L’article 578 du Code civil définit l’usufruit comme le droit de jouir d’un bien dont un autre a la propriété. L’usufruitier d’un bien immobilier peut donc l’occuper ou le louer pour percevoir un loyer. L’usufruitier d’un portefeuille de valeurs mobilières encaisse les dividendes des actions et les coupons des obligations.

Certains biens ne produisent pas de revenus. C’est, par exemple, le cas d’une somme d’argent. Afin d’éviter que l’usufruitier d’une somme d’argent ne soit privé de tout droit, l’article 587 du Code civil prévoit que l’usufruitier peut s’en servir mais à charge de rendre au nu-propriétaire une somme équivalente à la fin de l’usufruit, c’est-à-dire pour un usufruit viager, au décès de l’usufruitier.

Sur le plan pratique, l’usufruitier d’une somme d’argent peut donc l’appréhender et la consommer comme s’il en était propriétaire. On parle alors de quasi-usufruit. L’obligation de restitution qui découle de cette appréhension fait naître, dans le patrimoine de l’usufruitier, une dette et donc une créance dans le patrimoine du nu-propriétaire que celui-ci fera valoir au moment du décès de l’usufruitier.

Faire donation d’une somme d’argent avec réserve d’usufruit n’emporte, dès lors, aucun dessaisissement immédiat pour le donateur qui reste en possession de la somme d’argent donnée.

Aussi, il est permis de s’interroger sur la validité d’une telle donation puisque l’article 894 du Code civil définit la donation comme "un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte".

C’est sur ce fondement que l’administration fiscale a contesté la donation d’une somme d’argent avec réserve d’usufruit consentie par une mère à ses deux fils.

Dans cette affaire, la mère avait consenti, le 30 décembre 2010, une donation d’une somme de 3 200 000 euros à ses deux fils, soit 1 600 000 euros pour chacun d’eux. La mère s’était réservé l’usufruit de la somme donnée sa vie durant. À la suite de son décès, survenu le 30 octobre 2015, une somme de 3 200 000 euros a été inscrite en passif de la déclaration de succession au titre de la dette de restitution envers ses deux enfants et seuls héritiers.

L’administration fiscale a rejeté cette déduction sur le fondement de l’abus de droit prévu à l’article L64 du Livre des procédures fiscales (LPF). Elle a considéré que la donation était fictive au motif qu’il n’y avait pas eu dessaisissement de la donatrice et que, par suite, cette dernière n’était pas animée d’une intention libérale.

 

Le comité en a déduit que la donation devait être considérée comme fictive

Le litige a donc été soumis au comité de l’abus de droit fiscal. Le comité, dans son avis rendu le 11 mai dernier, a relevé que l’article 587 du Code civil faisait de l’existence de la dette de restitution la conséquence de la constitution du quasi-usufruit et a considéré qu’une donation de somme d’argent avec réserve d’usufruit n’était pas nécessairement fictive.

En revanche, le comité de l’abus de droit a relevé, au vu des éléments produits par les héritiers, que la mère détenait au jour de la donation des liquidités à hauteur de 2 952 150 euros. Le comité en a déduit que la donation devait être considérée comme fictive à hauteur de la somme de 247 850 euros correspondant à la différence entre la somme donnée avec réserve d’usufruit (3 200 000 euros) et le montant des liquidités dont disposait la donatrice au jour de la donation (2 952 150 euros). Il n’est pas possible de donner ce que l’on ne détient pas. Le comité en a déduit que la donation ne pouvait conduire à hauteur de cette somme de 247 850 euros à la constatation d’une dette déductible de l’actif successoral.

Le comité a estimé, enfin, qu’en application de l’article 587 du Code civil, la dette de restitution, qui implique de remettre au nu-propriétaire, à l’expiration de l’usufruit, "soit des choses de même quantité et qualité, soit leur valeur estimée à la date de la restitution" a vocation, lorsque l’usufruit s’éteint par le décès de l’usufruitier, à être acquittée par l’ensemble de l’actif successoral. Le comité a relevé à cet égard que des donations consenties aux petits-enfants en mai 2013 avaient laissé subsister dans le patrimoine de la donatrice des avoirs suffisants pour assurer le remboursement de la dette de 3 200 000 euros et que ces donations n’avaient pas porté atteinte à l’obligation de conserver la substance de la somme d’argent donnée le 30 décembre 2010.

Le comité a estimé en conséquence que, dans les circonstances de l’espèce, l’administration était seulement fondée à mettre en œuvre la procédure de l’abus de droit pour réduire de 247 850 euros le montant de la dette déductible de l’actif successoral au titre du quasi-usufruit instauré par la donation du 30 décembre 2010.

Cet avis du comité de l’abus de droit fiscal semble donc valider les donations de somme d’argent avec réserve d’usufruit pour autant que le donateur possède, au jour de la donation, les liquidités correspondantes.

Précisons néanmoins que la procédure d’abus de droit permet à l’administration fiscale de contester un acte sur le fondement de la fictivité – c’est la voie utilisée dans cette affaire – mais également sur le fondement de la fraude à la loi. Cette seconde branche de l’abus de droit lui permet de remettre en cause un acte qui n’est pas fictif mais qui a été inspiré par un motif exclusivement, voire simplement principalement fiscal (articles L64 et L64 A du LPF).

Il n’est pas possible d’affirmer aujourd’hui que le comité aurait eu une position identique en présence d’une contestation d’une donation de somme d’argent avec réserve d’usufruit sur le fondement du but principalement ou exclusivement fiscal.

Par ailleurs, on ne peut exclure qu’une juridiction, appelée à se prononcer sur une donation de somme d’argent avec réserve d’usufruit, puisse avoir une approche différente de celle retenue par le comité de l’abus de droit.

Cela étant, relevons que sur une opération portant non pas sur une donation de somme d’argent avec réserve d’usufruit, mais sur donation de titres avec réserve d’usufruit suivie de la cession des titres donnés et de la mise en place d’un quasi-usufruit sur le prix de vente, le Conseil d’État a considéré, dans un arrêt du 10 février 2017, qu’il n’y avait pas abus de droit. Dans cette affaire, le Conseil d’État a considéré que le quasi-usufruit sur le prix de vente ne remettait pas en cause l’intention libérale du donateur qui restait redevable à l’égard des donataires, d’une créance de restitution équivalente au produit de la cession. 

Stéphane Jacquin, associé-gérant, responsable de l’ingénierie patrimoniale, Lazard Frères Gestion

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