Paul Charlent est le cofondateur d’Alancienne, une plateforme de livraison de produits issus de l’agroécologie, à prix maîtrisés pour le consommateur et justes pour le producteur. Il en est persuadé, les circuits courts sont la clé pour réussir la transformation écologique de notre modèle agricole.

Quel est votre parcours ?

Originaire de Normandie, je me suis très tôt passionné pour la bonne bouffe et la cuisine. Aîné d’une famille nombreuse et avec un penchant pour cette activité, j'avais l’occasion de m'y livrer régulièrement. C’est en cuisinant que je me suis rendu compte de l’importance d’avoir des bons produits… et de la difficulté de s’en procurer de manière pratique, et surtout abordable. Avec cette intuition en tête, je pars faire mes études de physique-chimie à Jussieu, puis à Centrale Paris et enfin à Berkeley, en Californie. C’est là-bas que j’ai rencontré mes deux futurs associés et que j’ai eu un déclic pour l’entrepreneuriat. On a coutume de se représenter l’agriculture américaine comme le paradigme de l’agrobusiness et des exploitations à perte de vue. Mais la réalité est plus contrastée : dans la baie de San Francisco, l’agroécologie, le bio, les circuits courts sont extrêmement développés, avec des services associés comme la livraison à domicile qui rendent les produits sains très facilement accessibles. C’est un peu de ce modèle que nous avons voulu importer en France avec Alancienne.

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Justement, dites-en nous plus…

C’est une solution qui, en coupant les intermédiaires, se veut une réponse à l’impasse alimentaire actuelle qui produit en masse des denrées de qualité médiocre, pollue et appauvrit les sols, assèche les nappes phréatiques, le tout sans même offrir un revenu décent aux agriculteurs. Concrètement, en nous fournissant directement auprès de producteurs locaux engagés, nous proposons à nos clients de la viande, du poisson, du pain ou des légumes que nous récupérons et livrons dans la journée. Ce fonctionnement en flux tendu nous permet de réduire le gaspillage alimentaire mais aussi de supprimer les coûts de stockage. Chacun peut commander ce qu’il veut quand il le veut, même si nous proposons également des abonnements. L’objectif est de rendre les choses aussi fluides que possible pour le consommateur, et aussi justes que possible pour les agriculteurs et la planète. Enfin, sur notre site, nous détaillons comment se décomposent les prix affichés et quelle part revient à chacun des acteurs de la chaîne, en parfaite transparence. Aujourd’hui nous livrons en moyenne 500 paniers par semaine, essentiellement à Paris mais aussi à Lyon et Bordeaux.

Qu’est-ce qui freine encore ce passage à un nouveau paradigme alimentaire ?

Quand un système est en place depuis si longtemps et qu’autant de gens en profitent, les choses ne peuvent pas changer du jour au lendemain. Si soudain les voitures n’avaient plus besoin d’être réparées, ce serait tout un pan de l’économie qui s’est construite autour de leur entretien qui s’effondrerait et un paquet de gens au chômage. Pour résoudre cette équation, la réponse ne peut être que globale, systémique. Le temps des rustines est révolu. Ainsi, pour accélérer cette transformation, je vois deux grands leviers : les pouvoirs publics d’un côté, par la force de la loi et de la norme ; les consommateurs de l’autre qui, avec leur carte bleue, ont le pouvoir de faire émerger un marché de producteurs locaux, de saison, engagés… Quant à nous, nous tâchons de mettre en place le service qui va faciliter ce mouvement, le rendre plus simple, sans frictions, à la portée de tous, tout en misant avant tout sur les notions de goût et de plaisir.

"Aujourd’hui les agriculteurs lisent des notices. Ils réapprendront demain à lire le sol"

Et les agriculteurs dans tout ça ?

Si la demande est là et qu’ils y trouvent leur compte, ils suivront. Il est vital de redonner du sens et de la noblesse au métier d’agriculteur, à l’heure où toute une génération s’apprête à partir à la retraite. Nous voulons nous impliquer dans ce défi. C’est pourquoi nous avons créé la Ferme de l’envol qui propose des formations d'une durée de un, deux et trois ans aux principes de l’agroécologie. L’idée est qu’à la sortie ils puissent vivre de leur métier, innover, avancer, créer un marché, une filière. Et qu’ils essaiment chacun autour d’eux, la notion que non seulement cette agriculture est plus responsable et saine, mais que celle-ci est rentable et fonctionne.

Cette nouvelle agriculture que vous appelez de vos vœux suffirait-elle à couvrir nos besoins si elle était généralisée ?

Bien sûr ! Et ce n’est pas moi qui le dis : l’ONU, l’Inra, la FAO… tous disent que c’est tenable à grande échelle et que l’agroécologie peut même être plus productive que l’agriculture conventionnelle. Elle n’a certes pas le même rendement, mais regardez le coût environnemental et sanitaire que fait peser sur nous la monoculture. Alors oui, il va falloir être plus inventifs, planter des variétés différentes, imaginer des associations performantes de cultures, sortir de la dépendance aux énergies fossiles pour renouer un rapport au soleil. Aujourd’hui les agriculteurs lisent des notices. Ils réapprendront demain à lire le sol. La combinaison de l’agroécologie et des circuits courts peut leur permettre de retrouver le sens pratique, philosophique et économique de leur métier.

Propos recueillis par Antoine Morlighem