Le lundi 24 juin 2024, la Commission européenne rendait les conclusions préliminaires de son enquête ouverte en mars dernier sur les conditions contractuelles de l’App Store d’Apple. Et lançait, le même jour, d’autres investigations à l’encontre de l’américain, pour violation du Digital Markets Act toujours. Le lundi suivant, le 1er juillet, elle interpellait Meta sur son modèle publicitaire “pay or consent”.

Les investigations de Bruxelles sur le business model des géants du Net n’en finissent plus. La semaine dernière, le 24 juin 2024, la Commission européenne rendait les conclusions préliminaires de l’enquête qu’elle avait ouverte contre Apple le 25 mars 2024 sur ses manquements au Digital Markets Act (DMA). Conclusions préliminaires qui ont établi que les conditions contractuelles de l’App Store contrevenaient au DMA. Le même jour, elle annonçait lancer une autre procédure contre la firme à la pomme pour la non-conformité au DMA de ses nouvelles conditions contractuelles.

La firme américaine n’est pas le seul Gafam à être dans le viseur de l’Union. Meta a lui aussi reçu, le lundi 1er juillet, un nouvel avis de la Commission l’informant que son système de “pay or consent” relatif aux données personnelles des utilisateurs n’avait, selon elle, rien de conforme au DMA non plus. En toile de fond de ces enquêtes, le désir de garantir la concurrence des marchés où “des contrôleurs d'accès comme Meta accumulent les données personnelles de millions de citoyens de l'UE depuis de nombreuses années”selon Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive chargée de la politique de concurrence.

Position dominante des contrôleurs d’accès

Pour comprendre l’affaire, il faut remonter au 2 mai 2023 et à l’entrée en application du DMA, le Règlement européen sur la  lutte contre les pratiques restrictives de concurrence des Gafam sur les marchés numériques. Dans les tuyaux de la Commission européenne depuis février 2020 et publiée au Journal officiel de l’UE le 12 octobre 2022, cette nouvelle législation européenne veut rééquilibrer les relations entre les grandes plateformes numériques qui contrôlent l’accès au marché numérique – les contrôleurs d’accès – et les entreprises utilisatrices qui dépendent d’elles pour proposer leurs services dans le marché unique.

Pilier de la stratégie numérique européenne, le DMA a été pensé pour élargir le choix de services des consommateurs, pour assainir la concurrence sur le marché numérique européen et pour favoriser l’innovation. Le cabinet August Debouzy résume l’objectif central du DMA qui est d’“éviter une dépendance numérique des entreprises utilisatrices vis-à-vis des services de plateforme essentiels proposés par les contrôleurs d’accès”. Les contrôleurs d’accès ciblés par le règlement sont ceux qui ont une forte incidence sur le marché européen en raison du nombre important de leurs utilisateurs et du montant élevé de leur chiffre d’affaires. Dès le 6 septembre 2023, Bruxelles avait identifié six d’entre eux (Alphabet, Amazon, Apple, ByteDance –  propriétaire de Tik Tok – Meta et Microsoft, des Gafam pour la plupart) et 22 de leurs services de plateforme essentiels (TikTok, Facebook, Instagram, LinkedIn, Whatsapp, Messenger, Google Maps, Play, Shopping et Search, Amazon et Meta Marketplace, App Store, YouTube, Chrome, Safari, Google Android, iOS, Windows PC OS...).

Le 25 mars 2024, la Commission européenne lançait contre Alphabet (maison mère de Google), Meta et Apple cinq procédures pour non-respect du DMA. Un mois plus tôt, en mai 2024, Booking avait été lui aussi élu contrôleur d’accès par Bruxelles. Tout comme le réseau social X, qui a d’ailleurs réfuté ce statut en mars dernier. La Commission a cinq mois pour répondre à cette réfutation.

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Conditions contractuelles et commissions excessives

Dans les conclusions préliminaires des cinq enquêtes de marché concernant Alphabet, Meta et Apple (conclusions datant du 24 juin 2024), Bruxelles reproche à l’App Store d’empêcher, au moyen de ses conditions contractuelles, les développeurs d'applications d'orienter librement les consommateurs vers d'autres canaux d'offres et de contenus. Comprendre : avec sa politique contractuelle, Apple ne permet pas aux consommateurs d’accéder, sur sa plateforme de vente en ligne, à des offres moins chères ou gratuites. Une telle limitation de la liberté du consommateur viole l’article 5, paragraphe 4 du tout nouveau Règlement sur les marchés numériques. Autre point problématique : les commissions prélevées par Apple pour l'acquisition initiale d'un nouveau client par des développeurs, au motif que cette acquisition a été facilitée par l’Apple Store. Des commissions au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour ce type de rémunération pour Bruxelles.

