Il s’agit d’un tournant important pour l’organisation, qui veut dépasser le simple champ des entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS), pour ouvrir sa gouvernance à de grandes entreprises. Nécessaire pour certains, inquiétant pour d’autres. Explications.
Né en 2020 de la fusion du Mouvement des entrepreneurs sociaux (Mouves) et de Tech For Good France, le Mouvement Impact France a pour ambition de "devenir le premier réseau rassemblant autour des entrepreneurs à impact social et écologique, l’ensemble des acteurs économiques engagés pour faire grandir un modèle d’entreprise préservant le capital social et écologique de l’humanité". Ainsi, Impact France réunit tout à la fois des entreprises à impact social et écologique, des entreprises dites "en transition" (avec des engagements validés par un statut ou un label exigeant), des acteurs de l’écosystème à impact (financeurs, incubateurs…) et des réseaux d’entreprises qui visent à accélérer la dynamique d’engagement des entreprises. En quelques années, sous l’impulsion de Jean Moreau, cofondateur et CEO de Phénix, et Eva Sadoun, présidente et cofondatrice de Lita.co, l’organisation s’est imposée comme une voix qui compte dans les débats économiques autour de la transformation des modèles d’affaires, allant même jusqu’à produire des outils d’évaluation, à l'image de l’Impact Score.
"La logique d’ouverture d’Impact France comporte nécessairement une part d’inédit et de risques mais répond à une réelle nécessité"
Nouvelle page
Le tandem hybride constitué de la CEO de la marque de mode responsable Loom et du directeur général de la Maif constitue une petite révolution en soi. Ce qu’assume parfaitement Pascal Demurger qui confiait au Figaro souhaiter "marquer une forme de changement en faisant rentrer des entreprises assez représentatives de ce que l'on veut faire du mouvement. Ce sont des entreprises qui n'étaient pas présentes encore, de plus grande taille et en même temps irréprochables sur le niveau et la réalité de leur engagement". Un nouveau souffle également justifié par Eva Sadoun : "La logique d’ouverture d’Impact France comporte nécessairement une part d’inédit et de risques mais répond à une réelle nécessité. Nos entreprises écologiques et sociales ne se pérenniseront pas dans un marché qui ne favorise pas les pratiques vertueuses. En tant qu’entrepreneuses et entrepreneurs sociaux et écologiques, nous pensons que nos modèles portent une partie de la réponse face à l’urgence sociale et écologique et que nous devons nous donner les moyens d’imposer de nouvelles règles du jeu économique à partir des principes d’action des entreprises à impact, et de faire exister une compétitivité sociale et écologique."
"Quand tout est à impact, plus rien n'a d'impact"
Grincements
Tous au sein du mouvement ne partagent pas cette nouvelle orientation. Dans une tribune au JDD, un collectif de fondateurs du Mouvement Impact France s’inquiète : "En 2020, le Mouves est devenu le Mouvement Impact France et a opéré un virage stratégique ambitionnant d’intégrer aux côtés des entrepreneurs sociaux, des entreprises dites “en transition” qui cherchent, elles, à limiter les externalités négatives de leurs activités. Nous avons alors été quelques-uns déjà à alerter sur les risques de dilution et de confusion encourus : qui trop embrasse, mal étreint." Et de poursuivre : "À l’occasion du prochain changement de gouvernance d’Impact France, Pascal Demurger, directeur général de la Maif, et Julia Faure, fondatrice de Loom, candidats à la coprésidence, souhaitent aller plus loin, faisant des risques pressentis une réalité […]. Ne leur en déplaise, nous assumons cette exemplarité – fusse-t-elle aujourd’hui minoritaire – et nous refusons de la voir ainsi galvaudée par un candidat à la présidence dont la rémunération mensuelle (plus de 30 smic) est en contradiction majeure avec nos fondamentaux. Comme nous refusons de la voir affaiblie par un élargissement non maîtrisé vers ceux qui se réclament trop légèrement de l’impact, source inévitable à terme de social, green, ou impact washing : quand tout est “à impact”, plus rien n’a d’impact."
Tiraillé entre pureté éthique et esprit d’ouverture pour infuser plus largement au risque d'y perdre son identité, le Mouvement Impact France connaît sa première crise de croissance. Un défi à la hauteur de sa nouvelle direction ?
Antoine Morlighem
