Pour son dixième anniversaire, la délégation sénatoriale aux entreprises a convié 200 entrepreneurs pour parler simplification des normes, avec en toile de fond un focus sur la directive RSE et un parterre d’entrepreneurs hostiles à de nouvelles normes. 

 “Une indigestion, trop c’est trop.” Olivier Rietmann, sénateur Les Républicains de la Haute-Saône, a inauguré la 7e journée des entreprises organisée par la DAE (la délégation sénatoriale aux entreprises qu'il préside) qui abordait la simplification de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, et inévitablement le ras-le-bol des normes. Ce jeudi 21 mars, la salle, située dans l’antre du Sénat, rue Vaugirard, était comble pour discuter RSE et directive CSRD avec Dominique Seux, directeur délégué de la rédaction du journal Les Échos, Nathalie Gimenes, experte en RSE et gouvernance responsable affiliée à Executive Education de Mines Paris-PSL, et Didier Boudy, président de l’ETI Mademoiselle Desserts. Des chefs d’entreprise de tout secteur, de la pâtisserie au recyclage de coquilles d’œufs en passant par les pneus, représentaient 58 départements de l’Hexagone, selon Olivier Rietmann. Pour cause, la DAE sillonne le pays pour rencontrer les entrepreneurs de tous les territoires – avec immersion des sénateurs dans les entreprises – dans un seul but : les aider face à une “administration déconnectée des réalités du quotidien”. Le président du Sénat, Gérard Larcher, également présent, l’affirme : “il faut partir du terrain pour agir sur le plan national”.

Entreprises étouffées

Une directive sur le devoir de vigilance en passe d’être “adoptée au forceps”, une autre, dite CSRD, qui renforce les obligations de reporting des entreprises… Depuis quatre ans, les normes n’ont de cesse de se multiplier sous l’effet des crises, sanitaire, géopolitiques, inflationniste – la plus grande en la matière depuis cinquante ans selon Dominique Seux – et climatique. Un enjeu majeur qui mériterait mieux que de simples obligations administratives. On se réfère au PDG de Renault qui a déclaré ces derniers jours : “Les États-Unis stimulent, la Chine planifie et l’Europe réglemente.” Et Olivier Rietmann de renchérir : “On n’incite pas nos entreprises à grandir en France.”  Ici, on estime que faire peser sur les entreprises des obligations et une responsabilité en matière de droits environnementaux et de droits humains sur toute la chaîne de production, c’est leur prêter un pouvoir que même les États seraient bien incapables d’assumer. Pour Gérard Larcher, la simplification doit se faire à tous les étages, en particulier sur le plan européen. Il le répète : en France, “nos entreprises sont étouffées par les normes, et sont obligées de recourir à des intervenants externes pour comprendre ce qu’elles ont le droit de faire. Des charges qui éloignent les entrepreneurs de leur cœur de métier.”

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Et se conformer aux normes, ça a un coût. Environ 500 000 euros par an, selon Didier Boudy, avec des devis de consultants allant de 20 000 à 80 000 euros et deux cadres consacrés à la RSE contre un aujourd’hui, et un demi hier. Si l’entrepreneur admet que face aux normes RSE, la peur constitue la première réaction (on lit sur les lèvres des chefs d’entreprise “qu’est-ce qu’ils nous ont encore pondu”), il a vite pris le parti de faire du sujet un avantage concurrentiel et stratégique. Il dresse des rapports RSE depuis quatorze ans et obtenu la certification B Corp. Ce label payant attire les candidats-cadres ou agents de maîtrise et permet de décrocher certains contrats, avec des partenaires commerciaux de plus en plus regardants sur la responsabilité sociale. Il a également investi dans deux logiciels pour faciliter le travail de reporting à venir avec l’entrée en vigueur de la directive CSRD. Et s’agace du greenwashing de certaines entreprises alors que la sienne mène un travail profond pour de vrais résultats. Didier Boudy rappelle avec humilité que, à la base, son métier c’est la pâtisserie : “Nous on sait faire des gâteaux.”

