Fêtant ses dix ans, le cabinet Eversheds Sutherland El Heni in association with El Heni Law Firm s’est imposé en quelques années comme l’un des plus importants cabinets du pays. Un anniversaire qui est une bonne occasion de revenir sur les particularités du cabinet en Tunisie et les ambitions plus larges d’Eversheds Sutherland sur le continent Africain.

DÉCIDEURS. Pouvez-vous revenir sur l’historique du cabinet et ses spécificités ?

Fares Koussay El Heni. Pour répondre à votre question, je dois revenir sur mon parcours. Avant de lancer Eversheds Sutherland El Heni, j’avais déjà travaillé plusieurs années dans le bureau parisien d’Eversheds Sutherland. Après la révolution de 2011 en Tunisie, j’ai voulu ajouter ma contribution. C’est ainsi qu’en décembre 2013, j’ai repris un cabinet existant pour le transformer en Eversheds Sutherland El Heni in association with El Heni Law Firm. Depuis le début, ce projet avait un objectif précis : celui d’offrir aux sociétés et groupes internationaux une assistance juridique qu’ils avaient l’habitude d’avoir dans les pays les plus évolués en matière de droit, comme aux États-Unis, au Royaume-Uni, ou encore en France. C’est là le véritable ADN de notre cabinet. L’objectif initial était de proposer une réactivité sans faille, mais depuis dix ans notre offre s’est étoffée, nous sommes devenus plus proactifs, plus pratiques, plus business oriented, plus proches des administrations, ministères, du terrain et de sa réalité. Nous ne sommes plus un « simple » avocat aux standards internationaux, mais un partenaire juridico-administratif, de confiance, basé en Tunisie, qui offre une assistance aux standards internationaux (réactivité, qualité du livrable, client oriented) sur lequel nos clients, groupes et sociétés internationales peuvent s’appuyer pour leur day-today ou la mise en place de leurs projets, comme s’ils avaient leurs propres équipes sur place.

"Notre ambition est simple : proposer un cabinet tunisien aux plus hautes normes internationales"

Nous sommes ainsi un cabinet d’avocats d’affaires full service. L’une des conséquences positives de cette stratégie, c’est que nous sommes désormais aussi sollicités par des entreprises tunisiennes, souvent publiques, pour leurs gros projets ou arbitrages en dehors de la Tunisie (Europe, Afrique et Moyen-Orient). Enfin, la création de ce cabinet visait non seulement à servir des clients exigeants mais aussi à renforcer notre communauté et offrir une alternative aux cabinets locaux pour les jeunes avocats. Cela leur permet non seulement de travailler sur des dossiers provenant d’autres bureaux du réseau Eversheds, avec des avocats du monde entier, mais aussi d’aller y travailler via des programmes de détachement. Il existe une vraie forme d’émulation et une attente d’excellence qui permet une montée en compétence.

Quelles sont les particularités du marché tunisien ?

Pour parler du marché tunisien, il faut avant tout être réaliste sur sa taille plutôt moyenne. Ce pays compte seulement 12 millions d’habitants. L’activité locale est cependant très diversifiée et bien plus sophistiquée que la moyenne du continent. Cela s’explique entre autres par la présence d’une classe moyenne qui représente la majorité écrasante de la population et dont les besoins sont larges. Mais la principale particularité du marché tunisien c’est son savoir-faire sur l’export qui a été développé depuis les années 1960. Cela s’appuie notamment sur le dynamisme de la population : elle est jeune, très éduquée, avec un faible taux d’illettrisme. Il faut également saluer l’égalité femmes-hommes, avec une forte présence des femmes dans le milieu du travail et des affaires. Ajoutez à cela une proximité avec l’Europe assez exceptionnelle et des coûts de main-d’oeuvre faibles et vous obtenez un mix idéal pour l’export.

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Nous avons aussi un secteur de la tech particulièrement actif avec un vivier de jeunes talents et de personnes expérimentées. Nous sommes en prime l’un des pays africains les plus avancés en termes de législation de la propriété intellectuelle, de la tech et des télécoms. Nous avons d’ailleurs travaillé sur la conception des nouveaux codes des télécoms et du numérique. On doit aussi évoquer la qualité de vie et la sécurité, qui sont de vrais arguments, en particulier quand il s’agit d’attirer des expatriés. Cela fait de la Tunisie une plateforme non seulement pour l’Europe qui est un partenaire privilégié, mais aussi pour l’Asie, le Moyen-Orient et les États-Unis. Et nous restons évidemment un point d’entrée pour l’Afrique. C’est aussi un pays extrêmement administratif, en particulier depuis la révolution, ce qui en fait l’endroit idéal pour faire ses armes pour tenter une aventure africaine. Pour ce qui est des prospectives, aussi triste que cela puisse paraître, le pays peut tirer avantage des crises récentes. Le coût de l’énergie explose, tout comme celui du transport. Ainsi, installer une ligne de production en Tunisie peut être plus intéressant que de produire en Chine par exemple. Pour finir, on doit évoquer le cas des ENR. Il existe un fort potentiel solaire, éolien mais aussi pour l’hydrogène vert qui, couplé à la proximité européenne, nous rend particulièrement attractifs pour les projets d’ENR.

