Fort d’un nouvel investissement majeur à Dunkerque, AstraZeneca concilie croissance et processus de production plus durables. Anne-Laure Dreno, présidente France du laboratoire, revient sur les derniers investissements du groupe et partage sa vision du marché français.
Vous avez annoncé un investissement de 365 millions d’euros dans l’usine de Dunkerque. Quelles évolutions envisagez-vous ?
Anne-Laure Dreno. Le site de production de Dunkerque est un site historique créé en 1990. Il constitue la référence mondiale du groupe en matière de fabrication de médicaments inhalés pour traiter l’asthme et la BPCO (bronchopneumopathie chronique obstructive). Sa production est destinée à 99 % à l’export et son chiffre d’affaires, 1,6 milliard d’euros aujourd’hui, devrait tripler d’ici 2030. L’investissement annoncé devrait permettre d’accompagner la croissance de notre site avec deux nouvelles lignes d’assemblage et de conditionnement, la construction de nouveaux bâtiments, d’un magasin automatisé ainsi que la création d’une centaine d’emplois.
AstraZeneca se positionne depuis plusieurs années en faveur de la transition environnementale. Avec cet investissement, comment comptez-vous continuer à adapter vos process ?
Au-delà du déploiement du 100 % énergie renouvelable, des initiatives majeures sont mises en place au sein du site de Dunkerque pour réduire les émissions de gaz à effet de serre sur les lignes de production, comme le système de purge sous vide ou la cryocondensation. Entre 2025 et 2030, nous allons également opérer la transition de l’ensemble de notre fabrication de médicaments inhalés, ils utiliseront un nouveau gaz propulseur au potentiel de réchauffement climatique proche de zéro.
Nous étudions tous les moyens de favoriser non seulement la décarbonation de nos médicaments et de nos produits, mais aussi du parcours de soins des patients
À l’échelle globale d’AstraZeneca, comment s’amorce cette transition environnementale ?
Dans le cadre de notre Ambition Zéro Carbone, amorcée en 2015, nous sommes engagés à réduire les émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial de 98 % d'ici 2026. De manière globale, nous souhaitons réduire de moitié notre empreinte sur l'ensemble de la chaîne de valeur d'ici 2030, en vue d'une réduction de 90 % d'ici 2045. Nous étudions tous les moyens de favoriser non seulement la décarbonation de nos médicaments et de nos produits, mais aussi du parcours de soins des patients. Nos objectifs sont vérifiés de façon indépendante par l’initiative Science Based Targets (SBTi) : nous avons été l’une des sept premières entreprises au monde à obtenir cette vérification, la première du secteur pharmaceutique.
En mars dernier, AstraZeneca a fait l’acquisition d’Amolyt Pharma, biotech de la métropole lyonnaise. Qu’est-ce qui a motivé ce rachat ?
Nous sommes engagés depuis plusieurs années dans les maladies rares, qui ne le sont d’ailleurs pas tant que ça puisqu’elles touchent 300 millions de personnes dans le monde. L’acquisition d’Amolyt Pharma vient consolider les solutions thérapeutiques d’Alexion, notre entité spécialisée dans les maladies rares depuis 2021. Nous voulons trouver des solutions là où il n’y en a pas, d’autant que les répercussions des maladies rares et ultra-rares sur les patients, leurs familles et la société sont majeures. L’acquisition de cette biotech française est un gage tant de l’investissement d’AstraZeneca au profit des médicaments du futur, que de notre importante empreinte en France.
Pour ce qui est de favoriser l’innovation, que pensez-vous du marché français ?
La France a des atouts indéniables sur le plan scientifique, et un vrai patrimoine industriel, mais il est déclinant et centré sur la production de "vieilles" molécules. En parallèle, de vrais efforts ont été effectués pour améliorer le cadre économique, général mais pas celui de l’industrie pharmaceutique, qui reste très pénalisé par la fiscalité en vigueur, la plus lourde d’Europe, des lourdeurs administratives, des prix très bas, et une incertitude budgétaire.
Pour qu’un pays soit favorable à l’innovation, il faut les bonnes conditions en termes de R&D, de production, mais aussi des conditions économiques acceptables sur le marché français. C’est ainsi que nous attirerons la production des médicaments de demain. Plutôt que de considérer ces derniers comme un poste de coût à élaguer un peu plus chaque année, il faut les envisager comme des investissements qui permettent de soigner, de guérir, de diminuer les coûts sur le long terme (hospitalisations, transports…) tout en améliorant la qualité de vie de millions de patients.
Quelle trajectoire discernez-vous pour l’industrie pharmaceutique en France ?
L’innovation n’est pas reconnue à sa juste valeur. La régulation budgétaire s’est considérablement durcie ces dernières années, particulièrement envers les acteurs innovants, annulant les baisses de fiscalité sur le cadre général. Plus particulièrement, la clause de sauvegarde [qui consiste à reverser la partie du chiffre d’affaires des entreprises dépassant un seuil fixé annuellement par la LFSS, ndlr], remodelée en 2022 pour surtaxer les entreprises les plus en croissance, donc les plus innovantes, nuit à l’attractivité française et coupe toute possibilité de projection. Et ce, alors que les pays voisins de la France viennent justement de faire le choix inverse, celui de l’innovation.
La clause de sauvegarde [...] nuit à l’attractivité française et coupe toute possibilité de projection
Quelles comparaisons feriez-vous au niveau européen ?
En Angleterre, après une énorme pression sur le système pendant la crise sanitaire, le système vient d’être refondu pour favoriser les médicaments innovants. Ceux-ci ont à payer un niveau de remises plus faible que les "vieux" médicaments. Les nouvelles substances actives sont même complètement exonérées pendant 3 ans. Parallèlement, un fonds a été créé pour financer la réindustrialisation, alimenté par ces taxes spécifiques payées par l’industrie. L’Allemagne avait également augmenté son taux automatique de remise juste après la pandémie. Celui-ci est désormais revenu à des seuils antérieurs. Nos voisins ont mis en place des dispositifs exigeants, mais encadrés dans le temps ou favorisant l’innovation.
Quels leviers préconisez-vous pour améliorer l’attractivité et la situation budgétaire de la France ?
La France dépend à 95 % de l’étranger pour se fournir en médicaments biologiques. La balance commerciale liée à l’industrie pharmaceutique ne cesse de se dégrader. Elle est passée de 3 à 4 milliards d’euros il y a quelques années à 400 millions en 2023. Elle devrait être négative en 2024. La raison est simple. Nous exportons des produits à faible valeur ajoutée et peu coûteux, alors que nous importons les produits innovants. La France a raté la première vague de la production commerciale de médicaments biologiques. Il est d’autant plus important de se tourner dès maintenant vers les innovations. C’est en concevant et en produisant les médicaments du futur que nous garantirons notre souveraineté de demain.
Sur le plan budgétaire, le système de santé français reste aujourd’hui orienté sur le traitement et pas assez sur la prévention et la détection précoce des maladies. Celles-ci sont pourtant des considérations cruciales pour un pays à la population vieillissante, dont les coûts de santé ne vont faire qu’augmenter.
Propos recueillis par Alexandra Bui