Plus transparent et plus exigeant, le label ISR se renouvelle. Pierre Chabrol, Sous-directeur du financement des entreprises et du marché financier et marché financier à la Direction Générale du Trésor, nous décrit les évolutions et les perspectives d’un label qui fête ses 5 ans en 2021.

En quelques années, le label ISR est entré dans une autre dimension. Comment expliquer et gérer cette mise en lumière et son lot de critiques ?  

La prise de conscience des enjeux environnementaux de ces dernières années, notamment avec l’Accord de Paris sur le climat, a contribué à la nette augmentation des épargnants voulant "donner du sens" à leur investissement. Dans le même temps, il y a eu un très fort développement de l’offre des sociétés de gestion, qui ont au fil des ans affiné leur méthodologie. Il fallait donc garantir la fiabilité de l'information aux épargnants. Il existait alors des labels purement privés sans lien avec l’État. Le fait que le label ISR soit un label d’Etat, le premier du genre en Europe, a donné une forte confiance aux investisseurs sur son sérieux. Beaucoup d’autres pays s’en sont ensuite inspirés. L’arrivée de la loi Pacte en mai 2019 a participé à la forte croissance des fonds labellisés en 2020. Le chiffre des encours sous gestion labellisés ISR a quasiment doublé en un an pour atteindre 572 milliards d’euros aujourd’hui, avec 753 fonds eux-mêmes détenus par 142 sociétés de gestion (chiffres en date du 30 août 2021). On est passé d’un label de niche à un label central pour la gestion ESG et il a donc fallu le faire évoluer, renforcer sa lisibilité et réviser sa gouvernance. La réforme engagée en mars dernier par les ministres, Bruno Le Maire et Olivia Grégoire, vise à répondre à cette nécessité de continuer à renforcer la lisibilité du label auprès des épargnants. Jusqu’à ce jour, la vie quotidienne et les travaux relatifs au label ISR étaient assurés par la Direction Générale du Trésor en lien avec l’AFG, le Forum pour l’Investissement Responsable (FIR) et l’ASPIM. Conformément aux recommandations de l’IGF, il est nécessaire de faire évoluer la gouvernance du label. Il faut également assurer la cohérence du label ISR avec le corpus règlementaire européen qui s’est construit autour des problématiques ESG ces dernières années, avec notamment de nouvelles obligations en termes de reporting. 

L’engagement actionnarial a pris une place prépondérante chez les épargnants. Qu’est-ce la récente évolution du cahier des charges du label ISR mise en place, il y a presque un an, apporte ?  

Le label ISR ne peut fonctionner que si l’on développe précisément un engagement actionnarial par lequel les sociétés de gestion s’engagent à développer un dialogue nourri, régulier, ambitieux et exigeant avec les dirigeants d’entreprises dans lesquelles elles investissent. C’est l’un des axes principaux qui est vérifié par les certificateurs. Le pilier numéro quatre du label ISR porte précisément sur la politique d’engagement ESG : les sociétés de gestion doivent démontrer qu'elles ont mis en œuvre des démarches ambitieuses et que leurs interventions au sein des organes des entreprises, notamment à l’occasion des assemblées générales, sont proactives et influencent leurs politiques ESG. La transparence est l’un des sujets sur lequel on a cherché à être plus exigeant et l’une des modifications introduites par la réforme a été de demander aux sociétés de gestion de publier systématiquement les votes relatifs aux résolutions présentées aux assemblées générales pour que les épargnants et les investisseurs voient très concrètement si l’attitude de la société de gestion est conforme à l’engagement ESG qu’elle affiche lorsqu’elle commercialise un fonds ISR. 

"Avec l’AMF nous serons très vigilants pour éviter tout greenwashing ou impactwashing "

Le label ISR demande une démonstration de la performance ESG aujourd’hui, la mesure de l’impact de la gestion ISR est-elle la prochaine étape ? 

Les sociétés de gestion doivent en effet démontrer chiffres à l’appui que les sociétés qui sont dans leur portefeuille ont un résultat meilleur, sur deux critères ESG, que les sociétés qui figurent dans un univers d’investissement comparable. La collecte des données reste l’une des difficultés rencontrées par les sociétés de gestion. Car, pour être capable de mettre en place des indicateurs de suivi et des notes ESG, il faut effectivement des données fines qui remontent des entreprises de leur portefeuille ou de l’univers d’investissement dans lequel elles vont sélectionner les entreprises. Cette démonstration de la performance est aussi un premier pas (même si on n’y est pas encore) vers une démonstration de l'impact de la gestion ISR. Aujourd’hui le label ISR n’est pas un label d'impact. Si certains fonds labellisés ISR sont déjà des fonds à impact, il y a encore des travaux à poursuivre pour pouvoir démontrer et mesurer que votre fonds ISR ou ESG a eu un impact sur l’environnement ou la société. Des travaux sont en cours pour définir avec l’ensemble des acteurs de la place un référentiel pour mesurer l’impact d’un fonds. La définition d’un investissement à impact est un enjeu très important. Avec l’AMF, nous serons vigilants sur la définition et la mise en place de ce référentiel pour éviter tout greenwashing, ou impactwashing.  

Le référentiel du label n'impose pas d'exclusion sectorielle, comment l’expliquez-vous ? 

Depuis sa création, la philosophie du label est d’être un instrument d’accompagnement de la transition, pour une économie plus durable. Tous les secteurs de l’économie doivent et peuvent être concernés par cette transition, et à ce titre, le label ISR peut être un instrument utile. Se dire qu’il est préférable que des gestionnaires ayant des objectifs ESG investissent dans des entreprises, peut-être moins vertueuses, mais avec l’objectif de les faire évoluer plutôt que de les extraire du champ d’investissement possible, est un raisonnement qui reste d’actualité et qui garde sa pertinence, mais qu’il faut parfois réexpliquer. Enfin, il faut rappeler que les sociétés de gestion mettent souvent elles-mêmes en place leurs propres politiques d’exclusion sectorielle. 

Pouvez-vous revenir sur l'extension du champ des fonds labellisables au secteur immobilier ? 

C'était un projet de longue date porté par l'ASPIM qui a beaucoup œuvré pour décliner à l’immobilier le label ISR. Un important travail a été mené en lien avec la Direction Générale du Trésor et l’AMF pour rédiger le référentiel de la déclinaison immobilière du label ISR. Si les six piliers du label ISR ont été repris, la méthodologie a quelque peu évolué. En effet, l’immobilier se prête bien à une gestion ISR ; les critères sélectionnés sont souvent assez "parlants" pour les épargnants. Les sociétés de gestion d’actifs en immobilier sont ainsi tenues de montrer les résultats qu’elles ont obtenu en matière de performance énergétique des bâtiments ou d’émission de gaz à effet de serre. Les sociétés de gestion nous ont fait part du véritable engouement de la part de leurs collaborateurs qu’a suscité le lancement de la déclinaison à l’immobilier du Label ISR et de la mise en place en interne d’une démarche de labellisation de leurs fonds immobiliers, constituant de véritables projets d’entreprise. Aujourd’hui, il y a déjà une vingtaine de fonds labellisés dans l'immobilier (chiffres aout 2021).  

Propos recueillis par Sandy Andrianabiby 

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