Pour la seconde année consécutive, les associations de défense de l’environnement publient leur rapport sur l’état des émissions de CO2 des plus gros sites industriels français.

Après une première édition l’an passé, France Nature Environnement et le Réseau Action Climat ont étudié de près les émissions de CO2 des 50 sites industriels les plus polluants de l’Hexagone. Nous vous en résumons ici les points clés.

Des émissions en baisse, mais…

Premier constat : l’industrie a représenté en 2023 17,5 % des émissions de dioxyde de carbone françaises, quand les 50 plus grosses installations ont généré à elles seules 7,3 % des émissions nationales. Entre 2022 et 2023, les émissions issues de l'industrie ont baissé de 7,8 %. En rentrant un peu dans les détails, il apparaît que trois industries sont responsables de la grande majorité des émissions et présentent toutes des baisses : la chimie (-1,8 %), l’acier (-14 %) et la construction (-7 %). Des chiffres à première vue positifs, mais qui cachent en réalité des tendances qui le sont nettement moins. En effet, il s’agit d’un trompe-l’œil : la diminution des émissions est principalement due au ralentissement de l’activité économique française, et tout particulièrement à la crise qui touche actuellement le secteur de l’immobilier. Une baisse conjoncturelle et non structurelle donc, qui pourrait rapidement être renversée si le contexte venait à s’améliorer.

Parmi les autres enseignements du rapport, notons que, sous l’impulsion du gouvernement, une centaine de gros sites ont mis en place des feuilles de routes de décarbonation. Si ce mouvement est positif, ces plans d’action sont en revanche rarement rendus publics, et reposent surtout essentiellement sur des solutions technologiques. Les industriels préfèrent en effet souvent faire le pari de technologies de capture, dont la viabilité est questionnée, à des politiques de sobriété et de réutilisation, qui demandent des changements plus structurels.

La question des investissements nécessaires est aussi évoquée, puisqu’à ce jour seuls 27 milliards d’euros ont été trouvés, alors qu’il en faudra au moins 48 d’ici à 2050. Les aides publiques sont également épinglées, ou, plus précisément, le fait qu’elles soient très peu conditionnées à des obligations de la part des entreprises qui les reçoivent. Le rapport cite ainsi l’exemple du géant de la sidérurgie Arcelor Mittal, qui reçoit près de 850 millions d’euros d’aides publiques françaises, alors que le groupe continue de construire dans d’autres pays des infrastructures basées sur le charbon.

La question du coût social de la décarbonation reste en revanche peu explorée, avec un dialogue social virtuellement absent. Un paradoxe, alors que les réformes nécessaires auront inévitablement un impact sur l’emploi.

Un manque systémique de contrôles

Pour finir, les deux ONG regrettent que la question du carbone monopolise en quelque sorte l’attention et fasse passer sous silence les autres enjeux de pollution liés à l’industrie. Nombreux sont les déchets rejetés dans l’environnement, mais producteurs comme pouvoirs publics ignorent soigneusement certains sujets, comme celui des polluants éternels. Par ailleurs, le manque de moyens des instances de contrôle et les sanctions peu dissuasives ne poussent pas les industriels à rentrer dans les clous. Les amendes n’étant pas majorées en cas de récidives, certains sites enchaînent les infractions, sans être plus inquiétés que cela. Parmi les grands récidivistes, citons le site de Naphtachimie sur la plateforme Lavéra, à Martigues, qui, en plus d’être la troisième installation la plus émettrice de France, cumule des centaines d’infractions diverses et variées. Le site breton de Yara, numéro huit français des émissions de CO2, est également pointé du doigt pour des rejets d’ammoniac et d’azote bien supérieurs aux normes, et ce, depuis des années. Malgré condamnations et mises en demeure, l’industriel n’a toujours pas pris de mesures correctives.

Le rapport peint donc un tableau en demi-teinte de la décarbonation de l’industrie française. Le mouvement semble désormais lancé, mais il est encore loin d’être réellement efficace, en raison d’un manque de contrôles effectifs. Surtout, l’étude met en évidence un risque important : celui de se concentrer uniquement sur l’empreinte carbone et d’utiliser la baisse de cette dernière comme cache-misère pour occulter les nombreuses autres problématiques environnementales liées au secteur industriel.   

François Arias