Culture de la transparence

Pour Nathalie Gimenes, le travail de Didier Boudy va dans le bon sens, celui de la CSRD, qui a “d’abord été pensé comme outil pour aider les entreprises à mener leur transition avant d’être outil de conformité”. Elle voit d’ailleurs ce grand reporting balayer les labels comme B Corps et lancer un mouvement collectif de transition des entreprises. La RSE est un outil de gestion et de pilotage des trajectoires des entreprises et un lieu de réflexion pour rendre l’activité durable, décrypte-t-elle. L’idée derrière la CSRD ? Encourager la culture de la transparence et interroger le rôle de l’entreprise dans la société.

“En France, on vit dans une bulle”

Dans l’assistance, ceux qui partagent son point de vue sont rares. Comprendre : les chefs d’entreprise n’ont souvent ni le temps, ni l’argent, ni les compétences en interne pour se conformer au millefeuille administratif français et européen. Jean-Marc Barki, président cofondateur de Stikoïa, passé par l’institut du Sénat, résume : “On n’a pas besoin de ces normes.” Les entrepreneurs sont des gens responsables qui n’attendent pas la régulation pour prendre des décisions qui vont dans le sens de l’histoire. Excédé, il lâche que davantage de normes le pousseraient à délocaliser son activité à l’étranger. Même son de cloche pour une autre dirigeante de l’assemblée qui insiste sur l’aspect mondialisé de l’économie. “En France, on vit dans une bulle.” Didier Boudy l’a constaté au sein de la fédération professionnelle de la boulangerie qu’il préside : les dirigeants plus seniors craignent la CSRD au point de passer la main. Ce qui accélérera mécaniquement la transition des entreprises reprises par des plus jeunes. La jeunesse, peu représentée dans le public, s’est exprimée par la voix de la cofondatrice de Circul’Egg, une start-up de recyclage de coquilles d’œuf. Elle explique que Circul’Egg a justement vu le jour sous l’impulsion de toutes les nouvelles normes. Mais se demande pourquoi en France, on n’incite pas plus les entreprises, par des leviers fiscaux notamment, à être “green”. C’est Dominique Seux qui répond : “En France, l’État aime prendre et donner”, à l’inverse des États-Unis qui préfèrent les instruments fiscaux aux aides. Outre-Atlantique, on n’aborde peu le sujet de la transition climatique, soit l’objectif final de la RSE. C’est d’ailleurs l’un des échecs de l’Union européenne. Elle a beau avoir obtenu les accords de “Paris”, elle a du mal à influencer les continents asiatique et américain en matière de transition climatique. Pour Nathalie Gimenes, on peut aussi comprendre que l’Europe est pionnière dans ces sujets. Et dans la course des États, être premier, c’est toujours mieux.

Le régulateur tâtonne

Mais alors, s’interroge Dominique Seux, faut-il aller plus vite dans la lutte contre le réchauffement climatique alors que Rio croulait sous 62 degrés ressentis ces derniers jours ? Les entrepreneurs de ce siècle sont tributaires de défis civilisationnels bien plus grands qu’eux. Une dirigeante confirme cet état de fait. Entre les prévisions de baisse de rentabilité et le contexte d’augmentation constante des charges d’énergie, de recrutement, etc., les PME ont très peur et sont usées par les crises qui se succèdent depuis quatre ans. Le journaliste suggère qu’au lieu de pointer du doigt les agriculteurs et leur bétail, on s’adresse aux entreprises qui ont “les moyens”, avec à l’appui l’actualité sur les fuites de méthane largement imputables aux compagnies pétrolières et gazières. Cette remarque trouve l’approbation générale dans la salle qui compte surtout des dirigeants de PME et de petites ETI. L’époque est à la transition, le régulateur tâtonne pour placer le curseur. Et puis, pour les entreprises, devenir un bon élève en matière de RSE, c’est d’abord une question de convictions. Didier Boudy l’assure, le virage, il l’a pris parce qu’il est convaincu qu’il doit changer de modèle. Pour porter ses ambitions et motiver les troupes en interne, il a même accouché d’une figure allégorique : captain Décarb.

Anne-Laure Blouin 

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