La nouvelle chambre de la cour d’appel de Paris consacrée aux contentieux émergents liés au devoir de vigilance et à la responsabilité écologique vient de juger recevables les actions engagées par des défenseurs de l’environnement contre TotalEnergies et EDF. Contrairement à celle intentée contre Suez.

Nouveau rebondissement dans le contentieux lié au devoir de vigilance. La chambre 5-12 de la cour d’appel de Paris vient de se prononcer dans le cadre de l’appel de trois décisions du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris. Si l’assignation délivrée à Suez ne passe pas l’épreuve de son analyse, les actions intentées contre TotalEnergies par des associations (Sherpa, Les Eco Maires, ZEA, France Nature Environnement, Amnesty International France) et 15 collectivités territoriales, et contre EDF par des représentants d’Unión Hidalgo, de l’organisation mexicaine ProDESC et du Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains (ECCHR), sont recevables. “Victoire pour le climat !!!”, se réjouit sur le réseau social LinkedIn François de Cambiaire, l’avocat des parties au procès contre le pétrolier, “il y aura un procès climatique contre TotalEnergies pour son manquement à son devoir de vigilance et le préjudice écologique résultant de ses émissions et de sa non-conformité à l’accord de Paris”. Pour Sherpa, l'une des associations de la coalition qu'il accompagne, cette décision sonne le glas de l'interprétation restrictive de la loi qui offrait une “échappatoire aux entreprises”, “à rebours de l’objectif poursuivi par le législateur de faciliter l’accès à la justice pour les victimes de violations de droits humains et d’atteintes à l'environnement”. 

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 Assignations valides

Pour la chambre inaugurée en janvier 2024, les demandeurs ont assigné TotalEnergies et EDF dans les règles de l’art, contrairement à ce qu’avait retenu le juge de la mise en état. Comprendre : la loi sur le devoir de vigilance exige comme préalable à toute action, sous peine d’irrecevabilité, une mise en demeure qui identifie de façon claire les manquements reprochés aux sociétés et qui les interpelle suffisamment pour leur permettre de se mettre en conformité dans un délai de trois mois. “Ce qui a été le cas en l’espèce”, explique le communiqué de presse de la cour d’appel. Pour rappel, la mise en demeure en juin 2019 puis l'assignation en janvier 2020 de TotalEnergies visaient à contraindre la compagnie pétrolière à prendre les mesures nécessaires pour s’aligner avec l’objectif 1,5°C de l’Accord de Paris, conformément à la loi relative au devoir de vigilance. En juillet 2023, le juge de la mise en état, Antoine de Maupéou,  avait déclaré l'action irrecevable. Les deux autres actions portaient sur des manquements au devoir de vigilance dans le cadre d'un projet de construction par EDF d'un parc éolien sur des terres ancestrales au Mexique et de la pollution des eaux potables de tout un village au Chili par une filiale de Suez. Elles avaient également été bloquées au stade de la recevabilité.

Dans ses décisions de juin 2024, la cour d'appel donne tort aux deux entreprises françaises qui prétendaient que la mise en demeure et l’assignation devaient viser le même plan de vigilance. “Si les assignations en justice devaient concerner en substance les mêmes obligations que celles ayant fait l’objet de la mise en demeure, il n’était en revanche pas exigé que l’assignation en justice et la mise en demeure visent le même plan de vigilance en termes de dates.” Peu importe que les associations aient visé un plan de vigilance de 2018 ou de 2022, pourvu qu’elles aient évoqué dans leur mise en demeure et leur assignation les mêmes obligations qui pèsent sur TotalEnergies et EDF en vertu de la loi sur le devoir de vigilance. La nouvelle chambre s'oppose au juge de la mise en état sur une autre question importante. Pour elle, l’action peut se fonder à la fois sur le devoir de vigilance et sur le préjudice écologique de l'article 1252 du Code civil. 

