Le chef du gouvernement espagnol Pedro Sánchez a exhorté pouvoirs publics et secteur privé à se libérer de leur cravate pour contribuer aux économies d’énergie. Une proposition qui prête à sourire tant le rapport entre cravate et climatisation parait subtil. Un discours, surtout, qui immortalise l’absence totale de contact des acteurs publics avec la réalité.
"Si ce n'est pas déjà le cas, j'aimerais que vous ne portiez pas de cravate quand ce n'est pas nécessaire." Si l’on se fie au Larousse, l’adjectif "nécessaire" se dit de quelque chose dont on ne peut se passer, quelque chose de très utile ou obligatoire, quelque chose qui s’impose. Si le caractère utile de la cravate mérite d’être examiné, il va de soi qu’il s’agit d’un accessoire dont on peut se passer. Face à la crise énergétique consécutive à l’invasion de l’Ukraine par la Russie et de la "guerre économique" sans merci que livre la communauté internationale à Vladimir Poutine, le Premier ministre espagnol appelle ses troupes à quitter la cravate. Si l’initiative a quelque chose de farfelu, la légèreté de la démarche a de quoi tourmenter dans la perspective de l’hiver, qui ne manque jamais d’imposer ses règles vers la fin de l’année. Il faut, en outre, s’attendre, courant décembre, à recevoir quelques encouragements à porter des chaussettes efficaces et des chandails épais.
Nœud du problème
Dans une pièce particulièrement claire, dix individus mâles entourent, assis, une table ovale. Dans la pièce voisine, une dizaine de scientifiques en blouse blanche observent la scène derrière une vitre teintée. De retour dans la pièce, cinq portent une cravate, les cinq autres présentent un col ouvert et le cou nu. Un thermomètre numérique au centre de la table affiche 25 degrés et les minutes passent. Au bout d’une demi-heure, les cinq individus à la cravate semblent se relayer dans la trituration de leur col respectif. Sept minutes plus tard, l’un transpire, s’étrangle et s’empourpre, avant de saisir le nœud de sa cravate pour se donner un peu d’air. Un néon s’allume au plafond de la salle, une sirène retentit, l’individu sort. Les quatre autres lui emboîtent le pas, tous plus rougeauds, asphyxiés les uns que les autres, les cinq individus sans cravate ne semblant pas souffrir outre mesure des 25 degrés qui accablent la salle. Par acquis de conscience, les experts en blouse font durer le test mais rien ne semble être de taille à faire vaciller les sans cravate. L’expérience est éloquente : les cravates donnent chaud. Cette expérience n’a jamais eu lieu, son postulat est absurde, sa conclusion grotesque.
Il est temps de sortir du "On a toujours fait ainsi", la préexistence d’un travers n’en faisant ni une sommation ni une vertu
Nœud gordien
Dans la mesure où l’expérience précédemment décrite n’a jamais été pratiquée, rien n’autorise à garantir qu’ôter sa cravate permet effectivement d’alléger sa facture d’énergie. Les Français peuvent, malgré tout, observer le Premier ministre espagnol avec admiration, nos ministres appelant, avec une certaine régularité, la nation à la sobriété énergétique tout en incitant leurs chauffeurs à tempérer leur voiture quelques minutes avant qu’ils ne la regagnent. Plutôt que de juste dénouer leur cravate… Il est temps de sortir du "On a toujours fait ainsi", la préexistence d’un travers n’en faisant ni une sommation ni une vertu. Récemment, les débats hexagonaux ont porté sur la climatisation portes ouvertes ou l’éclairage tardif des vitrines, des pratiques indignes qu’il est bon de bannir mais dont on peut questionner le calendrier tant elles paraissent désuètes. Il y a la guerre aux portes de l’Europe, une pandémie qui continue de menacer, une conjoncture économique qui endure les deux. Plus les problèmes s'accumulent, plus il semble facile de les relativiser. Le pire n’est pas certain, sauf s’il est visé.
Alban Castres