Quelles ont été les conséquences des récentes évolutions géopolitiques mondiales sur le milieu des affaires, et par ricochet sur le droit des affaires ? Comment celles-ci ont-elles impacté votre activité ?

Que ce soit l’invasion de l’Ukraine ou le Covid- 19, ce qui ressort des bouleversements de ces dernières années, c’est que le marché est devenu illisible. Il est impossible de faire des prédictions fiables. Après  trois ans à ce rythme, notre choix a été de renforcer au maximum notre capacité à être agiles. Le plus important est de pouvoir réagir le plus rapidement et efficacement possible. On peut continuer à faire des prévisions et des investissements en amont, mais la réalité est que nous sommes quasiment tout le temps en réaction. Cela a aussi un impact sur l’arbitrage, qui augmente fortement depuis un an. Les ruptures de contrat se multiplient et faire des partenariats sur le long terme devient compliqué.

En temps de crise, le premier réflexe est de se replier sur soi-même et de défendre ses intérêts. Cette tendance de fond va augmenter pendant encore quelques années. Chez nous, cela se traduit par une augmentation de 50 % de nos équipes contentieux, avec d’autres recrutements prévus. Cela ne veut pas dire que les équipes conseil sont sur le banc de touche ; bien au contraire, leur travail de fond, la rédaction des contrats est plus importante que jamais. On réalise depuis deux ou trois ans que toutes ces clauses d’arbitrage ou de rupture un peu standard, qui ont été signées il y a dix ans, sont soudainement appliquées. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que l’on voit le bout de la chaîne et cela nous permet de ne plus envisager ces questions de manière théorique, et donc de revoir complètement notre approche du risque. Les zones d’ombre actuelles sont énormes et cela nous permet d’acquérir énormément d’expérience pour les prochains contrats.

Vous possédez une double casquette : d’un côté managing partner du cabinet à Tunis mais aussi Deputy Head Africa d’Eversheds Sutherland, pouvez-vous nous en dire plus ?

Pour expliquer cette situation, il faut revenir dix ans en arrière, à l’ouverture du cabinet. À  l’époque, l’objectif était de supporter l’activité africaine d’Eversheds, en particulier en Afrique francophone et anglophone, avec beaucoup de day-to-day mais aussi de développer l’activité tunisienne. Sept ans plus tard, cette partie tunisienne a pris le dessus du fait de notre positionnement un peu unique. Fort de ce succès, le cabinet a souhaité me confier une nouvelle mission en tant que Deputy Head de l’Africa Group : prendre en charge la partie advisory sur toute l’Afrique francophone, soit une trentaine de pays. Depuis 2019, on fait face à un marché très tendu, composé principalement de day-to-day que nous orientons vers les cabinets locaux. Cela ne nous a pas empêché de travailler sur de nombreux dossiers high profile panafricains. Je pense notamment à une vente que nous avons réalisé sur sept pays africains pour un acteur dans l’industrie chimique, ou encore des acquisitions dans trois pays africains que nous avons effectué pour un client dans l’industrie des ascenseurs.

"Eversheds Sutherland solidifie et étend ses opérations en Afrique" 

Cela est d’ailleurs devenu notre expertise de premier plan : assister nos clients dans le projet de réorganisation en l’Afrique, via des acquisitions, cessions ou spin-off. Nous intervenons de la conception du projet jusqu’à son exécution finale. Nous avons aidé aussi nos partenaires africains à se structurer et à travailler sur la partie réactivité et expertise. Après cette consolidation de notre réseau, nous espérons passer à l’étape suivante qui est en quelque sorte un upgrade. Cela passe par la création de l’EVSAF, un type d’Africa Group qui englobe l’Afrique du Sud, l’île Maurice, l’Angola, le Mozambique et bien sûr la Tunisie. Le but est de fédérer ces cinq bureaux, de partager le quotidien, mais aussi la mise en place d’un cost sharing. En les faisant progresser en même temps, nous voulons atteindre une masse critique. Mon rôle en tant que Deputy Head est donc de continuer de faire évoluer cette organisation, mais aussi et surtout de servir les clients en faisant le lien avec les cabinets locaux ou d’intervenir sur les projets panafricains tout en restant un point de contact unique.

Propos recueillis par François Arias

 

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