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 Pas d’intérêt à agir pour les collectivités locales

Autre point éclairci par l'affaire TotalEnergies : celui de l’intérêt à agir. Toute personne qui présente un intérêt à agir peut saisir le juge, et ce, même si elle n’est pas l’auteur de la mise en demeure. Si cette analyse a conduit les juges à déclarer certains demandeurs recevables à agir dans l'affaire TotalEnergies, elle a aussi exclu de l’action les collectivités territoriales (Bayonne, Nanterre, Grenoble...). Pour la cour, “seule la démonstration d’un intérêt public local et non d’un intérêt public global leur conférerait le droit d’agir”. Elle adhère ici au raisonnement des entreprises attaquées et exige que, face à un danger qui plane au-dessus de l’ensemble de la planète, ces collectivités locales prouvent “une atteinte spécifique ou un retentissement particulier du risque sur leur territoire”. Une posture proche de celle tenue par la Cour européenne des droits de l’homme dans de récents arrêts rendus en matière climatique.

L'intervention volontaire à l’instance de la ville de Poitiers demeure irrecevable  à l'instar de celle l'association Amnesty International. En revanche, la cour d'appel a admis l'intervention de la ville de Paris. L'identification de la capitale française par l'Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique comme particulièrement exposée aux risques climatiques, ses plans Climat élaborés depuis 2007, celui de 2018 pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, sa sélection au programme européen des "villes climatiquement neutres d'ici 2030", ou encore sa recevabilité dans une action devant le juge administratif contre l'État pour son inaction pour faire baisser ses émissions de gaz à effet de serre, sont autant d'éléments qui démontrent la légitimité de Paris à participer à l'action contre le pétrolier. La ville de New York s'en est moins bien sortie. Les débats sur l'étendue du pouvoir de représentation du corporation counsel, représentant de la Big Apple (peut-il oui ou non représenter la ville américaine devant les juges français ?), ont abouti à son exclusion de l'instance. L'association des Eco Maires connaît le même sort, jugée irrecevable en son action à cause de ses statuts qui ne lui confèrent pas de droit à agir en justice.

Quelques jours après la décision d'irrecevabilité dans le dossier TotalEnergies, le média Lanceur d'alerte avait révélé l'existence d'un lien de parenté entre le juge Antoine de Maupéou et Xavier de Maupéou, cadre depuis plusieurs années chez TotalEnergies. Les juges du second degré écartent la théorie de l'impartialité du magistrat avancée par les associations. Avec ce patronyme “pas courant” et une fouille sur le réseau LinkedIn, elles auraient pu vérifier son identité avant que l'affaire ne soit déballée par la presse. Il n'y a pas de lien à retenir entre Xavier de Maupéou et ce contentieux. Simple cadre parmi des milliers d'employés, il ne détient aucun mandant social dans le groupe et n'est pas proche de son cousin juge. L'ordonnance de ce dernier ne sera donc pas annulée pour manque d'impartialité. 

Débats au fond en vue

La décision du 18 juin relative au dossier Suez/Chili apporte par ailleurs un éclairage sur la personne morale à qui adresser l’assignation pour ne pas risquer l’irrecevabilité. C’est la société qui établit et met en œuvre le plan de vigilance qui endosse la responsabilité des obligations de la loi sur le devoir de vigilance. En assignant la SAS Suez Groupe (devenue la SAS vigie groupe) pour le scandale sanitaire d’Orsono au Chili au lieu de la société mère, la SA Suez, les requérants de la troisième affaire (Red Ambiental Ciudadana de Osorno, la Fédération internationale pour les droits humains – FIDH – et ses organisations membres au Chili et en France : l’Observatorio Ciudadano et la Ligue des droits de l’Homme – LDH) ont manqué leur coup. Leur action n’est pas recevable. Quant aux deux autres affaires, le débat sur le bien-fondé des mesures sollicitées va pouvoir se tenir devant le tribunal judiciaire de Paris. Sous réserve d’un éventuel pourvoi en cassation, précise le communiqué. Brice Laniyan, juriste chez Notre affaire à tous, résume : “La chambre des contentieux émergents de la cour d'appel semble avoir décidé de se saisir pleinement des questions de vigilance.” Selon lui, la menace des contentieux est bien réelle pour les entreprises.

Anne-Laure Blouin

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