Adrien Roussel-Jourde – associé au sein de l’étude Les Notaires du Quai Voltaire – appartient à la nouvelle génération de notaires. Celle qui, bien dans son temps et bien dans sa fonction, a l’intention de faire bouger les lignes. De bousculer les codes en douceur, sans chercher la révolution. Responsable du département immobilier à impact, l’officier public accompagne foncières solidaires, associations, sociétés commerciales et autres acteurs de l’ESS qui œuvrent pour une société plus égalitaire et plus soucieuse de l’environnement.
Adrien Roussel-Jourde (LNQV) ''La propriété privée devra évoluer face à la crise écologique et sociale''
Décideurs. Avant de rentrer dans le vif du sujet, pouvez-vous définir l’immobilier à impact ?
Adrien Roussel-Jourde. L’immobilier à impact est une analogie, appliquée à l’immobilier, de la finance à impact (ou impact investing) qui existe depuis le début des années 2000. De façon concrète, il s’agit, à travers l’immobilier, de répondre aux besoins fondamentaux de la société, fixés par l’ONU à travers les célèbres ODD. Il faut par ailleurs avoir en tête que l’immobilier est un secteur très polluant. C’est l’une des industries les plus émissives en CO2, après les transports et l’alimentation. On « artificialise » l’équivalent d’un département tous les dix ans. Aujourd’hui, tous les acteurs du secteur, y compris les plus gros promoteurs, ont conscience de cet état de fait.
Comment, en tant que notaire, pouvez-vous agir en faveur de l’immobilier à impact ?
Le notaire est rarement associé à des sujets de développement durable ou à des engagements sociaux. Et pour cause : notre rôle est de traduire la volonté du vendeur et de l’acheteur. Ni nos convictions personnelles ni notre engagement en faveur d’une quelconque cause ne doivent influencer la rédaction des actes. Nous sommes les « juges de l’amiable ». Cela étant dit, notre équipe dédiée à l’immobilier à impact accompagne des associations, des fondations, des foncières solidaires, des jeunes sociétés commerciales engagées socialement ou sur le terrain du développement durable. Elles sont soit labellisées ESUS (Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale), soit sociétés à mission et sont généralement certifiées B Corp. Au-delà de notre ingénierie juridique, nous sommes une plateforme diplomatique. En tant que notaires, nous permettons les échanges et les rencontres entre les acteurs privés, les élus, les personnalités publiques…
Vous accompagnez aujourd’hui plusieurs foncières solidaires qui œuvrent en faveur de ces Français qui peinent à se loger…
Effectivement. De façon globale, je pense que la notion de propriété privée devra évoluer face à la crise économique et sociale. Conséquence ? Il faut repenser la manière de se loger, notamment du côté des Français les moins favorisés, à travers la propriété partagée. C’est ce à quoi réfléchissent un certain nombre de foncières solidaires. Leur manière d’agir est simple. Elles achètent des terrains bâtis ou non, afin d’y réaliser des logements individuels ou collectifs, qu’elles vont ensuite louer à une personne ou à un groupement de personnes, à un tarif accessible. Nous sommes aux côtés, entre autres, de ces foncières, mais aussi d’associations qui, de la même manière, achètent des biens pour les louer à des personnes en difficulté. Nous intervenons à la fois comme conseil juridique, mais également pour réaliser des actes sur mesure et adaptés à l’enjeu.
Vous intervenez aussi dans le milieu agricole. Pouvez-vous nous expliquer ?
C’est un sujet qui me tient à cœur. Nous savons que, dans les cinq prochaines années, la moitié des agriculteurs partiront à la retraite sans repreneur pour leur activité. Et quand bien même certains acquéreurs potentiels seraient intéressés, ils n’ont généralement soit pas les moyens pour relancer l’activité. Plusieurs foncières solidaires que nous accompagnons interviennent à ce moment et rachètent ces domaines afin de les louer à des tarifs abordables pour permettre au nouvel agriculteur de développer l’activité. Une fois que celle-ci est consolidée, l’exploitant pourra racheter le bien en question à la foncière. Et ce fonctionnement inspire dans toutes les sphères de la société.
Pouvez-vous revenir sur un dossier qui vous a particulièrement marqué ?
Je pourrais en citer plusieurs. Nous avons accompagné une foncière solidaire qui ouvre des lieux de vie dans les territoires ruraux. Elle achète donc des locaux, dans les villes ou villages désertés, afin d’y ouvrir une boulangerie ou un bistrot. Dans ce cas, la foncière co-construit le projet avec l’acteur qui gérera le commerce. Ce sont des personnes créatives qui nous interrogent sur différentes clauses, différentes conditions de financement… C’est dans cet état d’esprit que nous ficelons un acte sur mesure. C’est passionnant.
Nous sommes également actifs sur le sujet du logement des aînés, en dehors de l'Ehpad. Nous sommes aux côtés de foncières et d’associations qui permettent à des seniors de vivre ensemble de façon adaptée. Comme une sorte de collocation du grand âge ou une auberge de seconde jeunesse. Nous essayons d’intervenir le plus tôt possible afin de passer l’immeuble au peigne fin, de soulever les questions d’autorisation administrative, de réfléchir au type de bail à produire, etc. Avec ce type de projet, on sait pourquoi on se lève chaque matin.
La rédaction