et en Grande-Bretagne.

Pour encourager les startupers à rester et réinvestir en France, nous allons mettre en place un compte entrepreneur-investisseur qui a été annoncé par le Premier ministre le 3 février dernier. Il s’agira de permettre un réinvestissement plus fluide des plus-values issues de la cession d’une entreprise lors du réinvestissement dans une start-up et de supprimer des frottements fiscaux notamment en matière d’ISF.

Par ailleurs, afin de dynamiser l’investissement des business angels, un fonds de co-investissement avec les business angels doté de 50 millions d'euros issus du Programme d’investissements d’avenir et opéré par BPIFrance a été mis en place début 2016.

 

Décideurs: Pour rediriger l’épargne des salariés vers le financement des entreprises, Emmanuel Macron a présenté un projet de création de fonds de pension à la française. L’idée vous paraît-elle pertinente, suffisante ?

A. L. Ce qui est intéressant avec les fonds de pension, c’est qu’ils ont largement contribué au développement de l’écosystème du capital-risque aux États-Unis. Dans la Silicon Valley, la croissance des start-up est tirée par ces fonds d’investissement qui n'hésitent pas à injecter de l'argent massivement dans des dizaines de start-up. Leur logique : peu importe de perdre ma mise sur neuf projets, si le dixième est le Google ou l'Amazon de demain.

C’est cet objectif qu’il faut viser en essayant de réorienter une partie de l’encours des régimes de retraite supplémentaires d’entreprise (soit environ 130 milliards d’euros) vers le financement des entreprises. Depuis le 1er janvier 2016, de nouvelles règles prudentielles européennes applicables aux assureurs pénalisent les activités d’assurance-retraite, en exigeant davantage de fonds propres, et en limitant les possibilités d’investissements en actions d’entreprises. Nous allons y remédier avec la loi Sapin 2, qui prévoit la création de nouveaux organismes exerçant une activité de retraite professionnelle supplémentaire, sous un régime prudentiel distinct du cadre Solvabilité 2, tout en maintenant le niveau de protection actuel des assurés.

Ce projet permettra d’augmenter les volumes de financement disponibles pour les entreprises innovantes, en complément des actions déjà engagées. Évidemment, cette mesure ne remet nullement en cause le modèle français de retraite par répartition et ne modifiera pas l’éventail des produits d’épargne retraite aujourd’hui distribués sur le marché.

 

A.F.

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