Dans un environnement mouvant, complexe et incertain, les conseils pratiques susceptibles d’aider les DAF à tenir le cap de la croissance sont les bienvenus. Emmanuel Millard, secrétaire général du groupe Endrix, président International CFO d’Alliance, également président de la Commission nationale « finance responsable » du groupe Afnor, nous apporte son analyse et ses recommandations.

Décideurs. Pouvez-vous établir une mise en perspective de la situation actuelle en 2024 d’un point de vue macro et micro économique ?

Il est important d’établir un état des lieux. D’une part, sur le plan purement politique, la situation reste marquée par une instabilité gouvernementale, même si un nouveau gouvernement a été formé. Tout cela reste très fragile. Entre la dissolution de l’Assemblée nationale par le président de la République et les alliances politiques qui se sont établies, le risque de figer, ou tout au moins, de ralentir le vote et l’adoption des prochaines lois est bien réel, en commençant par l’adoption du Projet de loi de finances pour 2025 pour lequel nous avons décalé la date de dépôt au Parlement d’une semaine. Du jamais vu sous la Vème République... Or, les entreprises ont besoin de repères, de réponses. Beaucoup d’inquiétudes, que nos gouvernants ne voient pas, sont exprimées par Les TPE et PME. Celles-ci représentent plus de 50 % des entreprises en France et 70 % de l’activité salariée. Notre pays n’est pas constitué que d’empires industriels, de groupes internationaux ou de grandes entreprises cotées. L’incertitude est forte, notamment lorsque les partis politiques évoquent un retour de certaines formes d’imposition. Par ailleurs, nous constatons un taux de défaillance d’entreprises très élevé et jamais atteint par le passé. Le cap symbolique des 60 000 défaillances d'entreprises a été franchi. A la fin de l'été, plus de 63 000 ont été enregistrées sur les douze derniers mois. Les TPE (très petites entreprises) sont particulièrement touchées.

D’un point de vue macro-économique, la France est largement déficitaire. Pourtant, l’économie d’une façon plus générale se porte bien. Un des indicateurs relativement positifs est celui du chômage. Le taux de chômage diminue de 0,2 point au deuxième trimestre 2024, à 7,3 %  À l’inverse, le commerce extérieur va mal. Les entreprises françaises sont confrontées à une compétitivité mondiale qui s’intensifie. Je pense notamment à la Chine ou aux États-Unis, ainsi qu’aux coûts de l’énergie qui restent élevés. Si l’inflation a ralenti, elle reste encore forte. N’oublions pas que les salaires ont augmenté de 6 % au global pour les entreprises à la sortie de la crise COVID, avec certes des situations très diverses tant sur le plan sectoriel que fonctionnel. Sans oublier les difficultés d’accès au crédit, qui s’améliroent certes mais restent compliquées pour les TPE, PME mais aussi les ETI qui ont du mal à se financer ou se refinancer. Nombreuses sont encore les entreprises qui doivent rembourser leurs PGE. Enfin, de nouvelles problématiques voient le jour avec l’application de la CSRD qui suppose nécessairement des coûts supplémentaires majeurs pour les petites entreprises. C’est le cas des formations, des outils mis à disposition, des nouveaux profils pour répondre aux compétences demandées, de la facturation électronique. Avec ce nouveau cadre, les entreprises sont dans l’obligation de se transformer. Mais le récent rapport Draghi remis à la Commission Européenne pourrait, non pas remettre en cause, mais alléger l’application de ces directives sur la CSRD et sur la CS3D.

Quels conseils pratiques donneriez-vous à un DAF pour maintenir le cap sur la croissance ?

Le directeur financier doit savoir qu’il joue un rôle stratégique dans l’entreprise. Il doit être un bon communicant. C’est lui qui rapporte, rassure et explique. Il n’occupe plus un poste réduit aux fonctions comptables et fiscales. C’est un vrai chef d’orchestre. Il est aussi le bras droit du directeur général, son rôle est central. À ce titre, j’invite les directeurs financiers à sortir de leur zone de confort. Ils ne doivent pas hésiter à s’intéresser aux perspectives de croissance externe. Dans une période mouvementée marquée par une instabilité à la fois politique et économique, le DAF devient la boussole pour se repérer, s’orienter et savoir quelle direction prendre. Il occupe aujourd’hui une fonction support et il dispose d’une palette de choix stratégiques, comme le BFR d’exploitation, les comptes fournisseurs et clients, la trésorerie …. Il doit aussi approfondir l’optimisation de la performance du cash. Un chantier que les DAF doivent remettre sur la table à l’occasion de la mise en place de la CSRD et de la facturation électronique. Enfin, et c’est essentiel, préserver et entretenir de très bonnes relations avec ses banques.

"Aujourd’hui, un talent viendra sur un projet, pas sur une fonction."

L’IA et les nouvelles technologies prennent plus de place dans le quotidien d’un DAF. Comment appréhender ces nouveaux outils ?

Les reportings et tableaux de bord et de suivi sont de plus en plus automatisés. C’est ce qui permet au DAF de s’attarder sur des tâches plus stratégiques et de piloter l’entreprise. Certes, ce n’est pas simple, tout dépend de la taille de l’entreprise, du profil du DAF, etc. Toutes les entreprises ne sont pas logées à la même enseigne face à l’enjeu de l’IA. Les PME et ETI ont plus de difficulté à rentrer dans l’IA, pour des raisons à la fois budgétaires, techniques, fonctionnelles et de compétences. Comment faire alors ? Les TPE et ETI doivent se faire accompagner par des spécialistes du sujet dans le déploiement de leurs projets d’IA, en proposant des solutions innovantes appuyées par des formations, des séminaires et des mise en situation / application.

En plus de ces problématiques, s’ajoute la question de comment retenir les talents aujourd’hui ?

La nouvelle génération pose désormais beaucoup de questions non seulement sur les missions du poste, mais aussi sur les valeurs de l’entreprise, son ambition, ses axes de développement et sur l’organisation du temps de travail et bien sûr, sur la rémunération. Aujourd’hui, un talent viendra sur un projet, une vision, mais plus pas sur une fonction ou une fiche de poste

De quelle façon faut-il appréhender les critères extra-financiers ?

Tout d'abord, les rapports ESG vont devenir un domaine majeur pour les entreprises dans un contexte où l'ambition est de réduire les émissions mondiales de GES de 45 % d'ici à 2030 et d'atteindre le niveau zéro d'ici à 2050. Ces enjeux sont cruciaux pour les entreprises qui pour certaines, les plus grandes, s’y préparent déjà depuis des années, à tout le moins depuis 2014 selon les directives et réglementations. .. Aujourd’hui, pour diverses raisons, l’extra-financier est rattaché à la fonction finance. Ainsi, une entreprise qui ne prendra pas en considération les critères RSE sera confrontée à des difficultés de financement ou de refinancement. Le DAF est devenu un chef d’orchestre, un super chef de projets, capable de porter plusieurs casquettes à la fois et devenir stratège et  pilote à la fois …

Propos recueillis par Laura Guetta Dray