Ancien directeur fiscal de grands groupes internationaux, Jean-Olivier Pirlet est désormais avocat entre Lille et Paris. Il aspire à utiliser son expérience et sa connaissance des besoins des entreprises en matière de fiscalité pour devenir un des plus grands avocats de droit pénal fiscal. Entretien.
Jean-Olivier Pirlet, ITPM : "En matière de pénal fiscal, il faut remettre le droit au centre de la discussion"
Décideurs. Vous avez été directeur fiscal pendant huit ans avant de (re)devenir avocat, pouvez-vous nous expliquer votre parcours ?
Jean-Olivier Pirlet. Pendant vingt ans, j’ai exercé en tant qu’avocat de grands cabinets internationaux et fiscaliste d’entreprise jusqu’à devenir directeur fiscal de grands groupes internationaux. Le monde fiscal a beaucoup changé pour devenir de plus en plus agressif, avec une pénalisation croissante de la matière. Je n’étais donc plus forcément adapté à ce métier qui nécessitait d’avoir un profil de gestionnaire que je n’avais pas et pour lequel je n’avais pas d’appétence. C’était la fin de mon monde et il fallait que je trouve ma voie. Cela a été assez rapide dans la mesure où j’avais déjà en tête l’idée de redevenir avocat.
Je souhaite aujourd’hui m’acclimater à l’environnement pénal et gagner en expérience dans ce secteur. L’idée est d’avoir une double compétence de pénaliste et de fiscaliste afin d’accompagner les plus grands contribuables et les plus grandes entreprises françaises. En tant qu’ancien directeur fiscal de très grands groupes, je sais ce que vivent les grandes entreprises et comment elles fonctionnent. J’interviens d’ailleurs régulièrement en tant que directeur fiscal ou fiscaliste par intérim. Je sais comment les défendre grâce à cette compréhension fine de l’entreprise et de l’environnement dans lequel s’inscrit la fiscalité.
Pour l’avocat en droit pénal fiscal que je suis, la difficulté réside dans le fait de réussir à combiner savoir-faire et compréhension fine dans le domaine fiscal – savoir-faire qui appartient en général aux fiscalistes – et capacité oratoire – ou force de conviction (et parfois de courage) –, ce qui est davantage le fait des pénalistes. Je me forme sur le terrain pour être capable de concilier ces deux facultés avec un certain succès.
Dans quels domaines intervenez-vous et quelle typologie de clients avez-vous ?
Je continue à travailler en droit fiscal la moitié du temps mais avec beaucoup de pénal des affaires et classique. J’exerce également en matière de droit du travail, de droit international et de droit des étrangers. Je souhaite garder une plus grande liberté dans mon exercice contentieux. Je fais volontairement peu de conseil.
Je tiens à rester assez généraliste. Cela me permet de ne pas raisonner en silo et de trouver des arguments qui sont issus d’autres droits et grâce auxquels nous pouvons prendre l’ascendant dans un contentieux. À titre d’exemple, j’ai eu gain de cause sur une problématique en matière d’Urssaf en utilisant un argument de droit des sociétés et de droit du travail. Il s’agissait d’une affaire dans laquelle on reprochait à un entrepreneur d’avoir employé son épouse et qu’à ce titre, elle était redevable de cotisations sociales auprès de l’Urssaf. Nous avons utilisé des arguments de droit des sociétés en disant que l’épouse était une associée de fait tant dans la manière de travailler que dans l’investissement de leur commerce et dans l’absence de lien de subordination.
L’idée est d’augmenter mon expérience et mes compétences crescendo afin d’accéder à des clients d’une certaine stature. Il faut une vraie connaissance de terrain du pénal et sur les groupes ou sur la pratique fiscale des entreprises pour avoir une vraie valeur ajoutée à proposer à des clients d’envergure dans les dossiers les plus complexes (prix de transfert, optimisation avec substance économique variée, etc.).
"L’idée est d’avoir une double compétence de pénaliste et de fiscaliste afin d’accompagner les plus grands contribuables et les plus grandes entreprises françaises"
Vous êtes membre de l’Institut des avocats conseils fiscaux. Sur quoi travaillez-vous ?
Nous avons réalisé une conférence sur le droit pénal fiscal il y a six mois et je suis intervenu sur les règles de proportionnalité en matière de sanctions fiscales et pénales. En France, il a été reconnu que le principe non bis in idem n’est pas un obstacle à ce qu’il y ait des sanctions pénales et fiscales à différentes conditions. Il faut notamment que les sanctions soient proportionnelles à la gravité des faits.
