« C’est ma première plaidoirie… et mon premier échec »
Une journée particulière avec… Henri Leclerc
« Je le jure ! » Décembre 1955, Henri Leclerc vient de prêter serment, il a à peine 21 ans. Au printemps suivant, un de ses amis de lycée vient le trouver : « Henri, j’ai besoin de ton aide. J’ai fait une bêtise, je suis poursuivi pour outrage public à la pudeur devant le tribunal de Bellac. » L’avocat accepte de le défendre. « J’étais ravi de plaider pour la première fois à Bellac car je suis originaire du Limousin. Les faits étaient cocasses. Mes clients, en vacances dans la ferme du grand-père de l’un d’entre eux, avaient une formation de jazz. À la fin d’une soirée, ils ont joué de la trompette dans la fontaine de la ferme… tout nus ! »
Le jeune Henri Leclerc se met au travail et prépare assidument pendant plusieurs semaines ce premier dossier. « Mon père avait une vieille Traction que je lui empruntai pour me rendre à Bellac ». L’avocat fait le trajet avec un de ses amis espagnols se rendant dans le Limousin. « Sur la route nous avons crevé et nous avons changé nous-mêmes la roue. Nous sommes arrivés à Bellac recouverts de cambouis ! »
Vers 13 heures, la voiture pétarade dans la ville et se gare. Les deux amis rejoignent les clients d’Henri Leclerc qui les attendent sur la place. La petite bande se dirige vers la seule auberge de la place, pleine à craquer. « Mes pauvres enfants, je n’ai rien pour vous à cause du procès. Regardez, ces messieurs ont tout pris. Mais j’ai des restes ! », leur lance la patronne. Les jeunes gens sont ravis, ils dévorent des pâtés de pommes de terre entamés, des reliquats de civet de lapin arrosés d’un vin de Verneuil.
À la fin du gueuleton, le jeune avocat commence à s’inquiéter. « L’audience devait être à 14 heures et l’angoisse de la première fois commençait à me gagner. » L’aubergiste intercepte son regard inquiet et lui entrouvre la porte de la pièce où se sustentent les juges. « Ils étaient bien rouges, ils avaient bien bu et ils étaient loin d’être en route pour le tribunal. »
Consciencieux, le tout jeune avocat se dirige tout de même vers le tribunal de grande instance de Bellac. « Je n’avais qu’en tête de répondre à la question posée qui était de savoir si oui ou non l’exhibition était publique. » La déception est grande quand il apprend que les gendarmes qui ont rédigé le procès-verbal ne seront pas présents : « J’avais préparé des questions perfides ! »
À 17 heures, l’audience débute enfin. Le président, perplexe, demande aux prévenus pourquoi ils se trouvaient nus dans une fontaine en jouant de la trompette, « Nous ne pensions pas qu’il était possible de nous voir de la route, se lamentent-ils. Personne ne passe jamais par-là. » Puis, c’est au tour d’Henri Leclerc. « Maître, soyez bref », lui intime le président. Mais c’est qu’il prépare son intervention depuis des semaines ! Il a ciselé, répété chaque mot d’une plaidoirie truffée de citations de Giraudoux, « car nous étions dans le Limousin ». Notre plaideur a à peine le temps de bafouiller cinq mots que le président se penche vers son voisin de gauche puis de droite… « À cet instant je devine les premiers signes d’impatience des magistrats et me dépêche de terminer mon intervention. » Ses clients sont condamnés à une amende. « Nous n’avons pas fait appel et je suis reparti dépité. J’ai eu l’impression de n’avoir servi à rien », se souvient l’avocat.
« Ce jour-là, j’ai appris qu’il ne fallait jamais donner à une affaire plus d’importance qu’elle n’en avait réellement, et surtout que les juges n’attendaient pas de belles plaidoiries. Ils évacuent les affaires le plus rapidement possible. Cependant il faut travailler sans relâche et ne jamais désespérer », confie le pénaliste cité comme une référence par plusieurs générations d’avocats.
Camille Drieu
Le jeune Henri Leclerc se met au travail et prépare assidument pendant plusieurs semaines ce premier dossier. « Mon père avait une vieille Traction que je lui empruntai pour me rendre à Bellac ». L’avocat fait le trajet avec un de ses amis espagnols se rendant dans le Limousin. « Sur la route nous avons crevé et nous avons changé nous-mêmes la roue. Nous sommes arrivés à Bellac recouverts de cambouis ! »
Vers 13 heures, la voiture pétarade dans la ville et se gare. Les deux amis rejoignent les clients d’Henri Leclerc qui les attendent sur la place. La petite bande se dirige vers la seule auberge de la place, pleine à craquer. « Mes pauvres enfants, je n’ai rien pour vous à cause du procès. Regardez, ces messieurs ont tout pris. Mais j’ai des restes ! », leur lance la patronne. Les jeunes gens sont ravis, ils dévorent des pâtés de pommes de terre entamés, des reliquats de civet de lapin arrosés d’un vin de Verneuil.
À la fin du gueuleton, le jeune avocat commence à s’inquiéter. « L’audience devait être à 14 heures et l’angoisse de la première fois commençait à me gagner. » L’aubergiste intercepte son regard inquiet et lui entrouvre la porte de la pièce où se sustentent les juges. « Ils étaient bien rouges, ils avaient bien bu et ils étaient loin d’être en route pour le tribunal. »
Consciencieux, le tout jeune avocat se dirige tout de même vers le tribunal de grande instance de Bellac. « Je n’avais qu’en tête de répondre à la question posée qui était de savoir si oui ou non l’exhibition était publique. » La déception est grande quand il apprend que les gendarmes qui ont rédigé le procès-verbal ne seront pas présents : « J’avais préparé des questions perfides ! »
À 17 heures, l’audience débute enfin. Le président, perplexe, demande aux prévenus pourquoi ils se trouvaient nus dans une fontaine en jouant de la trompette, « Nous ne pensions pas qu’il était possible de nous voir de la route, se lamentent-ils. Personne ne passe jamais par-là. » Puis, c’est au tour d’Henri Leclerc. « Maître, soyez bref », lui intime le président. Mais c’est qu’il prépare son intervention depuis des semaines ! Il a ciselé, répété chaque mot d’une plaidoirie truffée de citations de Giraudoux, « car nous étions dans le Limousin ». Notre plaideur a à peine le temps de bafouiller cinq mots que le président se penche vers son voisin de gauche puis de droite… « À cet instant je devine les premiers signes d’impatience des magistrats et me dépêche de terminer mon intervention. » Ses clients sont condamnés à une amende. « Nous n’avons pas fait appel et je suis reparti dépité. J’ai eu l’impression de n’avoir servi à rien », se souvient l’avocat.
« Ce jour-là, j’ai appris qu’il ne fallait jamais donner à une affaire plus d’importance qu’elle n’en avait réellement, et surtout que les juges n’attendaient pas de belles plaidoiries. Ils évacuent les affaires le plus rapidement possible. Cependant il faut travailler sans relâche et ne jamais désespérer », confie le pénaliste cité comme une référence par plusieurs générations d’avocats.
Camille Drieu