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Margrethe Vestager déclarait en juin : “Apple ne permet pas pleinement d'orienter les consommateurs (…) Cela est pourtant essentiel pour faire en sorte que les développeurs d’applications soient moins dépendants des boutiques d’applications des contrôleurs d’accès et que les consommateurs aient connaissance de meilleures offres. Les investigations en cours semblent fondamentales pour “l’application effective du DMA” aux yeux de la politicienne danoise.

“Le nouveau mot d’ordre chez Apple devrait être d’’agir différemment’ (…) Nous avons des raisons de penser que les règles relatives à l’App Store ne permettant pas aux développeurs d’applications de communiquer librement avec leurs propres utilisateurs sont contraires au DMA” Thierry Breton

Nouvelles conditions contractuelles d’Apple

La Commission va également enquêter sur la compatibilité entre le DMA et les nouvelles conditions contractuelles imposées par Apple aux développeurs d’applications. En ligne de mire : la Core Technology Fee, une commission de 50 centimes qu’Apple s’octroie sur chaque nouvelle application installée par un utilisateur. Le parcours multi-étape qu’Apple impose à ses consommateurs pour l’installation d’une application non estampillée de la pomme. Ainsi que les conditions d'éligibilité des développeurs à proposer d'autres boutiques d'applications ou à distribuer des applications directement à partir du Web sur les iPhones, notamment l’adhésion des développeurs au programme Apple Developer.

Le commissaire au marché intérieur Thierry Breton explique que “la communauté des développeurs et les consommateurs sont désireux de proposer des alternatives à l’App Store”. L’enquête vise à “s’assurer qu’Apple ne sape pas les efforts déployés en ce sens”, précise Margrethe Vestager. Les membres de l’exécutif européen affichent leur détermination “à utiliser la panoplie d’outils bien établis et efficaces offerte par le DMA pour enfin ouvrir de réelles possibilités au bénéfice des innovateurs et des consommateurs”.

“Nous voulons donner aux citoyens les moyens de prendre le contrôle de leurs propres données et de choisir une expérience publicitaire moins personnalisée” Margrethe Vestager

Le “pay or consent” de Meta

Les avancées de l’enquête contre Meta livrées le 1er juillet 2024 concernent le modèle publicitaire “pay or consent ”. La Commission estime qu’il y a une incompatibilité entre le DMA et ce système binaire qui oblige les utilisateurs européens de Facebook et d'Instagram à choisir entre payer pour surfer sur les réseaux sociaux sans publicité et un accès gratuit à des réseaux truffés de publicités ciblées. Le “pay or consent” s’oppose à la philosophie du DMA selon laquelle les utilisateurs opposés à l’usage de leurs données personnelles à des fins publicitaires doivent jouir d’un service équivalent à celui basé sur les annonces personnalisées. En somme, les consommateurs de réseaux sociaux ne devraient pas être défavorisés – parce qu’ils doivent payer – au motif qu’ils refusent les publicités ciblées.

La ligne de défense de Meta consiste à expliquer que seule la publicité ciblée peut financer des services gratuits (Instagram ou Facebook) pour les utilisateurs. Plus rentable que la publicité contextuelle, la publicité ciblée représenterait 98 % des revenus de Meta, selon des chiffres indiqués dans Le Monde.

L’enquête court jusqu’à la fin mars 2025. D’ici là, Apple et Meta ont la possibilité de communiquer à la Commission leurs propres conclusions en défense. Les firmes américaines jouent gros : une infraction au DMA peut coûter jusqu’à 10 % de leur chiffre d’affaires mondial sous forme d’amende et jusqu’à 20 % en cas d’infractions répétées. Impressionnant lorsque l’on sait qu’en 2023 le chiffre d’affaires de Meta avoisinait les 135 milliards de dollars, et celui d’Apple les 395 milliards de dollars. Si avec ses avis préliminaires, la Commission suit une logique constructive, elle rappelle qu’en cas de violation systématique des règles du DMA, elle pourrait durcir le ton en obligeant le contrôleur d'accès contrevenant à vendre tout ou partie des activités problématiques ou en lui interdisant de les développer.

Les contrôleurs d'accès comme Meta accumulent les données personnelles de millions de citoyens de l'UE depuis de nombreuses années. Et pour Thierry Breton, le DMA a été conçu pour “redonner aux utilisateurs le pouvoir de décider de la manière dont leurs données sont utilisées”. Mais pas seulement. Le texte européen doit permettre aux “entreprises innovantes [de] rivaliser sur un pied d'égalité avec les géants de la technologie en matière d'accès aux données”. Au-delà des droits des citoyens européens, c’est également la compétitivité économique qui est en jeu.

Ilona Petit & Anne-Laure Blouin

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