Je suis confronté à ce principe dans une affaire qui va bientôt être plaidée. Je souhaite réduire la sanction pénale (ou obtenir une relaxe) grâce à la sanction fiscale déjà obtenue. Pour cela, il faut que la sanction soit définitive sinon on ne peut pas utiliser l’argument de la proportionnalité du cumul des sanctions. Tout l’enjeu est de montrer que l’ensemble des sanctions est disproportionné compte tenu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de justice de l’Union européenne, les principes généraux du droit sur la proportionnalité des peines et des récents arrêts français. Il faut donc s’y connaître dans ces domaines et comprendre comment les sanctions fiscales set les autres sanctions associées s’articulent.
Le droit pénal fiscal connaît un fort développement. Comment l’expliquez-vous ?
D’abord, le droit pénal fiscal est une matière un peu à contre-courant, très mal perçue dans la population générale qui par ailleurs se radicalise. L’évasion fiscale, qui est un moyen d’optimisation fiscale légal, est souvent confondue avec la fraude fiscale, qui est illégale. Le développement du droit fiscal est lié à la moralisation et à la médiatisation de la fiscalité. La fiscalité représente 50 % des discussions politiques lors des élections. À travers la fiscalité, nous parlons de répartition, de justice dite sociale.
Il y a aussi une question de médiatisation du droit pénal fiscal. Le droit pénal fiscal étant une matière politique, il est traité avec un biais médiatique et idéologique important qui à mon sens influence le développement de la matière. Par exemple, les prix de transfert qui sont un domaine de la fiscalité (répartition des bénéfices au sein d’un groupe sous un angle économique) sont devenus un symbole de la fraude fiscale et sont presque confondus avec elle dans les médias. Il est évident que ce traitement peu qualitatif joue un rôle dans l’approche du droit pénal fiscal.
La fiscalité est un domaine fortement soumis aux idéologies. Or, pour qu’il y ait une véritable justice, il ne faut pas laisser place à l’idéologie (et sa radicalisation consubstantielle) et à la sacralisation. Lorsque les affaires sont médiatisées, le juge est bien souvent appelé par l’opinion publique (ou celle qui s’exprime) à entériner son propre point de vue et nous nous éloignons du droit, d’autant que l’opinion publique est elle-même influencée par le traitement médiatique de l’information.
Quels sont les risques selon vous de la pénalisation du droit fiscal ?
Le risque de la pénalisation du droit fiscal est de faire peser sur certains contribuables une partie substantielle de l’effort collectif de manière disproportionnée et d’entraîner des conséquences importantes y compris pénales sur leurs conseils.
"À travers la fiscalité, nous parlons de répartition, de justice sociale"
Quels sont les tendances et les enjeux que vous observez en droit pénal fiscal ?
La principale tendance est l’aggravation et la radicalisation dans le sens où c’est un domaine dans lequel les sanctions sont fortes et vraiment mises en œuvre.
L’enjeu principal est de remettre le droit et les faits au centre de la discussion. Le droit fiscal est une matière très politique et, de ce fait, davantage soumis à l’influence des idéologies et de la morale (lorsqu’elle est sincère). Il faut à mon sens avoir une réflexion collective à propos de la réalité de la valeur ajoutée résiduelle des services publics.
Pensez-vous avoir un rôle à jouer en tant qu’avocat dans la mise en place de cette réflexion ?
Mon rôle en tant qu’avocat s’exprime par une véritable faculté d’adaptation en fonction de chaque dossier et de chaque enjeu. Il s’agit de mesurer dans quel contexte s’inscrit chaque affaire. L’interprétation stricte du droit pénal qui devrait prévaloir n’est pas du tout adaptée à un domaine comme la fiscalité dans lequel les interprétations diffèrent selon le contribuable et l’administration fiscale et selon les pays.
Quand est-ce que cette vision des choses est-elle arrivée ?
Cela est lié à mon évolution de carrière. Je perçois la difficulté d’un directeur fiscal pour ce qui est de la communication et de la défense en matière fiscale et pénale. C’est un métier qui a beaucoup évolué ces dix dernières années, et en tant qu’ancien directeur fiscal, j’ai une sensibilité particulière aux problématiques complexes auxquelles font face les entreprises, à savoir la fiscalité et la culpabilisation française face à la concurrence étrangère. C’est un poids qu’ils essayent d’alléger avec une double contrainte : la volonté d’avoir des groupes français qui doivent réussir à triompher en France et à l’international et la pénalisation des actions qui n’est pas toujours justifiée.