H. Denis (AFA) : "L'AFA a aussi pour rôle d'entraîner les pays moins avancés que nous en matière d'anticorruption"
Décideurs. Vous êtes ingénieur de formation et vous avez évolué pendant près de dix ans au sein de l’ACPR. Pour quelles raisons avez-vous choisi de rejoindre l’Agence française anticorruption ?
Hélène Denis. Tout d’abord, en travaillant chez le superviseur des banques et des assurances, j’ai contrôlé des entreprises du secteur financier, secteur très régulé. J’ai appris à fonder un avis nuancé et global sur leur situation et sur leurs risques, en interagissant à tous les niveaux des entreprises, et en entretenant des relations suivies avec elles. Le contrôle prudentiel d’une entreprise du secteur financier est étroitement lié à sa stratégie : il faut donc comprendre l’entreprise dans sa globalité et comment les décisions sont prises. Finalement, c’est un peu la même chose pour les règles anticorruption : les obligations sont des mesures de régulation de la politique commerciale des entreprises sur le marché domestique comme à l’international. Vous devez chercher à comprendre la stratégie d’une société, les déterminants de sa rentabilité sur ses marchés et les processus décisionnels pour en déduire les risques qui pèsent sur les opérations commerciales, et apprécier le système de gestion des risques mis en place. La compétence de contrôle global d’entreprises privées était nouvelle pour l’AFA à sa création, tout en étant rare dans l’administration.
J’ai également travaillé dans le secteur privé, ce qui me permet d’avoir une idée concrète des défis opérationnels posés par les réglementations et de porter, dans l’exercice de mes fonctions, une attention particulière à chercher le meilleur rapport coûts/bénéfices de ce que nous demandons aux entreprises. En 2020, l’AFA cherchait un directeur adjoint qui incarne davantage l’équilibre entre la justice et l’économie, pour faire écho à sa double tutelle entre le ministère de l’Économie et des Finances et le ministère de la Justice. J’ai alors fait acte de candidature et je suis désormais ravie de pouvoir apporter mon expérience à l’Agence.
Quel bilan tirez-vous de vos premiers mois au sein de l’Agence ? Quelles sont vos ambitions ?
L’AFA a su très rapidement s’imposer dans le paysage de l’anticorruption. Tous ceux qui ont à la connaître la connaissent, sur le plan national comme international. C’est visible et frappant. L’AFA reste toutefois une structure jeune qui doit poursuivre sa consolidation et son chemin vers la maturité. S’agissant du contrôle, nous devons poursuivre nos efforts déjà engagés en favorisant la réalisation de contrôles plus courts et plus concentrés, en visant toujours l’appréciation globale et nuancée de la qualité des dispositifs mis en place par les entreprises.
Nous devons également continuer à faire émerger les bonnes pratiques observées dans les contrôles, ce que l’expérience accumulée nous permet de faire de plus en plus. J’ai remarqué que les entreprises et leurs représentants, ainsi que les avocats en sont très demandeurs. L’AFA a désormais quatre ans d’existence.
Nous passons maintenant de la mise en oeuvre d’une réglementation nouvelle, avec la nouveauté du contrôle préventif de dispositifs anticorruption, à l’accumulation d’une certaine expérience qui nous permet d’en faire des retours aux acteurs que nous contrôlons, ce qui leur permet à leur tour de connaître les meilleures pratiques en vue de se positionner et, le cas échéant, améliorer les leurs.
"J’espère que les évaluateurs de l'OCDE noteront le grand pas que nous avons fait depuis 2012 avec la création du PNF et l’entrée en vigueur de
la loi Sapin 2"
Je remarque également que les acteurs publics sont moins avancés en matière d’anticorruption que les entreprises. Au-delà des effets purement culturels et de l’écosystème qui se compare difficilement à une grande entreprise présente sur des marchés internationaux, les mesures internes qu’on leur demande de mettre en place ne sont pas définies par le législateur, ce qui tient de la complexité et de la variété des structures et d’absence de possibilité de sanctionner un manquement. En outre, les moyens humains de l’administration ne se déploient pas de la même façon que ceux d’une très grande entreprise.
Enfin, je formule ici le voeu que le prochain plan pluriannuel de lutte contre la corruption, qui consigne notre politique nationale de lutte contre la corruption et dont l’AFA a la charge de l’élaboration, soit plus ambitieux et ainsi mieux aligné avec les standards internationaux.
Quels sont les points importants à retenir du rapport annuel d’activité 2020 de l’AFA ?
L’année passée a été charnière pour l’AFA qui prend un virage avec ce rapport en comparaison de celui des années précédentes. On y montre, à la lumière de nos contrôles, que le référentiel anticorruption se diffuse dans les entreprises. Ces dernières assimilent en effet de mieux en mieux les obligations qui leur sont faites et mettent en place une véritable culture de l’anticorruption. En revanche, le chemin est plus long pour les acteurs publics. Dans les années à venir, nous comptons affiner davantage nos exigences envers eux afin de définir des obligations proportionnées et adaptées à la nature ainsi qu’au profil de risques de ces entités. Aujourd’hui, nous n’avons que les recommandations pour le faire alors que les grandes entreprises ont un article de la loi Sapin 2 qui leur est spécifiquement consacré.
