Au cœur du débat public, le financement de la transition agricole, souvent l’apanage de fonds souverains, passera-t-il aussi par l’intervention du private equity ? Les fonds ne s’y trompent pas et s’intéressent de plus en plus à la filière

L'agriculture a fait une entrée tonitruante dans l’agenda politique début 2024 avec la "colère des agriculteurs" exprimée à travers des manifestations un peu partout dans l’Hexagone. Le secteur s’inscrit pourtant depuis plusieurs années dans les revues de portefeuilles des investisseurs. Amundi, leader européen de la gestion d’actifs, vient d’annoncer, en partenariat avec le groupe Crédit Agricole, le lancement d’un programme d’investissement en dette privée pour " financer la transition du secteur agricole et agroalimentaire en Europe", avec un objectif de collecte de 750 millions d’euros. Le même groupe bancaire, spécialiste du secteur a créé avec le fonds deeptech Supernova Invest, un véhicule de capital innovation de 100 millions d’euros dédiés à l’agri-agro tech en novembre dernier. Plus récemment, le fonds FrenchFood Capital est monté à 400 millions d'euros d’actifs sous gestion avec l’arrivée à son capital de Sofiprotéol. Un intérêt manifeste de la part des sociétés de gestion qui retentit dans le secteur.

Le secteur dispose d’un fort potentiel d’innovation aussi bien technologique que scientifique 

Valeur refuge

L’agriculture est soumise aux aléas climatiques et réglementaires, mais elle bénéficie d’atouts solides pour des investisseurs en recherche de valeurs refuges dans un contexte économique incertain. Le secteur, qui dispose d’un fort potentiel d’innovation aussi bien technologique que scientifique, indispensable pour rendre les exploitations plus vertes dans un contexte de transition durable, séduit les fonds. Le secteur agricole garantit une certaine stabilité du fait de revenus liés à un besoin de consommation incompressible : l’alimentation. Avec l’inflation, la part de budget consacré par les ménages à ce poste de dépense est même passée de 20% à 22% entre 2019 et 2022 d’après l’Insee.

"les entrepreneurs de la filière ont besoin de financement mais aussi de conseils pour faire face aux bouleversements" (Laurent Plantier, FrenchFood Capital)

Besoin d’investissement

Malgré un déclin souvent pointée du doigt, l’Insee estimait la production agricole française à 95,5 milliards d'euros en 2023. Un potentiel insuffisamment exploité pour la Banque européenne d’investissement (BEI) qui évalue entre 19,8 et 46,6 milliards d’euros les déficits de financement dans le secteur agricole et à plus de 12,8 milliards d’euros ceux dans l’agroalimentaire. Un constat qui a été déterminant lors de la création de FrenchFood Capital en 2027. Laurent Plantier, son cofondateur et associé, précise que l'équipe a décidé de lever un fonds après plusieurs constats. "La profondeur de marché des industries agricole et agroalimentaire est colossale. L’évolution des modes de consommation associée à l’augmentation de la population demandait d’apporter des solutions d’alimentations adaptées. En parallèle, les entrepreneurs de la filière ont besoin de financement mais aussi de conseils pour faire face aux bouleversements climatiques en adaptant les productions et les exploitations". Le fonds a d’ailleurs récemment cédé à un groupe industriel la société Les 2 Marmottes après avoir travaillé son repositionnement. En plus d’avoir concentré le nombre de références, réduit les emballages, l’investissement a permis de mettre en avant l'approvisionnement soigné et local de la marque d’infusions et de tisanes.

Aujourd’hui, parce qu’ils apparaissent comme une alternative au financement immobilier, ce sont les actifs fonciers qui attirent le plus d’investissements.

Travail de fonds

Un travail d’accompagnement qui doit se faire dès la base pour permettre de répondre efficacement aux besoins de transformation de la filière. "Le monde financier est mature pour investir dans la santé par exemple mais dans l’agritech, la maturité des investisseurs est encore insuffisante, les fonds arrivent généralement en série A, avant il n’y a pas encore assez d’acteurs", expliquent Priscilla Rozé-Pagès et Antoine Coutant, fondateurs d’Agrilife Studio. Première start-up dédiée à l’agritech en France, qui a récemment bouclé un tour de table de 25 millions d’euros pour aider des start-up répondant aux enjeux de l’agriculture de demain.

Aujourd’hui, parce qu’ils apparaissent comme une alternative au financement immobilier, ce sont les actifs fonciers qui attirent le plus d’investissements. En Espagne, les fonds ont acquis pour 2 milliards d’euros de terrains en 2023. En France, le sujet de l’encadrement des prises de participation des sociétés d’investissement dans les terres agricoles est à l’ordre du jour du dernier projet de loi d’orientation agricole. Désormais, même s’ils semblent plus intéressés par la terre que par la tech, la place prise par le private equity dans le secteur agricole ne cesse de croître.

Céline Toni