Avant de s’attaquer aux loisirs de nos amateurs de golf sans-le-sou, aux abordables jets privés de nos infortunés, il convient d’avoir en tête que quelques nababs se promènent en fusées. Parmi eux, Jeff Bezos fait figure de philanthrope et sa bienveillance, notamment à l’égard de notre belle planète, est trop rarement saluée. Aigreur ou jalousie ?
Chantre du self made man, incarnation de l’homme d’affaires biberonné à l’american dream et au Coca-Cola light, Jeff Bezos se veut aussi défenseur de la planète et secours de l’humanité. Bien qu’avoir créé Amazon était plutôt bien vu et que la symbolique de son logo n’est pas sans intérêt, chacun est en mesure de l’admettre, l’inventeur du tourisme spatial ne peut pas, selon ses contradicteurs patentés, ne vouloir que du bien à la Terre, pas plus qu’il ne peut souhaiter le bonheur sans restriction de ses contemporains.
Entre terre et mer
En 2020, le milliardaire s’était fait remarquer par une donation stratosphérique de dix milliards de dollars au fonds "Bezos pour la Terre" visant à lutter contre le réchauffement climatique. Une annonce qui, d’après ses dénigreurs compulsifs, jamais là pour souligner sa charité mais jamais loin pour dénoncer ses torts, suivait d’un peu trop près les remontrances de 300 de ses employés sur la politique environnementale d’Amazon. Plus récemment, une autre polémique a enflé, en même temps que l’amertume de ses détracteurs, stériles jaloux, dont l’accomplissement entrepreneurial est probablement moins abouti que celui de leur sujet de défiance permanente. Jeff Bezos s’est payé un bateau. Un yacht de 127 mètres à 430 millions d’euros, de quoi épuiser Usain Bolt et les réserves monétaires du Royaume de Tonga. Un yacht tellement extravagant qu’il nécessitait le démontage d’un pont pour quitter son lieu de confection. La levée de boucliers qui s’en est suivie a suffi à avorter ce projet un peu farfelu, Jeff Bezos étant de la trempe de ceux qui savent reculer quand le bon sens l’indique car, comme chacun le sait, il n’y a bien que les imbéciles qui ne changent pas d’avis.
L’inventeur du tourisme spatial ne peut pas, selon ses contradicteurs patentés, ne vouloir que du bien à la Terre
Objectif Lune
L’année dernière, Jeff Bezos a entrepris et réussi un voyage dans l’espace. Abasourdi par la "fragilité de notre planète" et pour ne pas n’en dresser que le désolant constat, il décide de passer à l’action. Estimant que la Terre est bien pratique pour le moment mais qu’elle ne suffira bientôt plus à rassasier la gourmandise du capitalisme moderne, il envisage de "déplacer les industries lourdes et polluantes dans l’espace pour préserver la Terre." Pour mémoire, les secteurs les plus polluants sont l’énergie suivis des transports, pour lequel il contribue avec une certaine éloquence, et de l’industrie agricole. Dans ce dernier, source d’un quart des émissions mondiales de gaz à effet de serre, l’émanation de méthane par les vaches y concoure à près de 40 %. Le seul fait d’imaginer une vache en scaphandre suffirait, à en croire ses opposants les plus mal lunés, à valider l’absurdité de la démarche. Comme se plaisent à le penser ses adversaires les plus chevronnés, véritables illuminés du bocal, il y a plus vertueux encore que d’aller dans l’espace pour sauver la planète : ne pas aller dans l’espace pour sauver la planète.
Lorsqu’Elon Musk rêve de Mars, Jeff convoite la Lune, le premier parce qu’il anticipe la fin de la Terre, le second parce qu’il devance l’extinction de ses ressources. Leur point commun ? Préserver le business. Selon Bezos, la demande énergétique s’intensifiant, une partie de l’industrie associée doit gagner la lune afin d’accompagner cette progression. La sobriété étant affaire de gens sans imagination, les rêveurs sont dans la lune quand les pragmatiques sont terre à terre. Pas complétement fou non plus, on ne peut l’être tout à fait quand on est milliardaire, il admet que son ambition ne serait pas réalisable avant des dizaines d’années, ce qui n’ôte rien à sa motivation. Le genre de bonnes intentions, diront les complexés de la réussite, dont est pavé l’enfer. Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt…
Alban Castres