Il y a trente ans, cette diplômée de HEC cofondait Utopies, une agence de conseil en développement durable. Spécialiste de la question, elle estime que l’engagement pour le climat doit être fédérateur.
"Ne doutez jamais qu’un petit groupe d’hommes conscients et engagés puisse changer le monde." Cette citation de l’anthropologue Margaret Mead, Élisabeth Laville l’a faite sienne. La cofondatrice de l’agence en développement durable Utopies rappelle "la loi du petit nombre" : il est seulement nécessaire que 20 % d’une population adopte une nouvelle habitude pour que la majorité silencieuse finisse par se l’approprier. Si suffisamment de dirigeants d’entreprise venaient à transformer leur organisation pour répondre aux impératifs climatiques, la machine serait réellement en marche.
Question d'individus
Car la conduite du changement est d’abord et avant tout une question d’hommes et de femmes. "Dans les entreprises, ce sont souvent des personnalités qui essaient de faire bouger les lignes, constate Élisabeth Laville. Que cela relève d’une question d’individus est rassurant mais il y a un risque de retour en arrière lorsqu’ils s’en vont. Je considère qu’il faut environ 7-8 ans pour ancrer des pratiques responsables ou un ‘effet cliquet’ qui résiste au turnover." Cette diplômée de HEC a eu le temps d’analyser la question puisqu’elle accompagne depuis trente ans les entreprises et entités publiques dans leur conduite du changement.
Alors qu’Élisabeth Laville travaille dans le secteur de la publicité, sa professeure d’anglais lui soumet un article d’une revue alternative américaine sur le Sommet de la Terre de Rio. Très vite, elle se passionne pour la question et se lance dans des recherches sur les bonnes pratiques d’entreprises outre-Atlantique. Les échanges qu’elle a sur le sujet avec ses clients la confortent dans l’idée que des dirigeants y sont sensibles. Mais difficile d’avoir un impact sur les produits et la stratégie à travers la pub. Elle crée en 1993 avec une amie spécialisée dans les RH, une association baptisée Utopies, qui deviendra un cabinet de conseil un an plus tard.
Fixer un cap
Pourquoi Utopies ? Est-il utopique d’imaginer que les entreprises puissent réellement se transformer ? "Sans doute car parfois la réalité est têtue, estime l’entrepreneuse. Mais c’est une utopie qui vaut le coup d’être poursuivie - même si elle recule devant ceux qui s'y attèlent, c'est ce qui les fait avancer !" Pas de manichéisme chez Élisabeth Laville. Dès la création d’Utopies, elle rédige pour sa newsletter un article sur ce que les associations peuvent apporter aux entreprises et vice versa. "Méfions-nous de la pensée binaire. Il faut avoir le courage de la nuance pour faire naître une écologie qui rassemble, plutôt qu’une écologie qui divise", insiste la dirigeante.
Pionnière
Utopies a été la première entreprise en France à devenir B Corp, il y a de cela dix ans. Depuis, elle incite ses clients à faire de même. Le cabinet n’a pas été pionnier uniquement sur ce label. Dès ses débuts, il accompagne des groupes dans des démarches novatrices. Il aide Nature & Découvertes à rédiger sa première charte à mission mais aussi Lafarge et Carrefour à construire leurs premiers rapports RSE, à une époque où cela n’était pas du tout la norme.
"Ce qui me plaît le plus c'est de faire comprendre à des dirigeants qu'il faut évidemment changer de paradime, de récit, de discours... Mais qu'au-delà de la prise de conscience, il est urgent de traduire en actes ce qu'ils ont compris, confie Élisabeth Laville. C'est comme cela qu'agit un entrepreneur : il 'fait atterir' une vision du monde dans un projet concret et fédérateur, dans des produits ou services innovants, dans des modèles économiques qui changent le monde."
L’an dernier, le cabinet a mené 300 missions pour près de 200 clients. "Le secret de l’action, disait le philosophe Alain, c’est de s’y mettre." Et ne surtout pas attendre le bon moment, car il ne viendra jamais. Passionnée de sport de glisse, Élisabeth Laville dresse le parallèle entre les surfeurs qui prennent la vague et ceux qui la ratent. Mais les rouleaux sont si nombreux qu’il est toujours possible de se rattraper...
Olivia Vignaud