Début 2021, nous avons publié de nouvelles recommandations qui ressortent des quelques années d’expérience de l’AFA. L’interaction que nous avons avec les dirigeants d’entreprise nous permet de mieux comprendre leurs problématiques et de proposer de nouvelles bonnes pratiques. Pour contrôler, il faut également savoir de quoi l’on parle. Nous nous inscrivons dans une démarche d’écoute et de compréhension mutuelle avec les entreprises.
Comment s’est passée l’évaluation de la France dans le cadre de la Convention OCDE ?
La France avait été évaluée en 2012 et les résultats étaient alors mitigés. Nous avons de nouveau été évalués en 2020-2021 et l’instruction s’est déroulée en deux temps : d’abord une phase écrite puis une phase de visite de l’OCDE, qui s’est achevée au printemps. Cette visite a été l’occasion pour les évaluateurs de rencontrer sur place toutes les parties prenantes, c’est-à-dire les acteurs publics concernés par la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers et des personnes de la société civile intéressées par ces questions, comme les entreprises ou les ONG.
J’espère que les évaluateurs noteront le grand pas que nous avons fait depuis 2012 avec la création du PNF, l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2 qui a créé des mécanismes internes de prévention dans les entreprises et les administrations, contrôlés par l’AFA. La loi Sapin 2 a également renforcé les outils de détection et de répression des faits de corruption, notamment au moyen de la création de la CJIP et d’un statut unique du lanceur d’alerte plus protecteur.
"Les acteurs publics sont moins avancés en matière d’anticorruption que les entreprises"
Mais nous pouvons encore faire certainement des progrès, notamment en matière de détection de la corruption, en faisant appliquer les dispositifs existants et en en faisant évoluer d’autres. Un rapport d’information parlementaire a été publié début juillet avançant un certain nombre de propositions intéressantes qui pourront nourrir le débat public et nous permettre de faire un pas de plus dans notre politique anticorruption.
L’AFA a signé des protocoles de coopération avec l’AMF, le PNF et la HATVP. Ont-ils déjà porté leurs fruits ?
L’AFA travaille en étroite collaboration avec le Parquet national financier (PNF) avec lequel nous formons un tandem sur les affaires de corruption. Les points de contact entre nos missions respectives se trouvent à deux endroits : lorsque le PNF, saisi d’une affaire de corruption, entre dans une démarche de négociation d’une CJIP avec une entreprise et envisage de lui proposer un programme de mise en conformité ; et lorsqu’il s’agit de contrôler la mise en place de ce programme en exécution d’une CJIP, l’AFA intervient systématiquement, agissant alors en tant que prestataire du PNF pour vérifier leur bonne mise en place.
Nous avons également des protocoles plus ad hoc, notamment avec l’AMF et la HATVP avec qui nous échangeons de bonnes pratiques. L’AFA a également signé en 2020 un protocole avec la direction centrale de la police judiciaire dont l’interlocuteur privilégié est l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF). L’Agence participe par ailleurs au Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (Colb) qui assure la coordination entre services de l’État et autorités de contrôle concernés par la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Où en êtes-vous dans vos collaborations sur le plan international ?
En 2020, l’AFA a établi de nouveaux partenariats opérationnels et signé quatre protocoles de coopération avec le Bureau de l’intégrité et l’anticorruption (Piac) de la Banque africaine de développement, le Bureau de l’inspecteur général de la Colombie (PGN), le Commissaire à la lutte contre la corruption du Québec (CLCC) et la Commission anticorruption de l’Autorité palestinienne (PACC) afin d’échanger sur les bonnes pratiques de détection et de prévention de la corruption. Nous avons également reçu quelques délégations étrangères pour leur présenter le dispositif français anticorruption et organisé un certain nombre de réunions techniques avec des autorités et des représentants de la société civile en provenance de diverses régions du monde. L’AFA a pour rôle d’entraîner les pays moins avancés que nous en matière d’anticorruption, en leur expliquant notre modèle. Pendant un an, l’AFA a par ailleurs été à la tête du réseau des autorités de prévention de la corruption (réseau NCPA) avant de céder sa place en 2021, conformément aux statuts, et en devenir vice-président. D’autres collaborations pourraient également voir le jour, notamment dans le cadre de la création récente du parquet européen, qui pourrait donner de nouvelles perspectives si elle donnait lieu, dans un plus moyen terme, à l’émergence d’un outil de justice négocié sur le plan européen, à l’image de la CJIP, afin de faciliter le règlement des affaires de corruption transnationale.
Propos Recueillis par Margaux Savarit-Cornali