Un transfert indirect d’actifs à l’étranger correspond à une transmission (cession, apport, etc.) à l’étranger entre entités étrangères, de droits sociaux (actions, parts, etc.) dans une entité qui détient directement ou indirectement des actifs situés dans un autre État. Aucun transfert de propriété des actifs « sous-jacents » (actions, permis, licences, droits immobiliers, contrats, etc.) n’étant juridiquement opéré localement, de nombreux États d’Afrique francophone ont progressivement intégré dans leur législation des dispositifs fiscaux spécifiques pour les appréhender. Ces nouveaux mécanismes, documentés par plusieurs travaux des organisations internationales (OCDE, FMI), sont particulièrement importants pour les entreprises internationales menant des opérations d’investissement ou de réorganisation.

C'est initialement par des procédures contentieuses fiscales que certains États, notamment d’Afrique, ont tenté de faire reconnaître leur droit d’imposer les transferts « indirects » d’actifs réalisés à l’étranger (voir les affaires emblématiques Zain v/ Ouganda, Heritage v/ Ouganda, Total SARL v/ Rwanda,Vodafone v/ Inde, Petro-tech v/ Pérou). Ces procédures, parfois infructueuses faute de dispositifs adaptés mis en place, ont conduit les États à modifier leur législation fiscale ces dix dernières années. À titre d’illustration, à la suite entre autres de la République du Congo (2014), du Gabon (2014), du Cameroun (2015), de l’Ouganda (2018), du Togo (2019), de la Mauritanie (2020), du Bénin (2022), du Rwanda (2022), le Tchad a intégré dans sa législation en 2023 une disposition générale permettant de taxer les plus-values de cession indirectes (art.77 du CGI).

Des critères de rattachement variés

Les principes traditionnels de territorialité de l’impôt frappant les plus-values (IS, IRPP ou RCM, selon les cas) n’étaient généralement pas satisfaisants pour imposer effectivement les transferts indirects ; des critères de rattachement spécifiques ont donc dû être introduits, notamment :

• Transfert indirect sans seuil de déclenchement

Certains États ont choisi d’imposer localement tout transfert de droits sociaux de personnes détenant directement ou indirectement tout ou partie d’une société établie localement (par exemple art.42 du CGI camerounais). Sauf commentaire administratif donnant plus de précisions, de telles dispositions n’instaurant aucun seuil de déclenchement risquent d’être interprétées de façon extensive comme visant toute transaction réalisée à l’étranger entre sociétés étrangères.

• Transfert indirect avec seuil de déclenchement lié à la composition de l’actif de la société cédée

D’autres législations s’attachent à analyser la composition de l’actif de la société dont les participations sont cédées : peuvent être visées les cessions de participations de sociétés dont l’actif est composé majoritairement, directement ou indirectement, de droits dans une société locale (cf. art.7 du CGI gabonais) ou d’actifs situés localement (par exemple biens immobiliers ou pétroliers, cf. art.100 du CGI mauritanien).

• Transfert indirect emportant « changement de contrôle » La notion de changement de contrôle (direct ou indirect) est parfois choisie comme critère de déclenchement (cf art.243 quater du CGI guinéen) ; un tel critère permet de ne viser que les transactions significatives et peut permettre d’exclure les simples réorganisations intra-groupe.

• Transfert indirect avec condition de déclenchement liée à une participation substantielle

À l’instar de l’article 244 bis B du CGI français, un niveau de participation « substantielle » du cédant (par exemple 25 %) peut être choisi comme condition de déclenchement (quel que soit le pourcentage transféré).

• Transfert indirect avec seuil de déclenchement lié au pourcentage cédé

Certaines législations prévoient la taxation des transferts indirects lorsque la participation cédée emporte le transfert indirect d’un certain pourcentage de détention dans une société locale. À titre d’exemple, le CGI mauritanien définitl es cessions indirectes comme les cessions « directe ou indirecte, égales ou supérieures à 10 % dans une personne morale » établie localement (art.120 du CGI mauritanien).

• Des dispositifs spécifiques dans les secteurs stratégiques (hydrocarbures, substances minérales, télécommunications, forêts, etc.)

Les transferts indirects d’actifs stratégiques, généralement exploités en vertu de concessions ou permis octroyés par les États, font souvent l’objet de dispositifs spécifiques : qu’il s’agisse d’une cession indirecte d’un permis ou d’une licence d’exploitation ou d’un changement de contrôle d’une entité détenant un tel permis ou licence, les modalités de taxation (champ d’application, fait générateur, assiette, taux, redevable) sont spécifiquement définies par les législations spécifiques (voir codes pétroliers du Cameroun, du Bénin, code minier du Tchad ou encore code des hydrocarbures du Gabon). Cette situation peut parfois aboutir à des conflits de normes complexes à appréhender (l’articulation avec les règles générales fixées par le CGI étant parfois délicate).

Des mécanismes parfois imparfaits et source d’insécurité juridique

Les problématiques posées sont souvent complexes et ne font pas toujours l’objet de commentaires administratifs, ce qui est source d’insécurité juridique. Quelques questions complexes auxquelles les entreprises sont confrontées :
• En présence d’une formulation générale du code général des impôts, doit-on considérer qu’une cession indirecte requiert par essence un changement de contrôle ? Quid des sociétés cotées faisant l’objet de cessions quotidiennes ? Quid des réorganisations intra-groupes (en l’absence de changement de contrôle) ?

• Quelle est l’assiette taxable : comment déterminer le coût d’acquisition et le prix de cession pour évaluer la plus-value ? Doit-on se référer aux actifs sous-jacents « indirectement » cédés (valeur comptable ?) ou aux droits sociaux transférés (intégralement ou à hauteur de la quote-part des actifs sous-jacents s’il y a des actifs d’autres États – choix fait par exemple par le Gabon et la Guinée) ?

• Qui est le redevable de l’imposition : cédant ou cessionnaire (non-résidents), société « cible » établie localement dont les droits/actifs sont indirectement transférés ; ce dernier choix est fait par plusieurs États pour assurer une effectivité de l’imposition, mais pose des questions complexes d’interaction entre les différentes normes (notamment l’interdiction pour une société de financer l’achat de ses propres actions – art 639 de l’AUSCGIE).

La nécessaire articulation avec les conventions fiscales

En présence d’une convention fiscale, le droit d’imposer est généralement exclusivement attribué à l’État du cédant, rendant inopérant le dispositif de droit interne d’imposition des transferts indirects, sauf si (compte tenu de la nature des droits cédés) des articles spécifiques permettent l’application du dispositif ; il s’agit notamment de savoir si : (i) les actifs/titres en cause répondent à la définition de biens immobiliers (imposables au lieu de situation) ou de titres de société à prépondérance immobilière ; (ii) la convention prévoit une clause de participation substantielle.

En matière de droits d’enregistrement

Les transferts indirects d’actifs peuvent également être soumis aux droits d’enregistrement (cf art.583 du CGI gabonais) aux taux prévus pour les cessions de valeurs mobilières, les cessions immobilières ou de fonds de commerce selon la qualification prévue en droit interne.

Sur l'auteur
François Nouvion est avocat au cabinet Nouvion Avocats. Ce dernier regroupe des experts en fiscalité internationale, intervenant en particulier dans le secteur de l’énergie et des infrastructures. Son savoir-faire est le fruit d’une expérience acquise en France mais également sur le continent africain où ses membres ont exercé localement plusieurs années en tant que conseils.

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