Partir un jour : avec ou sans retour ?
Trois millions. C’est le nombre de Français, deux fois plus qu’il y a cinq ans, à s’être installés à l’étranger. La diffusion des chiffres du Conseil d’analyse économique et sociale a alerté le Sénat, qui dénonce un « phénomène à sens unique » : cette expatriation ne contribue pas au rayonnement français à l’international. Elle ne serait que le triste constat d’un pays qui ne séduit plus ses natifs et pire, fait fuir sa matière grise.
Expatrié, qui es-tu ?
Âgé de 25 à 55 ans, l’expatrié-type est titulaire à 65 % d’un bac +2 ou plus, et travaille à 14 % dans l’éducation. La mobilité estudiantine précédant la professionnelle, les jeunes diplômés sont les premiers concernés. Ils étaient 12 % en 2003, 17 % en 2014 et la tendance ne va pas ralentir avec le développement de programmes extraterritoriaux. Certes, 70 % d’entre eux envisagent de revenir après une expérience internationale. Mais pour ceux qui décident du contraire, ces départs relèvent d’une fuite des cerveaux et des compétences. Les études supérieures étant par ailleurs largement financées par les prélèvements obligatoires des contribuables pour des élèves qui s’en vont « renforcer les économies étrangères », selon Étienne Wasmer, professeur d’économie à Sciences Po, le retour sur investissement est donc négatif.
Cet exil volontaire est également le fait d’entrepreneurs français. Et la quasi-totalité n’envisage pas de retour. Et si l’on parle grands groupes, cela concerne les sièges sociaux : Lafarge-Holcim en Suisse, Alcatel en Finlande, Alstom aux États-Unis… Outre Technip, Londres a de son côté séduit 150 maisons mères en 2015 sur les 294 nouveaux d’Europe, quand la France n’en compte que onze. Les causes ? Le salaire – une moyenne de 25 500 € en France contre 30 000 € à l’étranger –, assorti d’avantages en nature, la fiscalité et le taux d’imposition des sociétés – 20 % au Royaume-Uni contre 33,33 % en France.
Expatrié, reviens-tu ?
« La fuite des cerveaux » ? Un talent ne fait que « chercher un bon environnement pour développer leur potentiel » d’après la note du CAE, et la distance ne lui fait pas peur. Le Canada, les États-Unis et l’Australie sont parmi les premiers à séduire les Français avec la Suisse et la Suède. La France a pourtant toutes les ressources nécessaires pour briller. Si l’on ne peut instaurer une rétention des talents, il faut encourager leurs retours et attirer les étrangers en répondant à leurs attentes. Pour Nicolas Schimel, directeur général d’Aviva France, « il faut croire en la France pour croître avec elle ». Et les raisons sont nombreuses : force du numérique et des services aux entreprises, multiplication par deux des centres de recherche en un an, développement de l’attractivité de métropoles comme Lyon ou Lille, avancée du projet Grand Paris, transports, services publics… La directrice de recherche du CNRS Cecilia Garcia-Peñalosa relativise cet exode des talents français et regrette même une émigration deux fois inférieure à l'Allemagne et quatre fois moindre que celle du Royaume-Uni. Or, « elle favorise les échanges commerciaux entre le pays de départ et le pays d’accueil ». Après tout, avec ou sans le retour des expatriés, l’heure n’est-elle pas aux échanges globalisés tant vantés, quels qu’ils soient ?
V. L.
Focus sur le Brexit :
Le « leave » du référendum britannique inquiète les Français de Londres. Pour l’un d’eux, installé depuis vingt-cinq ans dans la capitale, « c’est la première fois qu’il ne se sent pas le bienvenu. » Alors que les entreprises font preuve d’attentisme quant à leurs salariés expatriés, l’avenir de ces 200 000 Français est pour le moins incertain. Visa or not visa, ils restent unanimes. Si la situation sociale et économique se dégrade, le départ vers une terre plus fertile et accueillante sera une évidence. À l’image de ce qu’ils ont fait jusqu’à présent.
V. L.